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— Allez, viens, prends-en quelques-unes, le pressa Ford en secouant à nouveau le sachet. « Si c’est la première fois que tu prends un faisceau de télétransport, tu as sans doute perdu pas mal de sels minéraux et de protéines. La bière que tu as bue devrait déjà avoir partiellement comblé le déficit.

— Whhhrrrrrmmmmm », dit Arthur Dent. Il ouvrit les yeux : « Fait sombre.

— Oui, constata Ford Prefect. Il fait sombre.

— Pas de lumière, dit Arthur Dent. « Sombre ; pas de lumière.

L’une des choses que Ford avait toujours eu le plus de mal à comprendre chez les humains était leur manie de perpétuellement dire et répéter les plus plates évidences, genre : « Quelle belle journée » ou : « Comme vous êtes grand » ou bien : « Chéri, j’ai l’impression que tu es tombé au fond d’un puits de dix mètres, est-ce que ça va ? » Au début, Ford avait bâti une théorie pour justifier ce comportement bizarre : peut-être que si les êtres humains cessaient d’agiter les lèvres, leur bouche risquait de s’ankyloser. Après quelques mois de réflexion et d’observations, il abandonna cette théorie au profit d’une autre : s’ils cessaient d’agiter les lèvres, leur cerveau se mettait à travailler. Au bout d’un moment, il la laissa également tomber, la jugeant d’un cynisme rédhibitoire et conclut en fin de compte qu’il aimait bien les humains après tout ; mais il ne cessait pas d’être désespérément affligé par la terrifiante étendue de leur ignorance.

— Oui, opina-t-il. Pas de lumière.

Il offrit à Arthur quelques cacahuètes.

— Comment te sens-tu ?

— Comme l’Université après réduction des crédits », répondit Arthur. « J’ai perdu une partie de mes facultés.

Dans l’obscurité, Ford lui jeta un regard de totale incompréhension.

— Si je te demandais où diable nous sommes, poursuivit Arthur, aurais-je lieu de le regretter ?

Ford se leva.

— Nous sommes en lieu sûr.

— À la bonne heure, dit Arthur.

— Nous sommes dans une petite cabine attenant aux cuisines, expliqua Ford… de l’un des vaisseaux de la flotte de construction Vogon.

— Ah ! dit Arthur. Voilà assurément un bizarre emploi du mot sûr ; un que j’ignorais jusqu’à maintenant, en tout cas.

Ford craqua une nouvelle allumette et partit à la recherche d’un interrupteur électrique. Les ombres monstrueuses se mirent à danser et sauter partout. Arthur se leva en titubant, les bras serrés avec appréhension. Des formes hideuses autant qu’inconnues semblaient se presser autour de lui, l’air était lourd de senteurs de moisi qui s’immisçaient dans ses poumons sans avoir été présentées, tandis qu’un irritant murmure grave et persistant l’empêchait de rassembler ses esprits.

— Comment a-t-on fait pour arriver là ? demanda-t-il avec un léger frisson.

— En faisant du stop.

— Pardon ? Essaierais-tu de me faire croire qu’il a suffi qu’on lève le pouce pour qu’un monstre vert aux yeux pédonculés se pointe et nous dise : Salut les gars, montez donc, je peux toujours vous amener jusqu’à l’échangeur de Basingstoke ?

— Eh bien, expliqua Ford, le pouce c’est une balise sub-éther électronique, l’échangeur c’est l’étoile de Barnard à six années-lumière d’ici mais autrement c’est à peu près le plan.

— Et le monstre aux yeux pédonculés… ?

— … est bien vert, oui.

— Extra, dit Arthur. Quand est-ce que je peux rentrer chez moi ?

— Tu ne peux pas, dit Ford Prefect qui venait de découvrir l’interrupteur. « Abrite-toi les yeux… », et il alluma.

Même Ford fut surpris.

— Bonté divine, dit Arthur. Est-ce vraiment l’intérieur d’une soucoupe volante ?

