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Comme le gamin avait l’air vieux, fripé, usé ! Le gamin ! Paul avait au moins quarante ans à présent. Lee était mort à trente-neuf ans, destiné à rester éternellement jeune dans les souvenirs du Colonel.

Paul évoquait le contenu du dernier bulletin de la Résistance : un recensement des Entités à l’échelle mondiale, effectué par un de ses anciens collègues de l’Université, à l’époque où il était un jeune et brillant professeur d’informatique. Ce collègue, qui faisait partie de la cellule des Résistants de San Diego et dont la spécialité était les statistiques – le Colonel avait négligé de retenir son nom, mais ce n’était qu’un détail –, avait, au cours des dix-huit derniers mois, rassemblé, trié, collationné et analysé une masse de rapports d’espionnage fragmentaires issus des horizons les plus reculés du globe et était parvenu à la conclusion que le nombre total des Entités qui se trouvaient actuellement sur Terre était de…

« Excuse-moi, Paul, dit le Colonel, perdu dans l’avalanche de corrélatifs et de corollaires égrenés par son neveu. C’était quoi, ce chiffre, déjà ?

— Neuf cents, à peu de choses près. Tu comprends que je ne parle que des grands spécimens, les calmars violacés avec des taches, qui, de l’avis général, sont l’espèce dominante. Nous n’avons pas encore essayé de dénombrer les deux autres espèces, les Globules et les Mastodontes. Ces individus-là semblent un peu plus nombreux, mais…

— Attends…, l’interrompit le Colonel. Tout cela me semble absurde. Comment peut-on procéder à un dénombrement fiable des Entités quand Elles restent cachées dans leurs enclaves la plupart du temps et qu’il n’y a apparemment pas moyen de les distinguer les unes des autres, pour commencer ? »

Murmures dans l’assistance.

« Je viens de faire remarquer, énonça Paul d’une voix étrangement douce, que ces chiffres sont de simples approximations résultant pour l’essentiel d’une analyse stochastique, mais ils sont fondés sur des observations très minutieuses des mouvements connus des Entités dominantes et des flux de circulation dans leurs diverses enclaves et autour d’elles. Le chiffre obtenu n’est ni précis ni définitif – je crois que tu as raté le moment où j’ai expliqué qu’il y en avait peut-être cinquante ou cent de plus –, mais nous sommes sûrs qu’il est assez près de la réalité. Il ne peut certainement pas y en avoir beaucoup plus qu’un millier, tout compte fait.

— Il n’en a fallu qu’un millier pour conquérir la Terre tout entière ?

— On dirait bien, oui. Je suis d’accord qu’il semblait y en avoir plus, quand cela s’est produit. Mais c’était manifestement une illusion. Une exagération délibérée.

— Je n’ai aucune confiance en ces chiffres, insista le Colonel. Comment peut-on savoir ce qu’il en est au juste, hein ? »

D’une voix aussi douce et aussi patiente que celle de Paul, Sam Bacon déclara : « L’intérêt de cette étude, Anson, c’est que, même si le total devait être multiplié par deux, voire par trois, il ne peut pas y avoir plus de quelques milliers d’Entités du type dominant sur cette planète. Ce qui soulève la question d’une guerre d’usure menée contre Elles, d’un programme d’assassinats répétés qui, avec le temps, finira par éliminer totalement…

— Des assassinats ! » s’écria le Colonel, horrifié. Il bondit de son siège comme une fusée.

« Une guérilla, oui, insista Bacon. Comme je l’ai dit, une guerre d’usure. Des tireurs d’élite les descendent les unes après les autres, jusqu’à ce que…

— Un instant, fit le Colonel. Attendez. » Voilà qu’il tremblait. Chancelait. Il se mit à osciller et planta ses doigts, telles des serres, dans l’épaule d’Anse. « Je n’aime pas la direction que prend cette discussion. Y en a-t-il parmi vous qui croient sérieusement que nous soyons le moins du monde parés pour entamer un programme de… de… »

II commença à défaillir. Ils le regardaient tous et semblaient gênés. Il avait plus ou moins l’impression que ce n’était pas la première fois que ces questions étaient abordées.

Peu importait. Il fallait qu’il vide son sac. Il entendit quelques protestations étouffées, mais continua sur sa lancée.

« Mettons momentanément entre parenthèses, dit le Colonel en tirant de quelque réserve presque oubliée la force d’aller jusqu’au bout de sa pensée, le fait que personne, autant que je sache, n’ait jamais réussi à tuer une seule Entité, et que nous sommes là à parler de toutes les liquider, pan, pan, pan, pan ! Peut-être devrions-nous demander l’opinion des généraux Brackenbridge et Comstock avant d’approfondir la question.

— Brackenbridge et Comstock sont morts tous les deux, p’pa », dit Anse du ton aimable et condescendant qui devenait la norme quand on s’adressait à lui aujourd’hui.

« Comme si je ne le savais pas ! Ils sont morts au cours de la Pandémie, l’un et l’autre, et la Pandémie, je te le rappelle, est un fléau que les Entités nous ont envoyé à titre de représailles pour l’attaque laser de Denver, laquelle, pour autant que nous le sachions, n’a d’ailleurs eu aucun résultat. Et voilà que vous voulez envoyer quelques tireurs embusqués descendre les Entités une par une en pleine rue, sans prendre le temps de réfléchir à ce qu’Elles risquent de nous faire si nous tuons une seule d’entre Elles ? J’ai combattu cette idée à l’époque, et je la combats aujourd’hui encore. Il est beaucoup trop tôt pour tenter un coup pareil. Si Elles ont exterminé la moitié de la population mondiale la dernière fois, que ne vont-Elles pas faire maintenant ?

— Elles ne vont pas nous tuer jusqu’au dernier, Anson. » Quelqu’un de l’autre côté de la salle : Hastings, Haï Faulkenburg – un de ces deux-là. « La dernière fois, lorsqu’Elles ont envoyé la Pandémie, c’était pour nous avertir de ne pas recommencer à les asticoter. Et nous avons obéi. Mais Elles ne vont pas se remettre à nous tuer à cette échelle, même si nous essayons encore de leur taper dessus. Elles ont trop besoin de nous. Nous sommes leur source de main d’ouvre. Elles vont être méchantes avec nous, c’est sûr. Mais pas à ce point.

— Qu’est-ce qui vous fait croire ça ? demanda le Colonel.

— Rien. Mais un second passage de la Pandémie nous anéantirait entièrement. Je ne crois pas que ce soit ça qu’Elles veulent. C’est un risque calculé, je l’admets. En revanche, nous pouvons, nous, les tuer toutes. Il n’y en a que neuf cents ou mille, d’après ce que dit Paul. Nous finirons par les avoir toutes, une par une, et quand Elles auront disparu, la Terre sera libre à nouveau. Il est grand temps que nous nous y mettions. Si ce n’est pas maintenant, quand, alors ?

— Il y a quelque part une planète pleine d’Entités, fit remarquer le Colonel. Si nous en éliminons quelques-unes, il en viendra d’autres.

— D’un endroit situé à quarante années-lumière d’ici, sinon plus ? Ça va leur prendre du temps. » C’était assurément Faulkenburg qui parlait maintenant, un propriétaire de ranch de Santa Maria aux mâchoires massives, au regard glacial, au verbe véhément. « Entre-temps, nous nous préparerons à les accueillir pour leur prochaine visite. Et quand Elles débarqueront…