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Ce quasi-monologue mettait Khalid mal à l’aise. « On est encore loin de Los Angeles ? demanda-t-il.

— Tout ça, c’est Los Angeles, plus ou moins. Des communes indépendantes, des petites villes distinctes, mais c’était quand même Los Angeles. Le vrai Los Angeles officiel est maintenant de l’autre côté du mur. À une trentaine de kilomètres. »

On s’apercevait qu’on passait d’une localité à une autre à la forme des réverbères et au style des habitations : à une ville aux splendides demeures succédait une zone de pavillons étriqués à moitié démolis, par exemple. Mais certains traits restaient identiques : les énormes arbres aux feuilles vernissées, les jardins luxuriants derrière toutes les maisons, jusqu’aux plus petites et aux plus pauvres, les immeubles bas et l’œil étincelant du soleil qui matraquait tout le paysage. Juste en face, des montagnes stupéfiantes dominaient toutes ces petites villes. Leurs sommets étaient enneigés alors qu’en bas il faisait chaud comme en été.

Cindy annonçait les noms des villes à mesure qu’ils les traversaient, comme si elle lui donnait une leçon de géographie. « Pasadena, disait-elle. Glendale. Burbank. Et ça, c’est Los Angeles, en bas à gauche. »

Ils avaient changé de direction et roulaient à présent vers l’ouest, vers le soleil. De nouveau sur une autoroute. Le mur était assez loin d’eux sur cette partie de l’itinéraire ; malgré tout, ils finirent par s’en rapprocher et furent ensuite obligés de quitter l’autoroute pour emprunter encore un réseau de ce que Cindy appelait les routes secondaires. Le terrain était plat et monotone, les rues longues et rectilignes.

« Nous sommes très près de l’endroit où les Entités ont effectué leur premier atterrissage, l’informa Cindy. Je me suis précipitée sur les lieux ce matin-là. Il fallait que je les voie. J’étais entichée de l’idée que les créatures de l’espace étaient arrivées. Je me suis livrée à Elles. J’ai offert mes services : j’ai été la toute première quisling, je crois. Mais je n’avais pas l’impression de trahir la Terre, juste d’être son ambassadrice, de servir de pont entre les espèces. Mais Elles m’ont laissée tomber. Elles m’ont baladée d’un boulot à l’autre pendant des années, et moi j’attendais qu’Elles me mettent dans un vaisseau qui retournerait sur leur planète d’origine. Finalement, j’ai compris qu’Elles ne le feraient jamais… Regarde, Khalid, tu peux tout juste voir le mur réapparaître dans cette vallée, à gauche, là-bas à l’horizon, et obliquer vers le Pacifique. Mais il ne nous barre plus la route. On devrait avoir la voie libre jusqu’à Santa Barbara. »

Ce qui s’avéra exact. Mais quand ils y arrivèrent en fin de journée, ils trouvèrent une ville pratiquement déserte, avec des quartiers totalement abandonnés où des rues entières d’élégants immeubles aux murs en stuc et aux toits de tuiles tombaient en ruine.

« Je n’arrive pas à y croire, ne cessait de répéter Cindy. Une si belle petite ville ! Tous les habitants ont dû partir. Ou ont été déportés. » Elle indiqua les montagnes altières qui se dressaient derrière la plaine littorale où la ville était construite. « C’est le moment de te servir de tes yeux perçants. Tu vois des maisons là-haut ?

— Oui, deux ou trois.

— Et qui ont l’air habitées ?

— Je ne vois pas aussi bien que ça. »

Mais Santa Barbara n’était pas totalement abandonné. Après avoir tourné quelque temps, Cindy tomba sur un trio d’individus courtauds et basanés, debout à un coin de rue dans ce qui avait dû être jadis le principal quartier commerçant. Elle baissa la glace et les interpella dans une langue que Khalid ne comprenait pas ; l’un d’eux lui répondit très brièvement et elle reprit la parole, longtemps cette fois ; les hommes sourirent et se consultèrent. Puis celui qui avait répondu le premier se mit à gesticuler en montrant les montagnes et à indiquer par des mouvements des mains et des poignets qu’une série de routes en lacets les amènerait là-haut.

