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« Los Angeles », énonça-t-il d’une voix grave et pleine d’autorité.

Et elle l’emmena à Los Angeles. Comme sur un tapis volant, ou presque. Il trouva Darleen, mais pas Delayne, car elle avait été surprise à commettre une infraction quelconque et transférée dans une équipe de travailleurs opérant à partir d’Ukiah, quelque part très loin dans le nord de l’État. Darleen était toutefois disposée à passer un jour ou deux à jouer avec lui. Elle s’ennuyait apparemment autant qu’Andy et ce fut pour elle un vrai cadeau de Noël.

Il visita la ville avec elle, ce qui lui permit d’avoir une bonne idée de son immensité. Il comprit alors que la métropole était composée de tout un chapelet de petites villes qui se rejoignaient en une agglomération gigantesque. Et en entendant leurs noms – Sherman Oaks, Van Nuys, Studio City, West Hollywood –, il commença à localiser plus concrètement certains des bidouilleurs avec qui il était en rapport depuis quelques années.

Ils le connaissaient sous le pseudo de Megabyte Monster, alias Mickey Megabyte. Lui connaissait Teddy Spaghetti de Sherman Oaks, Nicko Nihil, le « Nul » de Van Nuys, Green Hornet, le « Frelon vert » de Santa Monica, Sammo Borracho, le « Poivrot mexicain » de Culver City, Ding-Dong 666 de L.A. Ouest. Tout en roulant avec Darleen, Andy se connecta à une série de bornes d’accès très éloignées les unes des autres et annonça à ses confrères qu’il était dans les parages. « Je passe deux jours ici pour voir une fille que je connais », disait-il. Et il attendait ce qu’ils avaient à répondre. Pas grand-chose, à vrai dire. Pas d’invitation immédiate pour un face à face, un contact oculaire. La prudence était de rigueur quand il s’agissait de rencontrer physiquement d’autres clandestins du réseau qu’on ne connaissait que par voie électronique. Ils risquaient de ne pas être exactement comme on se les représentait. Certains pouvaient être des mouchards au service du LAGON, voire des Entités, qui se feraient un plaisir de vous balancer rien que pour se faire caresser le museau par leurs maîtres. D’autres des prédateurs. Ou des détraqués.

Mais Andy les sonda tous – et vice versa – et finit par décréter qu’il ne risquait rien à rencontrer Sammo Borracho de Culver City, pour commencer. Le personnage télématique de Sammo Borracho était un individu vif et intelligent qui était néanmoins toujours prêt à reconnaître la supériorité d’Andy en matière de décryptage des données.

« Tu sais comment on va à Culver City ? demanda Andy à Darleen.

— Et pourquoi tu veux y aller ? fit-elle avec une grimace. C’est drôlement loin.

— Y a là-bas quelqu’un avec qui j’ai besoin de parler face à face. Mais je peux me débrouiller tout seul si ça t’ennuie de me dire comment…

— Mais non. Je t’accompagne. De toute façon, y a qu’à continuer sur Sepulveda pendant des kilomètres et des kilomètres. On peut faire un petit bout de chemin sur l’autoroute, mais la chaussée est foutue à partir de l’échangeur de Santa Monica. »

Le trajet prit plus d’une heure, via tout un assortiment de localités, dont certaines étaient complètement détruites par le feu. Sammo Borracho, qui s’était toujours présenté télématiquement comme un gros Mexicain basané imbibé de tequila, était en réalité un petit jeune pâle et maigre, un peu nerveux, avec une broche d’implant à chaque bras et de discrets tatouages violets qui s’alignaient sur ses joues. Il n’était ni ivre, ni Mexicain et avait à peine deux ans de plus qu’Andy. Ils l’avaient rejoint comme convenu dans une salle de pachinko à l’ombre des ruines de San Diego Freeway. À la manière dont il reluquait Darleen, Andy s’imagina qu’il n’avait pas baisé depuis au moins trois ans – s’il avait déjà baisé.

« Je t’aurais cru plus vieux, déclara Sammo Borracho.

