— Essaie un peu de comprendre son problème », insista Ford. « Regarde ce pauvre mec, toute sa vie se passe à piétiner en rond, à balancer les gens hors des astronefs…
— Et à hurler, ajouta le garde.
— Et à hurler, bien sûr », dit Ford en tapotant le bras livide qui lui enserrait le cou avec une amicale condescendance. «… Et il ne sait même pas pourquoi il le fait !
Arthur reconnut que tout cela était fort triste. Il l’admit avec l’esquisse d’un faible hochement de tête, vu qu’il était trop asphyxié pour parler.
Le garde laissa échapper de profonds grognements de surprise : « Ben… en voyant maintenant les choses comme ça, je suppose…
— Brave garçon ! l’encouragea Ford.
— Mais, bon… », continua-t-il de grommeler. « Qu’est-ce que vous voyez comme solution ?
— Eh bien, dit joyeusement (mais lentement) Ford, « mais d’arrêter de faire ça, bien sûr ! » Et il enchaîna : « Allez leur dire que vous ne le ferez plus.
Il sentait qu’il lui fallait ajouter quelque chose à ça mais pour l’heure, le garde semblait avoir l’esprit suffisamment occupé à peser cette première suggestion.
— Euuuuuuhhhhhrrrrrrrrmmmmmmm, dit le garde, euhrm, eh bien ça ne m’a pas l’air si bon que ça…
Ford sentit soudain la chance lui échapper :
— Bon, attendez une minute… ce n’est qu’un début, voyez-vous, il y a encore d’autres choses…
Mais à ce moment le garde renforça sa prise et poursuivit son propos originel qui était de fourrer les prisonniers dans le sas. Il était à l’évidence tout à fait ébranlé.
— Non, je crois que finalement pour vous c’est du pareil au même, leur dit-il. Je ferais mieux de vous balancer tous les deux dans ce sas avant d’aller finir de pousser les hurlements qu’il me reste encore à pousser.
Ce n’était pas du tout du pareil au même pour Ford Prefect :
— Allons donc !… Mais écoutez ! rétorqua-t-il moins joyeusement (et moins lentement).
— Aaaarrrrrggggghhhhhhmmmmm…, dit Arthur sur un ton difficilement définissable.
— Mais enfin, attendez ! poursuivait Ford. Je ne vous ai pas encore parlé de la musique et de l’art et de… aaarrgghh !
— Toute résistance est inutile, beugla le garde, qui ajouta : « Vous voyez, en continuant dans cette voie, je peux terminer promu au rang de Grand Officier de la Légion des hurleurs et comme en général des places d’officier sont rares pour les non-hurleurs ou non-balanceurs-de-gens-dehors, j’aime autant me cantonner à ce que je sais faire.
Ils avaient à présent atteint le sas – une lourde porte circulaire en acier massif, encastrée dans l’épaisseur du revêtement intérieur du vaisseau. Le garde manœuvra une commande et le sas s’ouvrit en douceur.
— Mais merci quand même de votre intérêt », ajouta le garde vogon. « Eh bien salut !
Et il balança Arthur et Ford à l’intérieur du petit sas.
Arthur resta étendu, cherchant à reprendre son souffle. Ford se retourna d’un bond pour donner vainement de l’épaule contre la lourde porte qui se refermait.
— Mais écoutez ! » cria-t-il au garde, « il existe tout un univers dont vous ignorez tout… Tenez, qu’est-ce que vous dites de ça ?
Et, en désespoir de cause, il se raccrocha à l’unique fragment de culture qui lui revenait à l’esprit : il lui fredonna les premières mesures de la Cinquième de Beethoven :
— Po-Po-Po-Pom ! Cela ne remue-t-il pas une fibre au-dedans de vous ?
— Non, dit le garde. Pas vraiment. Mais j’en parlerai à ma tante.
S’il rajouta quelque chose, cela leur échappa : la porte du sas se referma hermétiquement et tous les sons s’évanouirent, en dehors du faible et lointain murmure des propulseurs du vaisseau.
