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« Hier soir, dit-il, Jill m’a raconté quelque chose d’extrêmement étrange à ton sujet, Khalid. J’ai pratiquement passé la nuit à y réfléchir.

— Ah oui ? fît Khalid, plus réservé que jamais.

— Il y a un certain temps de ça, tu lui aurais raconté que si tu avais été envoyé en camp de détention, c’était pour avoir tué une Entité. Cette Entité qui a été assassinée sur une route, en Angleterre, il y a quinze ou vingt ans.

— Oui, dit Khalid.

— Oui quoi ?

— Oui, c’est la vérité. C’est moi qui ai fait le coup. » Les yeux pénétrants d’Anson restaient posés sur lui sans ciller. Mais Khalid ne craignait le regard de personne. « Et tu n’en as jamais soufflé mot à personne ?

— Cindy le sait. Je le lui ai dit il y a des années, la première fois que je l’ai rencontrée, avant même notre arrivée au ranch.

— Oui, je lui ai posé la question hier soir, et elle confirme que tu lui as raconté cette histoire pendant que vous descendiez du Nevada dans sa bagnole. À l’époque, elle ne savait pas si elle devait te prendre au sérieux. Elle ne le sait toujours pas.

— J’étais sérieux. C’est bien moi qui ai fait le coup.

— Mais tu n’as jamais jugé bon d’en parler ici. Pourquoi ?

— Pourquoi j’en aurais parlé ? Ce n’était pas le genre de chose qui revient tout le temps dans la conversation. C’est quelque chose que j’ai fait une nuit, il y très longtemps, quand j’étais encore un enfant, pour des raisons qui ne regardaient que moi cette nuit-là, et ça n’a plus d’importance pour moi à présent.

— Khalid, il ne t’est jamais venu à l’idée, intervint Mike Carmichael, que ça pouvait en avoir pour nous ? »

Khalid haussa les épaules.

« Qu’est-ce qui t’as poussé à t’en ouvrir à Jill, après tout ce temps ? demanda Anson.

— Au départ, c’est quelque chose que j’ai raconté à ma fille Khalifa, pas à Jill. Khalifa s’était imaginée qu’une Entité d’une espèce insolite était venue ici au ranch, avait joué avec elle, l’avait menacée au cas où elle révélerait quoi que ce soit de ce qui s’était passé… Un truc que ton fils Andy lui avait mis dans la tête, précisa Khalid en regardant Steve avec froideur… Quand j’ai entendu cette histoire, j’ai dit à la petite de ne pas avoir peur, que je la protégerais comme tout père le ferait, que j’avais déjà tué une Entité et que je recommencerais s’il le fallait. Ensuite, Jill m’a demandé si j’avais vraiment fait une chose pareille. Alors, je lui ai tout raconté. »

Leslyn Carmichael, jeune femme mince qui présentait pour Khalid une ressemblance troublante avec la Jill d’il y avait dix ans, intervint. « Les Entités sont capables de lire dans les esprits et de se défendre contre des agressions avant même qu’on les attaque. C’est pour cela que personne n’a jamais réussi à en tuer une, sauf dans cet incident unique en Angleterre, il y a tellement longtemps. Comment se fait-il que tu aies réussi là où tout le monde se casse les dents, Khalid ?

— Lorsque l’Entité est arrivée sur la route dans son véhicule, il n’y avait rien dans mon esprit qui puisse lui donner l’alerte. Je ne ressentais aucune haine envers elle, aucune inimitié. Je ne laissais rien de tel entrer dans mon esprit. Je trouvais les Entités très belles, et j’aime ce qui est beau. Je savourais l’amour que j’éprouvais pour celle-ci, pour sa beauté, à l’instant même où j’ai pris mon fusil et lui ai tiré dessus. Si Elle avait regardé dans mon esprit quand je me suis approché, Elle n’y aurait vu que mon amour.

