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Dur, de s’entendre dire qu’il fallait éviter la perfection. C’était contraire à sa nature de saboter le boulot. Mais il faudrait qu’il allonge vite fait une ou deux rectifs merdiques, histoire de faire plaisir aux gusses de la corpo.

Au début de la deuxième semaine, une femme vint le trouver pour se faire muter à San Diego. Jolie, vingt-huit ou trente ans, elle bossait dans la section judiciaire du LACON, avait une raison quelconque pour changer de ville mais n’arrivait pas à trouver le piston nécessaire. Tessa, elle s’appelait. Des cheveux roux bouffants, des lèvres rouges et charnues, un sourire agréable, bien foutue avec ça. Sympa. Il avait toujours eu un faible pour les femmes plus âgées.

Andy n’était pas rassuré de voir tant de gens du LACON venir lui demander des rectifications. Mais cette femme avait elle aussi une lettre de recommandation en bonne et due forme.

Il commença à lui bidouiller sa rectif.

Puis il dit, en songeant aux cheveux roux, au corps superbe, à la semaine et demie qu’il venait de passer à dormir tout seul dans cette grande ville inconnue : « Vous savez, Tessa, j’ai une idée. Supposons que je concocte un transfert pour nous deux, pour la Floride, ou peut-être le Mexique. Ça serait pas mal, le Mexique, hein ? Cuernavaca, Acapulco, quelque part au soleil. » C’était une impulsion soudaine, incontrôlée. Et merde ! Qui ne risque rien n’a rien. « On pourrait se prendre des petites vacances sympas vous et moi, d’ac ? Et quand on rentrerait, vous iriez à San Diego, où dans la ville de votre choix, et… »

Andy vit tout de suite sa réaction ; elle n’était pas favorable.

« Je vous en prie », dit-elle d’une voix polaire, pincée. Elle avait laissé son aimable sourire au vestiaire et le fusillait carrément du regard. « On m’a dit que vous étiez un professionnel. Essayer de draguer les clientes n’est pas très professionnel.

— Excusez-moi. Il se peut que je me sois laissé un peu emporter.

— C’est San Diego que je veux, d’accord ? Et en solo, si ça ne vous gêne pas.

— D’accord, Tessa. D’accord. »

Elle continuait de le toiser d’un air sévère, comme s’il avait baissé son froc devant elle, ou pis encore. Soudain, la colère le saisit. Peut-être qu’il s’était effectivement laissé emporter, d’accord. Qu’il avait fait un écart, oui. Mais ça ne donnait pas le droit à cette nana de le regarder comme ça, hein ? Hein ? Il se sentait agressé d’avoir à affronter ce regard uniquement parce qu’il s’était un peu écarté du droit chemin.

Il était censé écrire deux ou trois rectifs qui n’aboutissaient pas, lui avait dit le type de chez Mary Canary. Il n’avait qu’à saloper son code un tout petit peu – une fois n’est pas coutume –, injecter une microdose d’erreur.

Très bien. Autant commencer par elle. Et merde. On verra bien. Il lui rédigea une autorisation de sortie pour San Diego. Et y inséra un tout petit bogue, vers la fin, qui foutait en l’air tout l’ensemble. Un bogue vraiment minuscule, même pas une ligne de code. Mais qui produirait l’effet voulu. Ça lui ferait les pieds, à cette grognasse. Il n’aimait pas que les gens le regardent comme ça.

Ce fut Mark, le fils aîné de Paul Carmichael, qui conduisit Tony à Los Angeles, en roulant vers l’est sur la petite route qui traversait Fillmore et Castaic jusqu’à l’endroit où elle rencontrait les vestiges de l’Interstate 5, puis plein sud ensuite. Steve Gannett avait conclu que l’emplacement le plus vraisemblable du sanctuaire du Numéro Un était le secteur nord-est de L.A., délimité par Hollywood Freeway au nord, Harbor Freeway à l’ouest, le Mur à l’est et Vernon Boulevard au sud.

À l’intérieur de cette zone, disait Steve, l’emplacement le plus probable se situait en plein dans l’ancien quartier des affaires du centre-ville. Il disposait de toutes sortes de chiffres basés sur les observations des vecteurs de déplacement des Entités, données qui prouvaient, au moins à sa satisfaction personnelle, qu’un certain immeuble à deux blocs au sud du vieux Civic Center était l’endroit recherché. Mark le déposa donc devant le Mur à la porte d’East Valley, là où Burbank jouxtait Glendale ; impossible de s’approcher davantage du centre-ville. Mark resterait là à attendre, des jours durant s’il le fallait, tandis que Tony entrerait dans la ville à pied et progresserait sans faiblir vers la zone désignée comme cible.

