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Karl-Heinrich faisait partie de ce réseau. Opérant sous le pseudo de Bad Texas Vampire Lords, il avait élaboré des liaisons avec des centres de renseignement européens et même américains comme Interstellar Stalin, Pirates of thé Starways, Killer Crackers from Hell, Mars Incorporated, Dead Inside et Ninth Dimension Bandits. Auprès d’eux et d’autres sites semblables, il avait glané tout ce qu’il avait pu trouver en matière de données sur les modes de calcul des Entités – données toujours lacunaires : une étincelle par-ci, une particule par-là, un fragment par-ci, une miette par-là.

Beaucoup de données fausses dans la masse. Beaucoup d’informations extrêmement hypothétiques. Un certain nombre inventées de toutes pièces par leurs disséminateurs. Mais – ici et là, dans les deux ans et deux mois écoulés depuis la Conquête – certains bidouilleurs de génie avaient réussi à apprendre quelques bribes, quelques menues pépites qui donnaient vraiment l’impression d’avoir un sens.

Ils y étaient parvenus en interrogeant quiconque avait eu l’occasion d’observer de près les agissements des Entités et vu fonctionner leurs ordinateurs. Ce qui, pour commencer, signifiait passer au crible les souvenirs de quiconque avait été emmené à bord des astronefs des Entités. Certains de ces visiteurs forcés, eux-mêmes des bidouilleurs, s’étaient montrés particulièrement attentifs. D’autres avaient réussi à s’infiltrer dans les équipes d’esclaves humains et à participer aux incompréhensibles travaux de reconstruction chers aux Entités. Il y avait beaucoup à apprendre de cette sinistre expérience.

Ainsi avaient-ils glané quelques indices sur la manière dont les envahisseurs triaient, traitaient et transmettaient l’information. Et ils avaient affiché tout cela sur le Réseau pour que leurs confrères puissent en prendre connaissance et y réfléchir. Et c’est à partir de cet assortiment de miettes, de bavures, de lambeaux, de tronçons et de folles hypothèses, en écartant méthodiquement tous les éléments incompatibles avec l’ensemble, que Karl-Heinrich avait fini par élaborer sa propre représentation cohérente de la manière dont pouvaient fonctionner les ordinateurs des Entités et dont on pouvait les pirater.

— Bonjour. Je m’appelle Karl-Heinrich Borgmann, de Prague, République tchèque.

Bad Texas Vampire Lords, ou plutôt, le garçon solitaire et bizarre tapi derrière ce pseudonyme télématique, ne s’empressa pas de partager ces intuitions avec les autres organisations subversives du monde des bidouilleurs. L’eût il fait, cela aurait pu servir la cause de l’humanité car cela aurait amélioré la connaissance générale de la situation, et très vraisemblablement, sa compréhension. Mais Karl-Heinrich n’avait jamais été très doué pour partager quoi que ce soit. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion d’apprendre. Fils unique de parents distants, austères et intimidants, il n’avait jamais eu d’amis proches, sauf par l’entremise du Réseau, et encore ne s’agissait-il que d’amitiés à longue distance, anonymes, soigneusement contrôlées. Sa vie amoureuse n’avait pas encore dépassé le stade du voyeurisme électronique. Il était absolument seul.

En outre, il voulait se voir reconnaître le mérite d’avoir percé le code des Entités. Il voulait être mondialement célèbre, reconnu comme le meilleur pirate informatique de tous les temps. S’il ne pouvait pas être aimé, au moins pourrait-il être admiré et respecté. Et – qui sait ? – s’il devenait suffisamment célèbre, des bataillons de jeunes personnes feraient peut-être la queue devant sa porte pour avoir la chance de se donner à lui. Ce qu’il recherchait pardessus tout.

— Bonjour. Je m’appelle Karl-Heinrich Borgmann, de Prague, République tchèque. Je me suis rendu capable de m’interfacer avec vos ordinateurs.

Déjà, sans l’ombre d’un doute, il était clair pour quiconque s’était penché sur le problème que les Entités se servaient d’un système de calcul numérique. Bonne nouvelle. Après tout, ces extraterrestres auraient très bien pu avoir une façon totalement exotique de traiter des données, hors de portée de l’entendement humain. Or il s’était trouvé que, même sur la lointaine planète inconnue des Entités, le bon vieux système binaire était la manière la plus efficace de compter les choses, tout comme sur cette pauvre petite Terre si primitive. Oui ou non ; marche ou arrêt ; positif ou négatif ; présence ou absence ; un ou zéro – rien de plus simple. Même pour les Autres.

Leurs gros systèmes informatiques eux-mêmes étaient apparemment des machines bio-organiques, avec des réservoirs de données liquides. Bref, d’énormes cerveaux synthétiques. Ils semblaient être chimiquement programmables, à l’instar des cerveaux humains, et réagissaient à des données entrantes de nature hormonale. Mais ce n’était qu’un aspect opérationnel. Au sens le plus fondamental qui soit, on pouvait les considérer avec une quasi-certitude comme des mécanismes fonctionnant électriquement ; à l’instar des cerveaux humains, une fois de plus. Les calculs étaient effectués par des manipulations de charges électriques. Les données chimiques changeaient les polarités, transformant les uns en zéros, les présences en absences, les « marche » en « arrêt ».

Et si ces données chimiques étaient reproductibles électriquement, comme dans les biopuces implantées devenues le dernier cri chez les bidouilleurs façon Karl-Heinrich un an ou deux avant l’invasion ? Karl-Heinrich prit sur lui de faire un essai.

— Bonjour. Je m’appelle Karl-Heinrich Borgmann, de Prague, République tchèque. Je me suis rendu capable de m’interfacer avec vos ordinateurs, j’en ai rêvé toute ma vie, et je viens de réaliser ce rêve.

Il passa deux jours de ce sombre hiver sur la colline escarpée derrière le château Hradcany à fureter dans les rues désertes devant l’antique muraille. Il n’était plus possible d’entrer dans l’enceinte du château, évidemment, mais rien ne vous empêchait de vous brancher sur les conduites électriques qui y pénétraient. Sauf à pouvoir, comme par magie, tirer le courant du néant, les extraterrestres avaient comme tout le monde besoin de lignes électriques. Et à moins qu’ils n’aient installé leurs propres génératrices à l’intérieur du château, ce qui était tout à fait plausible, les lignes électriques venaient forcément de l’extérieur.

Karl-Heinrich les chercha et ne tarda pas à les découvrir. Il excellait dans ce genre de choses. Tandis que d’autres petits garçons lisaient des livres de pirates ou d’aventures spatiales, il lisait les manuels d’électricité appliquée de son père.

Et maintenant… le premier contact…

Karl-Heinrich avait toujours sur lui son propre pico-ordinateur, un implant dans l’avant-bras, une puce pas plus grosse qu’un flocon de neige et d’un dessin encore plus élégant. Il accumulait et déployait la chaleur corporelle pour amplifier et transmettre des signaux codés qui ouvraient des canaux de données, rendant ainsi possibles toutes sortes de transactions. Karl-Heinrich avait été l’un des premiers à se faire implanter, le lendemain de son treizième anniversaire. Quelque dix pour cent de la population, des jeunes pour la plupart, s’étaient fait installer des implants lorsque les Entités étaient arrivées. La révolution des implants, bien qu’à ses tout débuts, avait été unanimement considérée comme une technique prometteuse pour un avenir en plein essor – avenir auquel l’invasion extraterrestre avait, hélas, apparemment coupé court. Mais les implants étaient toujours en place.