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Elle sourit aimablement et quitta la chambre.

« Tu es vraiment malade à ce point ? demanda abruptement Anson lorsque Cassandra fut partie.

— Je suis drôlement patraque. Mais je ne crois pas que je vais claquer maintenant. N’empêche que j’aimerais bien que Cassie sache un peu mieux ce qui se passe dans mon bide… Qu’est-ce qu’il y a, Anson ?

— Je crève d’envie de m’attaquer au Numéro Un. Voilà.

— Tu veux dire que vous avez enfin réussi à repérer sa planque ? Alors, où est le problème ? Tu y vas et tu le descends !

— Nous n’avons rien repéré du tout ! Nous n’en savons pas plus qu’il y a cinq ans. L’hypothèse Los Angeles est toujours en tête de liste, mais c’est toujours une hypothèse. Le problème, c’est que je veux pas attendre plus longtemps. Je suis pratiquement arrivé à bout de patience, c’est tout.

— Et Tony ? Il s’impatiente lui aussi ? Il est tout chose à l’idée de taper dans le noir, hein ? Il veut aller au charbon sans savoir exactement où il est censé aller ?

— Il fera tout ce que je lui dirai de faire. Khalid l’a chargé à bloc. Il est comme une bombe prête à exploser.

— Comme une bombe. Prêt à exploser. Ah. Ah. » Ça avait presque l’air de l’amuser. Il avait une expression bizarrement sceptique et affichait un sourire qui n’en était pas tout à fait un.

Anson ne dit rien et se contenta d’affronter le regard de Ron. Et d’attendre. C’était un moment difficile. Il y avait chez son père un zeste d’espièglerie, une imprévisibilité de vif-argent à laquelle Anson n’avait jamais su répondre.

« Écoute-moi bien, dit alors Ron d’un ton solennel. Nous préparons cette attaque depuis des années, nous entraînons notre tueur avec l’idée de l’envoyer en mission dès que nous aurons exactement localisé le repaire du Numéro Un ; maintenant notre tueur est prêt mais nous n’avons toujours pas localisé sa cible, et tu voudrais l’envoyer là-bas quand même ? Aujourd’hui ? Demain ? C’est pas un peu prématuré, mon petit ? A-t-on seulement la certitude que le Numéro Un existe vraiment, sans parler du lieu où il se trouve ? »

Autant de coups de scalpel. La stupidité du jeune chef téméraire mise à nu, tout comme Anson l’avait redouté, prévu et même espéré. Il sentit le rouge lui monter aux joues. Dut rassembler tout son courage pour soutenir le regard de Ron. Il commençait à avoir mal à la tête.

« Ça fait des semaines que je sens monter la pression, p’pa, dit-il piteusement. Plus longtemps, même. J’ai l’impression que je laisse tomber le monde entier si je continue de retenir Tony comme ça. Et puis ça commence à cogner dans ma tête. Ça cogne en ce moment même.

— Prends une aspirine, alors. Prends-en deux. On en a encore plein. »

Anson recula comme s’il avait reçu un coup. Mais Ron feignit de ne pas s’en apercevoir. Il arborait à nouveau son sourire équivoque. « Écoute, Anson, les Entités sont là depuis quarante ans. Nous nous sommes tous retenus de réagir pendant tout ce temps. À part l’attaque laser suicidaire et insensée qui a déchaîné la Pandémie sur nous avant ta naissance et l’attentat réussi, et peut-être impossible à reproduire du seul Khalid, nous n’avons pas levé le petit doigt contre Elles pendant tout ce temps. Jusqu’à sa mort, ton grand-père n’a cessé de se désoler parce que notre planète avait été asservie par ces extraterrestres et qu’il ne savait que trop bien qu’il serait stupide de tenter la moindre action avant de savoir ce que nous faisions. Ton oncle Anse a mijoté des décennies durant sur cette montagne en noyant son chagrin dans l’alcool pour la même raison. J’ai géré la situation passablement bien, j’imagine, mais je ne suis pas éternel moi non plus, et tu ne crois pas que j’aimerais voir les Entités ficher le camp avant que je passe de l’autre côté ? Bref, on a tous eu notre petite leçon de patience à apprendre. Tu as quel âge, trente-cinq ans ?

