— Et que fait-on des missiles ? remarqua tranquillement Trillian.
— Les missiles ? Ne me faites pas rigoler.
Ford tapa sur l’épaule de Zaphod tout en lui indiquant l’écran arrière. Loin derrière eux, on distinguait nettement deux flèches d’argent qui s’élevaient dans l’atmosphère à leur rencontre. Un rapide changement de focale les fit apparaître en gros plan : deux fusées, massivement concrètes, qui tonnaient dans le ciel. La soudaineté d’un tel spectacle avait quelque chose de choquant.
— Je crois qu’ils ont tout à fait de quoi nous faire rigoler, remarqua Ford.
Zaphod les considéra avec étonnement :
— Eh ! mais c’est super ! s’exclama-t-il. Quelqu’un là-dessous est en train d’essayer de nous tuer !
— Super, en effet, dit Arthur.
— Mais vous ne voyez donc pas ce que ça signifie ?
— Si : qu’on va mourir.
— Oui, mais à part ça.
— À part ça ?
— Ça signifie que nous devons être sur quelque chose d’important !
— Peut-on espérer ne plus y être dans un avenir rapproché ?
Sur l’écran, l’image des missiles grandissait de seconde en seconde. Ils avaient à présent basculé pour se mettre en trajectoire de poursuite si bien qu’on ne distinguait plus que leur coiffe, fonçant vers eux tête baissée.
— Simple curiosité, dit Trillian, mais que comptons-nous faire ?
— Simplement garder notre calme, dit Zaphod.
— C’est tout ? s’étonna Arthur.
— Non, nous allons également… euh… esquiver ! » s’écria Zaphod dans un brusque accès de panique. « Ordinateur, quel genre d’esquive nous conseilles-tu ?
— Euh, aucune j’en ai peur ! répondit l’ordinateur. Il semblerait que quelque chose perturbe mes systèmes de guidage », expliqua vivement la machine. « Impact moins quarante-cinq secondes. Mais appelez-moi Eddie, je vous en prie, si ça peut contribuer à vous détendre.
Zaphod essaya de courir simultanément dans plusieurs directions également décisives.
— Bien !… Euh… il faut qu’on reprenne les commandes manuelles de ce vaisseau…
— Tu sais le piloter ? s’enquit négligemment Ford.
— Non. Et toi ?
— Non.
— Trillian, vous savez ?
— Non.
— Parfait », dit Zaphod, soulagé. « Nous le piloterons donc ensemble.
— Moi non plus ! s’empressa d’ajouter Arthur qui sentait le moment venu de s’affirmer à son tour.
— Je l’aurais deviné, dit Zaphod. O.K. Ordinateur, je veux intégralement reprendre le contrôle manuel.
— Vous l’avez, dit l’ordinateur.
Plusieurs vastes panneaux coulissèrent ; en jaillirent des rangées de consoles, arrosant l’équipage de fragments de polystyrène expansé et de lambeaux de cellophane : ces appareillages n’avaient encore jamais été utilisés.
Zaphod les considéra l’air ahuri :
— O.K., Ford : rétrofusées à pleine poussée et dix degrés sur tribord. Ou l’inverse…
— Bonne chance, pépia l’ordinateur. Impact moins trente secondes…
Ford sauta sur les commandes – une partie d’entre elles lui disait quelque chose : il choisit de les tirer en priorité. L’astronef se mit à vibrer et couiner tandis que les fusées de son système de guidage essayaient de le pousser simultanément dans toutes les directions. Ford en coupa la moitié et le vaisseau prit alors un virage serré pour repartir dans la direction d’où il venait, droit sur les missiles.
Des coussins d’air jaillirent instantanément des parois et tout le monde s’y retrouva, précipité.
L’espace de quelques secondes, la force d’inertie les maintint aplatis, suffoqués, incapables de bouger. Zaphod, qui se débattait et poussait avec l’énergie du désespoir, parvint en fin de compte à lancer un sauvage coup de pied sur un petit levier qui faisait partie du système de guidage.
Le levier se brisa. Le vaisseau fit une violente embardée et fonça à la verticale. L’équipage fut expédié au fond de la cabine. L’exemplaire du Guide du routard galactique, propriété de Ford, alla s’écraser contre une autre section du panneau de commande avec pour double résultat que, primo, Le Guide se mit à expliquer à qui voulait l’entendre quelle était la meilleure façon pour sortir en fraude de Tau d’Anze les doigts de porc vert (chez certains en effet, le doigt de porc Tau d’Anzin vert représente un apéritif révoltant quoique fort prisé et bien souvent acheté pour des sommes énormes par de très riches imbéciles désireux d’impressionner d’autres très riches imbéciles) et que, secundo, l’astronef se mit à dégringoler soudain comme une pierre.
Ce fut bien entendu plus ou moins à ce moment que l’un des membres de l’équipage devait se faire un méchant bleu en haut du bras. Il convient d’insister là-dessus car, comme il a déjà été révélé, tous vont en réchapper sans dommage aucun tandis que les meurtriers missiles nucléaires ne vont même pas toucher le vaisseau.
La sécurité de l’équipage se trouve donc parfaitement assurée.
— Impact moins vingt secondes…, avertit l’ordinateur.
— Eh bien, qu’attends-tu pour rallumer ces foutus moteurs ! glapit Zaphod.
— Oh ! mais bien sûr, dit l’ordinateur.
Avec un rugissement subtil, les moteurs se rallumèrent, le vaisseau arrondit doucement sa chute, passa en palier, et repartit derechef droit sur les missiles.
L’ordinateur se mit à chanter d’une voix nasillarde :
Zaphod lui hurla de se taire mais sa voix se perdit dans ce qu’ils estimaient fort naturellement être le vacarme d’une fin prochaine.
vagit Eddie.
En arrondissant, le vaisseau avait en fait arrondi à l’envers et pour son équipage, ainsi collé au plafond, il était à présent totalement impossible d’atteindre les leviers de commande.
roucoula Eddie.
Menaçants, les deux missiles avaient envahi l’écran et fonçaient toujours vers le vaisseau dans un bruit de tonnerre.
Mais par un hasard extraordinairement heureux, comme ils n’avaient pas encore eu tout à fait le temps de rectifier leur trajectoire pour suivre la course erratique de l’astronef, ils lui passèrent juste en dessous.
— Rectification : impact ramené à quinze secondes… »
… de l’alouette portée par le vent…
Les missiles effectuèrent un demi-tour hurlant puis reprirent la poursuite.
— Et voilà, dit Arthur en les observant, on peut maintenant affirmer avec certitude que nous sommes sur le point de mourir, non ?
— Je voudrais que tu cesses de répéter ça, cria Ford.
— Ben, c’est pas vrai ?
— Si.
chanta Eddie.
Une idée frappa Arthur. Il se redressa tant bien que mal :
— Pourquoi personne ne remet-il donc en marche ce machin-truc d’improbabilité ? s’exclama-t-il. On devrait pouvoir y arriver !