— Bienvenue », dit Slartibartfast tandis que le minuscule grain de poussière qu’était leur aérocar, fonçant maintenant à trois fois la vitesse du son, rampait imperceptiblement au sein de cette immensité sidérante, « Bienvenue dans nos ateliers.
Arthur regarda autour de lui, saisi d’une sainte horreur. Étagées au loin devant eux, à des distances qu’il aurait été incapable d’évaluer, ni même d’estimer, se trouvait une série de curieuses suspensions, de délicats réseaux de métal et de lumière qui flottaient autour d’ombres sphériques suspendues dans l’espace.
— C’est ici, expliqua Slartibartfast, que nous fabriquons la majorité de nos planètes, voyez-vous.
— Vous voulez dire, articula péniblement Arthur, vous voulez dire que vous êtes en train de tout remettre en route ?
— Non, non, bien sûr que non, s’exclama le vieil homme. La Galaxie est encore loin d’être assez riche pour nous financer. Non, nous avons été réveillés afin tout simplement d’accomplir une commande extraordinaire pour des clients très… spéciaux, venus d’une autre dimension. Cela peut vous intéresser… là-bas, au loin, devant nous.
Arthur suivit le doigt du vieil homme, jusqu’à ce qu’il parvienne à distinguer la structure flottante qu’il désignait. C’était effectivement la seule dans le lot à trahir quelque signe d’une activité dans les parages quoique cela tînt plus d’une impression subliminale que d’un quelconque indice tangible.
Juste à ce moment pourtant, un éclair traversa la structure, révélant avec un relief accusé les contours dessinés sur la sphère sombre à l’intérieur. Des contours que reconnut Arthur : de grandes masses rebondies qui lui étaient aussi familières que la forme des mots, qui faisaient partie du mobilier de son esprit. Durant quelques secondes, il en resta muet, abasourdi, tandis que les images déferlaient dans sa tête en cherchant un endroit pour se poser et s’organiser avec cohérence.
Une partie de son cerveau lui disait qu’il savait parfaitement bien ce qu’il était en train de contempler et ce que représentaient ces formes, tandis qu’une autre refusait au nom de la raison d’embrasser pareille idée et abdiquait toute responsabilité en cas de poursuite de la réflexion dans ce sens.
L’éclair se reproduisit et, cette fois, plus aucun doute ne fut possible :
— La Terre…, murmura Arthur.
— Enfin, la Terre Version 2.0, en vérité », précisa gaiement Slartibartfast. « Nous en faisons une copie d’après les plans originaux.
Il y eut un silence.
— Êtes-vous en train d’essayer de me dire », commença lentement Arthur, en essayant de se maîtriser, « que vous avez à l’origine… fabriqué la Terre ?
— Mais oui, dit Slartibartfast. Êtes-vous jamais allé dans cet endroit… attendez, je crois que ça s’appelait la Norvège ?
— Non, dit Arthur. Non, jamais.
— Dommage, dit Slartibartfast. C’était une de mes créations. Elle avait remporté un prix, vous savez. Des côtes admirablement ouvragées ! J’ai été très contrarié en apprenant sa destruction.
— Vous avez été contrarié !
— Oui. Cinq minutes de plus et ça n’aurait pas eu tant d’importance. Ce fut un gâchis franchement révoltant.
— Hein ? dit Arthur.
— Les souris étaient furieuses.
— Les souris étaient furieuses ?
— Oh ! oui, dit doucement le vieil homme.
— Oui, comme l’ont également été, je suppose, les chiens, les chats et les ornithorynques mais…
— Ah ! mais, voyez-vous, eux n’avaient pas payé, n’est-ce pas !
— Écoutez, dit Arthur, est-ce que ça vous ferait gagner du temps si je laissais tomber et devenais fou tout de suite ?