« C’était quoi, comme langue ? demanda Khalid tandis qu’il repartaient.

— De l’espagnol.

— C’est la langue qu’on parle en Californie ?

— Par ici, oui. Maintenant, en tout cas. Il dit que le ranch est toujours là, que nous n’avons qu’à monter, monter et toujours monter, et que nous finirons par arriver devant la porte. Il a dit aussi qu’on ne nous laisserait pas entrer. Mais il se trompe peut-être. »

Ce fut Cassandra, de service dans le bâtiment des enfants, qui entendit les lointains coups de klaxon : trois longs, un bref, et encore trois brefs. Elle décrocha l’interphone et appela le ranch. Une voix qui était soit celle de son mari, soit celle de son beau-frère, lui répondit. Cassandra réussissait mieux que personne à distinguer les voix des jumeaux Mike et Charlie, mais il lui arrivait quand même d’avoir des doutes.

« Mike ? risqua-t-elle.

— Non, c’est Charlie. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Quelqu’un à l’entrée principale. On attend des visiteurs ? » Elle entendit Charlie demander confirmation, auprès de Ron, peut-être.

« Non, personne à notre connaissance. Tu ne pourrais pas faire un saut là-haut pour voir qui c’est et me rappeler ? Là où tu es, tu es plus près de l’entrée que n’importe qui ici.

— Je suis enceinte de six mois et je ne vais faire un saut nulle part, répondit sèchement Cassandra. Et je suis dans la maison des tout petits avec Irène, Andy, La-la, Jane et Cheryl. Et aussi Sabrina. En plus, je ne suis pas armée. Trouve quelqu’un d’autre… tu m’entends ? »

Charlie se mit à marmonner des propos peu aimables et Cassandra raccrocha. Qu’ils se débrouillent sans elle ! Le ranch grouillait d’enfants en bas âge et c’était son boulot de s’occuper d’eux. Charlie pouvait bien trouver quelqu’un d’autre pour faire un saut jusqu’à la grille : Jill, Lisa, ou Mark. N’importe qui. Ou y aller lui-même.

Quelques minutes passèrent. On se remit à klaxonner.

Puis elle vit son jeune cousin Anson monter au petit trot avec le fusil que portait toujours quiconque allait rencontrer des visiteurs inattendus à la grille. Son visage était figé dans le rictus qu’il affichait chaque fois qu’un des hommes plus âgés lui confiait une mission à accomplir. Anson était un gosse terriblement responsable, On pouvait toujours compter sur lui pour démarrer au quart de tour, et par tous les temps.

Et voilà le problème résolu, se dit Cassandra, qui se remit à changer les couches du petit Andy.

« Oui ? » fit Anson en risquant un œil entre les barreaux de la grille. Il tenait le fusil d’une main, négligemment, mais pouvait épauler en une fraction de seconde. Il avait seize ans, était grand, musclé et prêt à tout.

Ces gens n’avaient pas l’air très menaçants, cependant. Une petite femme mince au visage las qui avait à peu près l’âge de sa mère ou quelques années de plus, et un individu bizarre d’une vingtaine d’années, très grand et très svelte, avec d’immenses yeux bleu-vert, une peau sombre et une énorme tignasse de cheveux bouclés et luisants qui n’était ni tout à fait rousse, ni tout à fait brune.

« Je m’appelle Cindy Carmichael, dit la conductrice. J’étais la femme de Mike Carmichael, il y a très, très longtemps. Voici Khalid, qui a fait la route avec moi. Nous ne savons pas où aller et nous nous demandons si vous pourriez nous prendre avec vous.

— La femme de Mike Carmichael », répéta Anse en fronçant les sourcils. Voilà qui était troublant. Son cousin s’appelait Mike Carmichael, mais l’épouse de Mike était Cassandra ; en fait, cette femme était assez vieille pour être la grand-mère de Mike. Elle devait forcément parler d’un autre Carmichael, en quelque autre temps.