Le Prostetnic Vogon Jeltz traînait sa grande carcasse laide et verte dans la passerelle de commandement. Il se sentait toujours vaguement écœuré après avoir démoli une planète habitée. Il aurait voulu que quelqu’un vienne lui dire qu’on s’était complètement trompé, histoire d’avoir l’occasion de lui crier dessus pour se soulager. Il se laissa tomber aussi pesamment que possible sur son siège avec l’espoir qu’il se briserait, lui offrant par là même une raison valable de se fâcher mais le siège ne laissa échapper qu’un vague craquement plaintif.

— Dégage ! cria Jeltz au jeune garde vogon qui venait d’apparaître sur le pont.

Le garde s’empressa de disparaître, plutôt soulagé : il était ravi de ne pas être celui qui devrait lui délivrer le message qu’ils venaient de recevoir. Ce message était en effet un communiqué officiel annonçant qu’un des centres de recherche spatiale du gouvernement situé sur Damogran venait de présenter un merveilleux nouveau système de propulsion dont l’efficacité allait ôter toute utilité aux voies express hyperspatiales.

Une autre porte coulissa mais cette fois le capitaine vogon ne cria pas puisque c’était la porte des cuisines où les Dentrassis préparaient ses repas. Et un repas serait le bienvenu.

Une énorme créature couverte de fourrure franchit le seuil en portant un plateau. Elle marchait en faisant des bonds tout en arborant un grand sourire niais.

Le Prostetnic Vogon Jeltz était ravi : il savait que lorsqu’un Dentrassi semble aussi content de lui c’est qu’il y a sans conteste à bord de quoi le mettre, lui, particulièrement en colère.

Ford et Arthur regardèrent autour d’eux.

— Eh bien, ton avis ? dit Ford.

— Plutôt sordide, non ?

Ford fronça les sourcils en découvrant le matelas crasseux, les tasses sales et les fragments non identifiables de sous-vêtements épars qui empestaient leur réduit encombré.

— Ben, on est quand même à bord d’un engin de travaux publics, expliqua Ford. Ce sont les quartiers des Dentrassis.

— Je croyais t’avoir entendu les appeler des Vogons ou quelque chose comme ça ?

— Oui. Les Vogons commandent le vaisseau. Les Dentrassis sont les cuistots ; ce sont eux qui nous ont laissé embarquer.

— Je m’y perds.

— Tiens, jette donc un œil là-dessus », et Ford s’assit sur l’un des matelas pour fourrager dans sa pochette.

Arthur tâta nerveusement le matelas avant de s’y installer à son tour (en fait, il n’avait guère à s’inquiéter car tous les matelas élevés dans les marécages de Coinslab-Huhl Bêta sont très soigneusement tués et séchés avant d’être mis en service. Fort rares sont ceux à être jamais revenus à la vie).

Ford tendit un livre à Arthur.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda ce dernier.

— Le Guide du routard galactique. Une sorte d’annuaire électronique, si tu veux. Il peut te dire tout ce que tu as besoin de savoir sur n’importe quel sujet. C’est son boulot.

Arthur le retourna nerveusement entre ses doigts.

— J’aime bien l’étui : pas de panique ! Voilà bien la première chose d’utile ou de compréhensible qu’on m’ait dite de la journée.

— Je vais te montrer comment ça marche. » Et Ford le reprit à Arthur qui le tenait toujours comme si c’était un cadavre de vieux rossignol datant de trois semaines. Il le sortit de son étui. « Tu vois : tu presses le bouton, là et l’écran s’allume et t’affiche l’index.

Un écran d’environ huit centimètres sur dix s’éclaira et des caractères apparurent à sa surface.

— Tu veux te renseigner sur les Vogons ; bon, alors, je rentre le nom… comme ça (ses doigts pianotèrent sur d’autres touches). Et nous y voilà.

Les mots : Flotte de construction Vogon s’inscrivirent en vert sur l’écran.

Ford appuya sur un gros bouton rouge au bas de l’afficheur et des mots se mirent à défiler. En même temps, le livre commençait à réciter l’article d’une voix calme et posée.