« Donne-moi un bip », dit Mark lorsque Tony sortit de la voiture.

Tony leva le bras avec un grand sourire.

« Bip, dit-il. Bip. Bip. Bip. Bip.

— C’est bon, dit Mark. T’es sur l’écran là où y faut. » Ils avaient placé dans l’avant-bras de Tony un implant avec locali-seur incorporé conçu par l’un des meilleurs spécialistes de San Francisco, qui s’était déplacé au ranch pour l’installer. Lisa Gannett l’avait programmé pour qu’il émette son signal directement dans le réseau téléphonique de la ville. Ils pourraient ainsi suivre Tony à la trace partout où il irait. Mark à partir de la voiture, Steve ou Lisa à partir du centre de communications du ranch. « Bon, dit Mark. T’es fin prêt, hein ?

— Bip », fit de nouveau Tony.

Puis il s’éloigna en direction du Mur.

Mark le regarda partir. Tony ne se retourna pas. Il s’approcha de la porte d’un pas rapide et décidé. Lorsqu’il y parvint, il passa son implant sur la borne de contrôle et lui fit lire le code d’accès que Lisa avait écrit pour lui.

La porte s’ouvrit. Tony entra dans Los Angeles. Il était minuit passé de quelques minutes. Son heure de gloire était enfin à sa portée.

Il était prêt. Plus que prêt : Tony était mûr.

Il portait dans son sac à dos un engin explosif miniaturisé, assez puissant pour dévaster une demi-douzaine de blocs. Tout ce qui lui restait à faire était de trouver l’immeuble où Steve croyait avoir localisé la cachette du Numéro Un, y poser la bombe, s’éloigner rapidement puis envoyer le signal, un train d’impulsions unique, apparemment dénué de sens, qui indiquerait à ceux du ranch qu’ils pouvaient faire exploser l’engin au moment de leur choix.

Khalid avait passé près de sept ans à le former en vue de cette opération, purgeant de la conscience de Tony tout ce qui avait pu y résider auparavant pour le remplacer par un tranquille dévouement à l’action brute et irréfléchie. Et tout le monde espérait que Tony était à présent complètement et correctement programmé. À Los Angeles, il s’acquitterait de ses tâches de la manière dont un balai ramasse les feuilles mortes dispersées sur un trottoir, sans porter plus d’attention à ce qui l’avait amené là ou aux conséquences d’une mission réussie que le balai n’en porte aux feuilles mortes ou au trottoir.

« II est à l’intérieur du Mur, dit Mark sur son téléphone de voiture. Il avance. »

Ceux du ranch pouvaient le suivre aussi.

« II est à l’intérieur du Mur, dit Steve en montrant le point jaune sur l’écran, puis le point rouge. Ça, c’est Mark, qui attend dans la bagnole juste à l’extérieur du Mur. Et ça, c’est Tony.

— Et maintenant, on attend, si j’ai bien compris, dit Anson. Mais est-ce que son esprit est suffisamment vide ? Je me demande si on peut aller là-bas, dans la gueule du loup, et coller une bombe sur un immeuble sans réfléchir du tout à ce qu’on est en train de faire. »

Steve leva les yeux de l’écran. « Tu sais ce que Khalid dirait dans ce cas-là ? “Tout est dans les mains d’Allah.”

— Exactement », approuva Anson.

Tony progressait lentement vers le centre dans l’obscurité de la ville, lentement, toujours plus au sud, longeant des fantômes d’autoroutes silencieuses, des immeubles de bureaux gigantesques et déserts, morts et obscurs, vestiges d’une époque qui semblait désormais préhistorique. L’ordinateur intégré à son avant-bras modulait de discrets signaux sonores. Steve le guidait depuis Santa Barbara ; il contrôlait sa progression sur l’écran et le faisait avancer de rue en rue comme le pion robotisé qu’il était devenu. Un son aigu lui disait de tourner à gauche. Un son grave, de tourner à droite. Finalement, il entendrait une série de trois sons aigus ; il devrait alors extraire le petit paquet de son sac à dos et le coller au mur de l’immeuble qui serait exactement en face de lui. Après quoi, il était censé s’éloigner en vitesse du site en revenant sur ses pas.