L’une des têtes de Zaphod se détourna ; l’autre regarda autour d’elle pour savoir ce que pouvait bien observer la première mais à vrai dire elle n’observait pas grand-chose.
— Eh bien, dit Zaphod sur un ton léger, c’est en partie par curiosité, en partie par goût de l’aventure mais ce que je cherche surtout, c’est, je crois, l’argent et la célébrité…
Ford l’observa avec attention : il avait la très nette impression que Zaphod n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien faire ici…
— Vous savez, moi je n’aime pas du tout le style de cette planète, dit Trillian en frissonnant.
— Ah ! ça, n’y faites pas attention, dit Zaphod, avec la moitié des richesses de l’ancien empire galactique planqué quelque part, elle peut bien se permettre d’être mal fagotée.
— Quel tas de conneries, se dit Ford. À supposer même que ce soit bien le siège de quelque antique civilisation à présent tombée en poussière, à supposer même une quantité de choses excessivement improbables, il n’y avait pas la moindre chance que ces vastes trésors fussent entreposés sous une forme qui eût aujourd’hui la moindre signification. Il haussa les épaules et dit :
— Je crois que ce n’est qu’une planète morte.
— Ce suspense me tue, observa Arthur, sur un ton irrité.
Le stress et la tension nerveuse représentent aujourd’hui de sérieux problèmes sociaux dans tous les coins de la Galaxie et c’est dans le louable souci de ne contribuer en aucune manière à l’aggravation de cette situation que les faits suivants vont sans plus attendre se voir dévoilés :
— La planète en question est effectivement la légendaire planète Magrathea ;
— La meurtrière attaque de missile que va bientôt lancer un antique dispositif de défense automatique n’aura pour seules conséquences que le bris de trois tasses à café et d’une cage à souris, un bleu sur le haut du bras de quelqu’un ainsi que la création inopinée (suivie du décès soudain) d’un pot de pétunias et d’un innocent cachalot.
Afin toutefois de préserver quelque élément de mystère, aucune révélation ne sera faite quant à l’identité de celui qui se fera un bleu sur le haut du bras. Ce fait peut sans problème donner matière à suspense, vu qu’il n’a strictement aucune signification d’aucune sorte.
Chapitre 17
Après un début de journée plutôt agité, les esprits d’Arthur commençaient à se rassembler à partir des fragments épars récupérés de la veille. Il était parvenu à trouver un Nutri-Matic qui lui avait fourni une tasse en plastique emplie d’un liquide qui était presque, quoique pas exactement, tout sauf du thé. La façon dont fonctionnait cet appareil n’était pas inintéressante : sitôt pressé le bouton boisson, il effectuait un examen instantané – quoique extrêmement fouillé – des tendances gustatives du sujet, une analyse spectroscopique de son métabolisme, puis envoyait de minuscules signaux expérimentaux via les faisceaux nerveux jusqu’aux centres du goût dans le cerveau dudit sujet pour voir ce qui était susceptible de passer le mieux. Cependant, personne ne savait au juste pourquoi il faisait tout ça, vu qu’invariablement il servait une tasse de liquide qui était presque, quoique pas exactement, tout sauf du thé. Le Nutri-Matic était conçu et fabriqué par la Compagnie Cybernétique de Sirius, firme dont le service du contentieux recouvre à l’heure actuelle l’intégralité des terres émergées de trois planètes dans le système de Tau de Sirius.
Arthur but le liquide et le trouva revigorant.
Puis il retourna examiner les écrans et regarda défiler encore quelques centaines de kilomètres de grisaille désolée. Il lui vint soudain l’idée de poser une question qui le turlupinait :
— Y pas de danger ?
— Magrathea est morte depuis des millions d’années, dit Zaphod, bien sûr qu’il n’y a pas de danger. Même les fantômes ont dû avoir le temps de se ranger et de fonder une famille, à cette heure.
Sur quoi, un son étrange autant qu’inexplicable fit soudain vibrer toute la passerelle – un bruit comme celui, lointain, d’une fanfare ; un son caverneux et flûté, insubstantiel. Il fut suivi d’une voix tout aussi caverneuse, flûtée et insubstantielle. La voix disait : Bienvenue à vous…
Quelqu’un, sur la planète morte, leur parlait !
— Ordinateur ! cria Zaphod.
— Salut tout le monde !
— Par le photon, qu’est-ce que c’est que ça ?
— Oh ! une vulgaire bande vieille de cinq millions d’années…
— Une quoi ? Tu veux dire un enregistrement ?
— Chhhhht ! dit Ford, ça continue !
La voix était âgée, courtoise, presque charmeuse mais indubitablement chargée d’une menace sous-jacente. Elle disait : Ceci est une annonce préenregistrée, étant donné que, j’en ai peur, nous devons tous être H.S. à l’heure qu’il est. Le Conseil commercial de Magrathea vous remercie de votre aimable visite…
(« Une voix de l’antique Magrathea ! s’écria Zaphod. – Ça va, ça va », dit Ford.)
… mais est au regret, poursuivait la voix, de vous informer que l’ensemble de la planète est temporairement fermé à toute transaction. Merci. Si vous voulez bien nous laisser votre nom ainsi que les coordonnées d’une planète où l’on peut vous contacter, il vous suffit de parler sitôt que vous aurez entendu la tonalité…
— Ils veulent se débarrasser de nous », dit Trillian, nerveuse. « Qu’est-ce qu’on fait ?
— Ce n’est qu’un enregistrement, dit Zaphod. On continue ! Compris, l’ordinateur ?
— Compris ! dit l’ordinateur et il donna au vaisseau un bon coup d’accélérateur.
Ils attendirent.
Au bout d’une ou deux secondes, la fanfare revint, puis la voix : Nous tenons à vous assurer que dès la reprise de nos affaires, nous ferons passer des annonces dans toute la presse de luxe ainsi que dans les suppléments en couleurs afin que notre aimable clientèle puisse à nouveau faire son choix parmi ce qui se fait de mieux en matière de géographie contemporaine. La menace dans la voix se fit plus nette : D’ici là, nous remercions encore notre aimable clientèle de son intérêt et l’invitons de nouveau instamment à quitter les lieux. Tout de suite.
Arthur consulta les visages nerveux de ses compagnons :
— Eh bien, je suppose qu’on ferait mieux de repartir, non ? suggéra-t-il.
— Chhhhht ! fit Zaphod. Il n’y a absolument pas lieu de s’inquiéter.
— Alors pourquoi tout le monde est-il si tendu ?
— Simple marque d’intérêt ! s’écria Zaphod. Ordinateur, initie la procédure de descente dans l’atmosphère et prépare-nous un atterrissage.
Cette fois, la fanfare était de pure forme et la voix nettement glaciale : Il nous est agréable de constater que votre enthousiasme vis-à-vis de notre planète demeure inchangé, aussi aimerions-nous vous préciser que les missiles actuellement en train de converger sur votre vaisseau le sont à titre d’échantillons des services exceptionnels que nous réservons à nos plus fidèles clients – les têtes nucléaires entièrement chargées qui les accompagnent n’étant bien entendu qu’une simple faveur. En espérant conserver votre clientèle dans une vie future…
… Merci encore !
La voix se tut brusquement.
— Oh ! fit Trillian.
— Euh ! fit Arthur.
— Hein ? fit Ford.
— Bon, fit Zaphod. Est-ce que vous allez finir par vous mettre ça dans la tête ? Ce n’est qu’un message enregistré. Vieux de cinq millions d’années. Ça ne nous concerne absolument pas. Vu ?