L’aérocar poursuivit son vol un instant encore dans un silence gêné puis le vieil homme essaya patiemment d’expliquer :
— Terrien, la planète que vous habitiez avait été commandée, payée puis enfin dirigée par des souris. Elle s’est trouvée détruite cinq minutes seulement avant l’achèvement de la mission pour laquelle on l’avait construite et nous nous voyons contraints d’en construire une autre.
Arthur n’avait relevé qu’un seul mot :
— Des souris ?
— Effectivement, Terrien.
— Écoutez, excusez-moi mais… parlons-nous bien de ces petites choses blanches et poilues avec un net penchant pour le fromage et cette tendance à faire monter sur les tables en hurlant les femmes dans les comédies de situation du début des années 60 ?
Slartibartfast toussa poliment.
— Terrien, votre discours s’avère parfois difficile à suivre. Rappelez-vous que je suis resté endormi cinq millions d’années durant à l’intérieur de cette planète et que je ne connais pas grand-chose à ces comédies de situation du début des années 60 auxquelles vous faites allusion. Ces créatures que vous appelez des souris, voyez-vous, ne sont pas du tout ce qu’elles paraissent être. Il s’agit purement et simplement de la matérialisation dans notre dimension de vastes hyper-intelligences pan-dimensionnelles. Toutes ces histoires de fromage et de couinements ne sont qu’une façade.
Le vieil homme fit une pause puis reprit, avec un froncement de sourcils plein de sympathie :
— Elles vous ont pris pour cobayes, j’en ai peur.
Arthur réfléchit à la chose une seconde puis son visage s’éclaira :
— Ah ! mais non. Je vois maintenant l’origine du malentendu ! Non, si vous voulez, ce qu’il y a, c’est que nous avions l’habitude de faire des expériences sur elles. On les utilisait fréquemment en recherche sur le comportement, Pavlov et toute la sauce. Et donc, les souris étaient amenées à accomplir toutes sortes de tests, apprendre à déclencher une sonnette, parcourir des labyrinthes, et ce genre de choses permettait d’examiner la nature du processus d’apprentissage. À partir de nos observations sur leur comportement, nous avions pu apprendre toutes sortes de choses sur le nôtre…
La voix d’Arthur s’était évanouie progressivement.
— Quelle subtilité ! apprécia Slartibartfast. On ne peut qu’être en admiration.
— Quoi ?
— Comment mieux camoufler leur véritable nature et comment mieux orienter votre réflexion ! S’engouffrer brusquement dans un labyrinthe dans le mauvais sens, manger le mauvais bout de fromage, tomber inopinément raide mort de myxomatose – pour peu que ce soit calculé avec précision, l’effet cumulatif doit être énorme !
Il marqua une pause pour ménager son effet.
— Voyez-vous, Terrien, ce sont réellement des hyper-intelligences pan-dimensionnelles particulièrement subtiles : votre planète et sa population formaient en réalité la matrice d’un ordinateur organique traitant un programme de recherche étalé sur dix millions d’années…
— Mais laissez-moi vous conter toute l’histoire. Cela va prendre, certes, un peu de temps…
— Le temps, souffla Arthur, ce n’est pas précisément mon premier souci.
Chapitre 25
Il se pose bien entendu nombre de problèmes concernant la vie parmi lesquels les plus populaires sont : Pourquoi les gens naissent-ils ? Pourquoi meurent-ils ? Et pourquoi cherchent-ils dans l’intervalle à porter le plus souvent possible une montre à quartz numérique ?
Il y a des milliers de millions d’années, une race d’hyper-intelligences pan-dimensionnelles (dont la manifestation physique au sein de leur propre univers pan-dimensionnel n’était pas fort différente de la nôtre) en eut tellement marre de ces querelles perpétuelles sur la signification de la vie, querelles qui interrompaient sans cesse leur passe-temps favori, l’Ultra-cricket pèlerin (un jeu curieux où les gens se tapent soudain dessus sans raison immédiatement apparente, avant de détaler à toute vitesse), qu’elles décidèrent de s’asseoir un moment pour résoudre leurs problèmes une bonne fois pour toutes.