— Tu peux faire ça ? demanda Anson. Tu peux débrancher dans ton esprit tout ce que tu ne veux pas qu’on y trouve ?

— Je le pouvais à l’époque. Peut-être que je le peux encore.

— Est-ce pour cela que tu n’as pas été désigné comme responsable du meurtre, ensuite ? demanda Leslyn. Tu as effacé de ton esprit toute référence au crime pour que les interrogateurs des Entités ne puissent rien détecter dans ta conscience ?

— Il n’y a pas eu d’interrogatoire. Les Entités ont simplement donné l’ordre de rassembler toute la population de la ville et de la punir, comme si nous étions tous coupables. Ce sont des soldats humains sous les ordres des Entités qui nous ont rassemblés. Mon esprit leur aurait été impénétrable. »

Un lourd silence s’installa dans la pièce tandis que les Carmichael méditaient les paroles de Khalid. Il les observa, vit à leurs expressions qu’ils soupesaient ses paroles, en estimaient la vraisemblance.

Croyez-moi ou ne me croyez pas, comme il vous plaira. Pour moi, c’est pareil.

Mais il semblait bien qu’ils le croyaient.

« Approche-toi, Khalid, dit Anson en indiquant le bureau revêtu de cuir. Je veux te montrer quelque chose. »

Des documents étaient étalés sur toute la surface du bureau. Des listings d’ordinateur, pleins de lignes en zigzags, de diagrammes, de schémas. Khalid les considéra sans les comprendre, sans manifester le moindre intérêt.

« Ça fait cinq ou six ans que je collectionne ces rapports, expliqua Anson. Ils constituent une analyse des déplacements des Entités des castes supérieures entre les grandes villes, dans la mesure où nous avons pu les repérer. Ces pointillés, ici, sont des vecteurs de transit qui indiquent les mouvements. Ils représentent des Entités dominantes qui se déplacent d’un endroit à l’autre. Regarde. Là. Là. Et là. Et cet amas, là. » II montrait du doigt des groupes de lignes et de points.

« Oui, fit Khalid, pour meubler.

— Nous avons remarqué, au fil des années, certaines récurrences parmi ces configurations : un flux d’Entités entrant dans certains lieux et sortant de certains autres, se rassemblant parfois en assez grand nombre dans lesdits lieux. Los Angeles est un de ces lieux. Londres en est un autre. Istanbul, en Turquie, en est un troisième. »

Anson lui décocha un regard pénétrant comme s’il s’attendait à une réaction quelconque. Khalid resta muet.

« II est devenu évident, ou du moins le croyons-nous, poursuivit Anson, que ces trois métropoles sont les principaux centres de commandement des Entités, leurs capitales sur Terre, et que Los Angeles est probablement la capitale de leurs capitales. Tu sais peut-être que le Mur autour de Los Angeles est plus haut et plus épais que les murs qui entourent n’importe quelle autre ville. Il se peut que cela ait un sens. Et voilà, Khalid, nous enfourchons notre grande hypothèse. Non seulement Los Angeles est très vraisemblablement leur base principale, mais il se peut qu’y réside une figure suprême, le commandant en chef de toutes les Entités, que nous appelons déjà l’Entité Numéro Un. »

Nouveau regard prudent en direction de Khalid. Nouvelle absence de réaction. Que pouvait-il dire ?

« Nous pensons… nous devinons, nous soupçonnons, nous croyons, reprit Anson, que toutes les Entités sont peut-être reliées télépathiquement à l’Entité Numéro Un et qu’Elles font régulièrement des pèlerinages au site où se trouve le Numéro Un pour une raison quelconque que nous ne comprenons pas mais qui est peut-être en rapport avec leurs processus biologiques ou leurs processus mentaux. Une sorte de communion, qui sait ? Comme si Elles se régénéraient d’une manière ou d’une autre en allant voir le Numéro Un. Et ça se passe à Los Angeles, bien qu’il y ait certains indices secondaires qui désigneraient Londres ou Istanbul.