Son introduction commence ainsi :
« L’espace, nous dit-il, est immense. Vraiment immense. On n’a franchement pas idée de sa stupéfiante et considérablement gigantesque immensité. Je veux dire qu’on peut croire qu’en gros ça fait loin comme d’ici au bistrot du coin mais en fait c’est de la gnognote comparé aux dimensions de l’espace. Tenez… » et ainsi de suite.
(Après un moment, le style s’améliore quelque peu et Le Guide commence à vous dire des choses que vous avez réellement besoin de savoir telles que le fait que Bethselamine, cette planète fabuleusement belle, est aujourd’hui tellement préoccupée par l’effet cumulatif de l’érosion provoquée par la visite annuelle de dix milliards de touristes que tout déficit net entre les quantités ingérées et celles excrétées durant votre séjour y sera récupéré par ablation chirurgicale au moment de votre départ : aussi, chaque fois que l’on se rend aux toilettes, est-il d’une importance vitale de se faire délivrer un reçu.)
Pour être juste, face à l’absolu gigantisme des distances interstellaires, les meilleurs esprits n’ont pas été plus inspirés que l’auteur de cette introduction au Guide : ainsi, d’aucuns vous invitent à considérer un instant une cacahuète posée à Reading par rapport à une noix de cajou située elle à Johannesburg. Ou autres vertigineuses comparaisons.
La simple vérité est que l’imagination humaine est totalement incapable d’appréhender les distances interstellaires.
Même la lumière – qui voyage si vite qu’il faut à la plupart des races intelligentes plusieurs millénaires rien que pour réaliser simplement qu’elle se déplace – eh bien, même la lumière met du temps pour se déplacer entre les étoiles : il lui faut huit minutes pour se rendre de l’étoile Sol à l’endroit où la Terre avait coutume de se trouver et quatre ans de plus pour gagner son plus proche voisin stellaire, à savoir Alpha de Proxima.
Et pour qu’elle atteigne l’autre côté de la Galaxie – Damogran par exemple – cela prend encore plus longtemps : cinq cent mille ans.
Le record sur cette distance en astro-stop est d’un peu moins de cinq ans mais autant dire qu’on ne risque guère alors de contempler le paysage.
Le Guide du routard galactique précise qu’à condition de retenir sa respiration, il est possible de survivre une trentaine de secondes dans le vide absolu de l’espace. Toutefois, compte tenu des dimensions proprement ahurissantes de celui-ci, cela revient à évaluer les chances d’être recueilli par un autre vaisseau durant ce court laps de temps à deux puissance deux cent soixante-sept mille sept cent neuf contre un.
Par une coïncidence proprement ahurissante, ce chiffre est également le numéro de téléphone d’un appartement d’Islington où Arthur, invité à une soirée, avait pu faire la connaissance d’une fort charmante jeune fille qu’il avait été totalement infoutu de raccompagner : elle s’était fait emballer par un vulgaire pique-assiette.
Bien que la planète Terre, l’appartement d’Islington et le téléphone soient aujourd’hui démolis, il est réconfortant de se dire que tous ces éléments ont en quelque modeste manière été commémorés par le fait que vingt-neuf secondes plus tard exactement Arthur et Ford devaient être sauvés.
Chapitre 9
Un ordinateur bavardait tout seul, mis en alerte par une porte de sas qui s’était ouverte et refermée sans raison apparente.
En fait, c’était parce que la Raison s’était mise à débloquer.
Un trou venait d’apparaître dans la Galaxie. Pour être précis, durant un millième de seconde, un trou large d’un millième de millimètre et long d’un bon paquet de millions d’années-lumière d’une extrémité à l’autre.
Lorsqu’il se referma, tout un tas de ballons publicitaires et de chapeaux en papier s’en déversèrent pour dériver dans l’univers. Une équipe de sept experts financiers hauts comme trois pommes en jaillirent et moururent aussitôt, en partie d’asphyxie, en partie de surprise.
Deux cent trente-neuf mille œufs mollets en jaillirent également, se matérialisant sous la forme d’un vaste amoncellement glaireux sur le territoire des Poghrils où régnait alors la famine, dans le système de Pansu.
Toute la tribu des Poghrils avait succombé à cette famine, à l’exception d’un ultime survivant qui devait pour sa part décéder d’une crise aiguë de cholestérol quelques semaines plus tard.
Le millième de seconde durant lequel exista le trou, ricocha d’une manière des plus improbables, d’un bout à l’autre de l’échelle du temps. Quelque part dans le tréfonds du passé, il traumatisa sérieusement un petit groupe d’atomes quelconques à la dérive dans le vide stérile de l’espace et les fit se réunir selon les structures les plus extraordinairement improbables, lesquelles structures ne tardèrent pas à apprendre à se copier toutes seules (c’était en partie là ce qui les rendait aussi extraordinaires) avant de s’avérer la cause de troubles considérables sur toutes les planètes où elles devaient échouer. C’est ainsi que commença la vie dans l’univers.
Cinq maelströms d’évènements déchaînés voltigèrent en vicieuses tempêtes de folie et se déversèrent sur un trottoir.
Sur le trottoir gisaient Ford Prefect et Arthur Dent, haletant comme des poissons sur le point de mourir.
— Eh bien, voilà », haleta Ford tout en cherchant à s’agripper d’un doigt au trottoir qui traversait en ce moment la Troisième Étendue de l’Inconnu. « Je t’avais bien dit que je trouverais quelque chose.
— Mais bien sûr, dit Arthur, bien sûr.
— Belle idée que j’ai eue, reprit Ford, de trouver un astronef de passage et de nous faire recueillir par lui.
L’univers réel disparut en se cabrant horriblement derrière eux. Diverses imitations de celui-ci passèrent en voltigeant silencieusement, agiles comme des cabris. Une explosion de lumière primordiale éclaboussa l’espace-temps comme gouttelettes de lait caillé. Le temps s’épanouit. La matière se contracta.
Le plus grand des nombres premiers se recroquevilla tranquillement dans un coin et se laissa définitivement oublier.
— Oh ! Arrête de frimer, dit Arthur. Les chances pour qu’un vaisseau de passage nous récupère étaient astronomiquement faibles.
— Râle pas : ça a marché, non ? remarqua Ford.
— Dans quel genre de vaisseau sommes-nous ? s’enquit Arthur tandis que le gouffre de l’éternité béait derrière eux.
— Je l’ignore, dit Ford. Je n’ai pas encore ouvert les yeux.
— Pareil pour moi, dit Arthur.
L’univers tressauta, se figea, frémit puis se répandit dans plusieurs directions fort inattendues.
Arthur et Ford ouvrirent les yeux et regardèrent autour d’eux avec une considérable surprise.
— Bon Dieu, dit Arthur, on dirait exactement le front de mer à Southend.
— Diable. Je suis soulagé de te l’entendre dire.
— Pourquoi ?
— Parce que je me demandais si je n’étais pas devenu fou.
— Peut-être bien que si. Peut-être que tu as juste imaginé que je te le disais.
Ford réfléchit à la chose.
— Enfin, tu l’as dit, ou pas ? reprit-il.
— Je crois que oui.
— Alors peut-être bien que nous sommes en train de devenir fou tous les deux.
— Oui, dit Arthur. Tout bien considéré, nous serions fous de nous croire à Southend.