— Trente-quatre.

— Trente-quatre ans. À cet âge-là, tu devrais déjà avoir appris à ne pas sortir de tes gonds.

— Je ne crois pas que je sois en train de sortir de mes gonds. J’ai seulement peur que Tony perde la forme si nous le retenons encore plus longtemps. Nous le gardons sous pression pour ce projet depuis sept ans. Il risque d’être surentraîné maintenant.

— Très bien. Alors, demain à l’aube, tu l’envoies à L.A. avec deux pistolets à la ceinture et une bandoulière pleine de grenades et il abordera la première Entité venue en disant : “Pardon, m’sieur, pouvez-vous me donner l’adresse du Numéro Un ?” C’est comme ça que tu vois les choses ? Si tu ne sais pas où est la cible, où vas-tu balancer ta bombe ?

— J’ai déjà réfléchi à tout ça.

— Et tu veux quand même l’envoyer au casse-pipe ? Tony est ton frère. C’est pas comme si t’en avais des tas d’autres. Tu es vraiment prêt à l’envoyer se faire tuer ?

— C’est un Carmichael, p’pa. Il a assumé les risques dès le début. »

Ron poussa un gémissement. « Un Carmichael ! Un Carmichael ! Mon Dieu, Anson, faut-il que j’entende cette connerie jusqu’à la fin de mes jours ? Ça veut dire quoi, être un Carmichael ? Désapprouver le comportement de ses propres enfants, comme le Colonel, et couper les ponts avec eux pendant des années ? Se décarcasser pour quelque idéal et s’abrutir dans l’alcool pour continuer à se supporter, comme Anse ? Ou terminer comme le frère du Colonel, Mike, qui était tellement travaillé par sa conception du comportement correct qu’il s’est trouvé une mort héroïque le jour où les Entités ont débarqué ? Est-ce que par hasard tu penses que Tony doit aller gaiement vers une mort certaine dans une mission délirante sous prétexte qu’il a eu la malchance d’être né dans une famille de maniaques de la discipline et de fanatiques de la réussite ? »

Horrifié, Anson ne pouvait détacher ses yeux de Ron. C’était là des paroles auxquelles ils ne s’attendait pas et qui le frappaient de plein fouet. Ron était écarlate, il tremblait, à la limite de l’apoplexie. Mais il finit par se calmer un peu.

« Allez, allez, allez, écoutez-moi ce vieux birbe délirer ! dit-il en affichant de nouveau son sourire mi-figue, mi-raisin. Ce festival de bruit et de fureur… Blague à part, Anson, je sais que tu veux être le général qui lancera la contre-offensive victorieuse contre les envahisseurs tant redoutés. C’est ce que nous voulions tous être, et tu le seras peut-être pour de vrai. Mais ne risque pas la vie de Tony trop tôt, d’accord ? Tu ne peux pas attendre d’avoir au moins une idée correcte de l’endroit où se trouve le Numéro Un ? Steve et Andy sont toujours en train d’essayer d’élaborer un processus de localisation précis, non ?

— C’est exactement ce que fait Steve, en effet. Avec l’aide occasionnelle d’Andy, chaque fois qu’il daigne s’intéresser au projet. Ils sont pratiquement sûrs que c’est à L.A. que le Numéro Un est planqué, probablement dans le centre-ville, mais ils ne peuvent pas préciser davantage. Et maintenant Steve me dit qu’il se heurte à un mur. Il croit qu’Andy est le seul bidouilleur assez qualifié pour passer au travers. Mais Andy est parti.

— Parti ?

— Il s’est tiré la nuit dernière. Il paraît qu’il a mis La-la enceinte et qu’il ne tenait pas traîner dans les parages.

— Non ! Le sale petit connard !

— Nous allons essayer de le retrouver et de le ramener. Mais nous ne savons même pas où le chercher.

— Eh bien, faites travailler vos méninges. Capturez-le, ramenez-le au ranch de gré ou de force et bouclez-le dans la salle des communications jusqu’à ce qu’il vous dise où se trouve exactement le Numéro Un : dans quel quartier, dans quel immeuble. Et alors seulement, envoyez Tony. Pas avant, pas avant de connaître l’adresse au numéro près. D’ac ? »