— Pareil pour toi. »

II dit à Sammo Borracho qu’il avait dix-neuf ans, avec un clin d’œil à Darleen pour lui imposer le silence, car elle pensait qu’il n’en avait que dix-sept. Il avait en réalité quatorze ans et demi. Sammo Borracho prétendait avoir vingt-trois ans. Andy lui en donnait tout au plus dix-sept.

« T’habites à San Francisco, c’est ça ? lui demanda Sammo Borracho.

— Exact.

— Chuis jamais allé là-haut. Y paraît qu’on se les gèle tout le temps.

— On fait avec, dit Andy, qui n’y était jamais allé non plus. Mais je commence en avoir marre.

— Tu penses à t’installer ici, hein ?

— Dans un an ou deux, peut-être.

— Fais-moi signe alors. J’ai des relations. Je connais deux rec-tifieurs. J’ai fait un peu de rectif moi-même, et je pourrais probablement en faire pour toi, si ça t’intéressait.

— Ça se pourrait.

— Des rectifieurs ? intervint Darleen en ouvrant de grands yeux. Tu connais des rectifieurs ?

— Pourquoi tu demandes ? dit Sammo Borracho. T’as besoin qu’on t’arrange quelque chose ? »

Andy, Darleen et Sammo Borracho passèrent la nuit ensemble chez ce dernier, dans la périphérie est de Culver City. C’était une expérience nouvelle pour Andy. Et très intéressante, à certains égards.

« Chaque fois que tu descends passer quelques jours à L.A., lui dit Sammo Borracho le lendemain matin, préviens-moi, mec. Je t’arrangerai les plans que tu veux. T’as qu’à me faire signe. »

La troisième visite à L.A. eut lieu deux ans plus tard, lors-qu’Andy apprit qu’on venait d’inventer de nouvelles interfaces adaptables à sa broche d’implant, versions qui avaient une capacité de biofiltration double de celle des anciennes. De quoi attirer son attention. D’abord, les progrès techniques se faisaient rares, ensuite, il était vital d’éliminer des implants le maximum d’impuretés d’origine biologique. La dernière grande percée, la fabrication d’anéroïdes mobiles, datait déjà de cinq ans et s’était accomplie dans des laboratoires quislings sous l’égide des Entités. La nouvelle interface était le produit de la bonne vieille technologie humaine pure et dure.

Il se trouva qu’il n’y avait que deux endroits où Andy pouvait se faire installer cette interface : la vieille vallée du Silicium juste au sud de San Francisco, ou Los Angeles. Il se rappela ce que Sammo Borracho avait dit du temps à San Francisco. Andy avait horreur du froid ; et c’était peut être aussi le moment de revoir Darleen. Il subtilisa la voiture paternelle sans trop de mal et partit pour Los Angeles.

Darleen n’habitait plus dans la vallée de San Fernando. Après un festival de codes d’accès en cascade qui lui ouvrirent les fichiers LAGON des permis de séjour, Andy la retrouva à Culver City, en ménage avec Sammo Borracho. Delayne avait quitté le camp de travail d’Ukiah grâce aux bons offices d’un rectifieur et habitait là elle aussi. Sammo Borracho était apparemment un bidouilleur comblé.

Tu peux me renvoyer l’ascenseur, mon pote, songea Andy.

« Alors tu viens t’installer au sud, finalement ? » lui demanda Sammo Borracho, un rien inquiet de cette éventualité, comme s’il croyait qu’Andy avait l’intention de récupérer une des filles, voire les deux.

« Pas encore, mec. Je suis là en vacances, c’est tout. Mais je m’suis dit que je profiterais bien de l’occase pour me faire monter une de ces nouvelles bio-interfaces. Tu connais un installateur ?

— Bien sûr », dit Sammo Borracho sans prendre la peine de cacher son soulagement en voyant que c’était tout ce qu’Andy voulait de lui.

Andy se fit monter sa nouvelle interface dans le centre-ville de L.A. L’installateur de Sammo Borracho était un petit bossu à la voix douce et chantante et aux yeux d’aigle, qui exécuta toute l’opération à la main, sans compas, sans microscope. En plus, Sammo Borracho laissa Andy lui emprunter Delayne pour deux nuits. Quand il commença à s’ennuyer avec elle, il rentra au ranch.