Ils se trouvaient à l’intérieur d’une chambre cylindrique impeccablement polie, longue d’environ trois mètres, sur deux de diamètre. Ford parcourut les lieux du regard, essoufflé.
— Un type potentiellement brillant, j’ai trouvé, remarqua-t-il avant de se laisser glisser contre la paroi courbe.
Arthur gisait toujours au fond du sas, à l’endroit où il était tombé. Il ne leva pas les yeux. Se contentant de haleter.
— On est coincés, hein ?
— Effectivement, confirma Ford. Nous sommes coincés.
— Eh bien, tu n’as pas une idée quelconque ? J’avais cru comprendre que tu en cherchais une. À moins que tu ne l’aies déjà trouvée sans que je m’en sois aperçu.
— Oh ! oui, j’ai bien pensé à quelque chose, haleta Ford.
Arthur leva les yeux, dans l’expectative.
— Mais malheureusement, poursuivit Ford, cela exigerait plutôt que nous soyons de l’autre côté de ce sas étanche.
Il donna un coup de pied dans la porte par laquelle on venait de les jeter.
— Mais c’était une bonne idée, quand même ?
— Oh ! oui, très chouette !
— Et laquelle ?
— Eh bien, je n’en avais pas encore étudié les détails. Ça n’a plus guère d’intérêt maintenant, pas vrai ?
— Bon alors, quel est le programme à présent ? demanda Arthur.
— Oh ! euh, eh bien, le sas qui est devant nous va s’ouvrir automatiquement dans quelques instants et je suppose que nous serons propulsés dans les profondeurs de l’espace où nous serons asphyxiés. À condition de retenir ta respiration, tu peux espérer tenir jusqu’à trente secondes, bien entendu…, ajouta Ford.
Il croisa les mains derrière le dos, haussa les sourcils et se mit à fredonner un vieux chant de guerre bételgeusien. Aux yeux d’Arthur, il paraissait soudain véritablement étrange.
— Eh bien, voilà, constata Arthur. Nous allons mourir.
— Oui, admit Ford, sauf que… non ! Attends une minute ! » et soudain, le voilà qui se précipite à travers le sas en direction de quelque chose situé en dehors du champ de vision d’Arthur. « Qu’est-ce que c’est que cet interrupteur ?
— Quoi ? Où ça ? s’écrie Arthur en se retournant.
— Mais non, je plaisantais ! dit Ford. Nous allons effectivement mourir.
Et se radossant contre le mur, il reprit sa chansonnette là où il l’avait laissée.
— Tu sais, remarqua Arthur, c’est en de tels moments, quand je me retrouve coincé dans un sas vogon en compagnie d’un natif de Bételgeuse, au seuil d’une mort imminente par asphyxie dans les profondeurs de l’espace, que je regrette de ne pas avoir écouté ce que me disait ma mère quand j’étais petit.
— Eh bien, que te disait-elle ?
— Je sais pas. J’ai pas écouté.
— Oh !
Ford continua de fredonner.
— C’est terrible, se dit Arthur, la Colonne de Nelson a disparu, les McDonalds ont disparu, tout ce qui reste c’est moi et les mots globalement inoffensive. Et d’une seconde à l’autre ne subsistera plus que la mention globalement inoffensive. Et dire qu’hier encore la planète semblait tourner si rond.
Un moteur bourdonna.
Il y eut un léger sifflement qui se mua en un rugissement assourdissant comme la porte extérieure s’ouvrait sur un vide ténébreux clouté d’impossibles minuscules points de lumière. Arthur et Ford furent propulsés à l’extérieur comme d’un pistolet à bouchon.
Chapitre 8
Le Guide du routard galactique est un ouvrage en tout point remarquable. Il a fait l’objet de bien des remaniements et mises à jour depuis bien des années et sous la responsabilité de nombreux rédacteurs en chef. Il recueille les contributions d’innombrables voyageurs et chercheurs.