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Mais tel fut le succès de ce projet que Magrathea devint bientôt la planète la plus riche de tous les temps tandis que le restant de la Galaxie se voyait réduit à la plus abjecte pauvreté.

Et c’est ainsi que prit fin le système, que s’effondra l’empire et que retomba sur des milliards de mondes affamés un long silence maussade, à peine troublé par les grattements de plume des érudits qui peinaient des nuits durant sur de mornes petits mémoires traitant des mérites de tel ou tel type de politique d’économie planifiée.

Magrathea elle-même disparut et son souvenir ne tarda pas à passer dans les ténèbres de la légende.

En ce siècle de lumières qui est le nôtre, plus personne bien sûr n’en croit un traître mot.

Chapitre 16

Réveillé par le bruit de la discussion, Arthur se dirigea vers la passerelle.

Ford était en train de faire de grands moulinets de bras :

— Tu es dingue, Zaphod ! Magrathea n’est qu’un mythe, un conte de fées, le genre d’histoire que racontent les parents le soir à leurs enfants s’ils veulent qu’une fois grands, ils deviennent des économistes, c’est…

— C’est présentement ce autour de quoi nous sommes en orbite, insista Zaphod.

— Écoute, tu peux bien être personnellement en orbite autour de ce que tu veux, dit Ford, mais ce vaisseau…

— Ordinateur ! intervint Zaphod.

— Oh ! non…

— Salut tout le monde ! Ici Eddie votre ordinateur de bord et je suis dans une forme extra, et je sens que je vais faire un malheur avec tous les programmes que vous voudrez bien me présenter.

Arthur adressa à Trillian un regard interrogatif. Elle lui fit signe d’approcher mais en silence.

— Ordinateur, dit Zaphod, veux-tu bien nous dire quelle est notre trajectoire actuelle ?

— Avec plaisir, mon pote, gloussa l’intéressé, nous sommes présentement en orbite à une altitude de quatre cent cinquante kilomètres autour de la légendaire planète Magrathea.

— Ça prouve rien, remarqua Ford. Je ne me fierais même pas à cet ordinateur pour connaître mon poids.

— Je peux vous le donner sans problème », renchérit l’ordinateur en débitant de nouvelles quantités de papier. « Je puis même vous donner la solution à vos problèmes de personnalité avec dix décimales si ça peut vous faire plaisir.

Trillian l’interrompit.

— Zaphod, dit-elle, d’une minute à l’autre, nous allons passer sur la face éclairée de cette planète, et elle ajouta : quelle qu’elle puisse être.

— Et qu’est-ce que tu veux dire par là ? Cette planète est bien là où je l’avais prévu, non ?

— Oui, je sais bien qu’il y a ici une planète. Je ne le discute pas, simplement je serais incapable de distinguer Magrathea de n’importe quel autre tas de boue. Tiens, le jour se lève, si ça t’intéresse…

— O.K., O.K., grommela Zaphod, rinçons-nous toujours l’œil. Ordinateur !

— Salut tout le monde ! que puis-je…

— Contente-toi de la fermer et redonne-nous plutôt une vue de la planète.

Une masse indistincte et sombre emplit à nouveau les écrans – la planète qui tournait en dessous d’eux.

Ils l’observèrent un moment en silence mais Zaphod ne tenait plus en place :

— Nous survolons en ce moment la face obscure, commenta-t-il d’une voix assourdie.

La planète continuait de tourner en dessous d’eux.

— La surface de la planète est maintenant à quatre cent cinquante kilomètres en dessous de nous, continua-t-il.

Il essayait de redonner un peu de solennité à ce qui aurait dû, selon lui, être un grand moment. Magrathea ! Il était piqué au vif par la réaction sceptique de Ford. Magrathea !

— D’ici quelques secondes, poursuivait-il, nous devrions voir appar… là !

Le moment arriva. Même le plus endurci des bourlingueurs spatiaux ne peut s’empêcher de frissonner devant le prodigieux spectacle d’un lever de soleil vu de l’espace ; mais un lever de soleils binaires… c’est l’une des merveilles de la Galaxie.

De l’obscurité totale soudain jaillit un point de lumière aveuglante. Il s’étira progressivement puis s’élargit en un mince croissant et, au bout de quelques secondes, deux soleils étaient visibles, brasiers lumineux déchirant le bord obscur de l’horizon par leur feu immaculé. De superbes rais colorés zébrèrent au-dessous d’eux l’atmosphère raréfiée.

— Les feux de l’aube ! haleta Zaphod. Les deux soleils jumeaux de Soulépave et Lahphlaj… !

— Ça ou autre chose…, observa tranquillement Ford.

— Soulépave et Lahplaj ! insista Zaphod.

Les soleils étincelaient dans les ténèbres de l’espace tandis que flottait sur la passerelle en bruit de fond une musique spectrale : c’était Marvin qui fredonnait avec ironie pour bien signifier son profond mépris des humains.

Au spectacle qui s’offrait à lui, Ford sentit l’excitation le gagner mais c’était uniquement celle de la découverte d’une nouvelle planète étrange : la contempler telle qu’en elle-même suffisait à son bonheur. Et cela l’irritait quelque peu de voir Zaphod ajouter au spectacle ses fantasmes ridicules afin d’y trouver du piment. Toutes ces bêtises à propos de Magrathea lui semblaient puériles. N’est-il pas suffisant de contempler un jardin si magnifique sans avoir à croire en plus que des fées l’habitent ?

Pour Arthur, toute cette histoire de Magrathea lui semblait franchement incompréhensible. Il aborda Trillian pour lui demander de quoi il retournait :

— Je n’en sais que ce qu’a bien voulu me dire Zaphod, lui souffla-t-elle. Apparemment, Magrathea est une espèce de légende fort ancienne à laquelle personne ne croit sérieusement. Un peu comme l’Atlantide sur Terre, sauf que d’après ces légendes, les Magrathéens auraient fabriqué des planètes.

Arthur cligna les yeux en regardant les écrans, avec la sensation très nette que quelque détail important lui manquait. Brusquement il sut quoi. Il demanda :

— Y aurait-il quelque part du thé dans cet astronef ?

La planète continuait de se révéler sous eux tandis que le Cœur-en-Or poursuivait sa trajectoire en orbite. À présent les soleils étaient hauts dans le ciel obscur, et la surface de la planète apparaissait lugubre et peu avenante à la simple lumière du jour : grise, poussiéreuse, un relief peu accusé. Elle avait l’air aussi morne et froide qu’une crypte. De temps à autre, quelque trait prometteur semblait apparaître à l’horizon lointain – des ravins, des montagnes peut-être, voire même des cités – mais à mesure qu’ils approchaient, les lignes s’adoucissaient pour se fondre dans un anonymat d’où rien ne transpirait. La surface de la planète était brouillée par le temps et le travail de lente érosion, siècle après siècle, d’un air stagnant et raréfié.

Ce monde était, à l’évidence, très, très, très vieux.

Ford eut un instant de doute en contemplant le paysage gris qui défilait sous ses yeux. L’immensité du temps le mettait mal à l’aise : il la ressentait comme une présence tangible. Il s’éclaircit la voix :

— Bon, même à supposer que ce soit…

— Ça l’est ! coupa Zaphod.

— … ce que ce n’est pas, poursuivit Ford, que comptes-tu donc y faire, de toute manière ? Il n’y a rien là-dessus…

— À la surface, non, dit Zaphod.

— D’accord, supposons même qu’il y ait quelque chose, je suppose que tu n’es pas venu ici uniquement pour faire de l’archéologie, n’est-ce pas ? Que cherches-tu ?