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Et, à cette fin, elles se construisirent un stupéfiant super-ordinateur si fantastiquement intelligent qu’avant même d’être raccordé à ses banques de données, il en était, partant de : Je pense donc je suis, déjà parvenu à en déduire l’existence du gâteau de semoule et de l’impôt sur le revenu avant qu’on ait eu le temps de l’éteindre.

Il avait la taille d’une petite bourgade.

Sa console principale était installée dans un bureau directorial tout spécialement conçu à cet effet, posée sur un énorme bureau directorial d’ultracajou massif recouvert d’un riche cuir ultrarouge. La moquette sombre était d’une somptueuse discrétion et plantes exotiques en pots et portraits artistement brossés des principaux programmeurs ainsi que de leur famille décoraient à profusion, la pièce dont les fenêtres imposantes donnaient sur une place aux arbres régulièrement alignés.

Le jour de la Grande Mise en Route, deux programmeurs sobrement vêtus et portant une mallette arrivèrent et furent discrètement introduits dans le bureau. Ils étaient conscients qu’en ce jour ils allaient représenter l’ensemble de leur race en ce moment suprême mais c’est avec une attitude empreinte de calme et de sérénité qu’ils s’assirent avec déférence devant le bureau, ouvrirent leur mallette et sortirent leur calepin relié de cuir.

Leurs noms étaient Duglan et Glandu.

Durant un moment, ils observèrent un silence respectueux puis, après avoir tranquillement consulté du regard Glandu, Duglan se pencha vers un petit panneau noir qu’il effleura.

Un murmure imperceptible indiqua que le massif ordinateur était à présent totalement activé. Après une pause, il leur parla d’une voix chaude et profonde.

Il leur dit :

— Quelle est la noble tâche pour laquelle moi, Le Grand Pensées Profondes, le second plus grand ordinateur dans l’univers du temps et de l’espace, ai-je été appelé à l’existence ?

Duglan et Glandu s’entre-regardèrent avec surprise.

— Ta tâche, ô Grand Ordinateur…, commença Glandu.

— Non, attends une minute, ça ne va pas », intervint Duglan, ennuyé. « Nous avions expressément conçu cet ordinateur pour en faire le plus grand jamais réalisé et il est hors de question de nous contenter d’un vulgaire second. » Il se tourna vers la machine : « Pensées Profondes, n’es-tu pas, comme nous l’avions conçu, le plus grand et le plus puissant ordinateur de tous les temps ?

— Je me suis personnellement décrit comme étant le second, entonna Pensées Profondes, et tel je suis !

Nouvel échange de regards ennuyés entre les deux programmeurs. Duglan se racla la gorge :

— Il doit y avoir une erreur quelque part. N’es-tu pas un ordinateur plus grand encore que le Macro-Pantagruelectronicon de Maximegalon qui est capable de compter tous les atomes d’une étoile en une milliseconde ?

— Le Macro-Pantagruelectronicon ? » dit Pensées Profondes avec un mépris non dissimulé. « Un vulgaire boulier – ne m’en parlez pas.

— Et n’es-tu pas », enchaîna Glandu en se penchant en avant avec anxiété, « un plus grand analyste encore que le Méga-Superpenseur de la Septième Galaxie des Lumières Immaculées, qui est capable de calculer individuellement la trajectoire de chacun des grains de poussière d’une tempête de sable de cinq semaines sur Méhoui-Mongroh Bêta ?

— Une tempête de sable de cinq semaines ? » cracha Pensées Profondes, méprisant. « Me demander ça, à moi qui ai contemplé les propres vecteurs des atomes du Big Bang ! Ne m’injuriez pas avec ces engeances de calculettes.

Les deux programmeurs étaient plongés dans un silence embarrassé. Puis Duglan se pencha de nouveau et dit :

— Mais n’es-tu pas un rival plus sournois encore que le Giga-Neutronisateur Omniscient Hyperbolique d’Euclide-Torride le Merveilleux Infatigable ?

— Le Giga-Neutronisateur Omniscient Hyperbolique », dit Pensées Profondes, en roulant sciemment tous les r, « pourrait persuader un mégabaudet d’Arcturus de se couper les pattes, mais moi seul pourrais le convaincre d’aller faire une petite promenade ensuite.

— Alors, demanda Glandu, où est le problème ?

— Il n’y a pas de problème ! » entonna Pensées Profondes d’une voix magnifique. « Je suis tout simplement le second plus grand ordinateur dans l’univers de l’espace et du temps.

— Mais, le second ? insista Duglan. Pourquoi ne cesses-tu de répéter le second ? Tu ne songes quand même pas au Multicorticoïde Perspicutron ? Ou au Réflex-O-Matic ? Ou au…

Des éclats dédaigneux parcoururent les voyants de sa console. Il tonna :

— Je ne gâcherais pas un seul bit de pensée à ces nigauds cybernétiques ! Je ne parle pas d’autre chose que de l’ordinateur qui doit me succéder !

Glandu perdait patience. Il reposa son calepin et grommela :

— J’ai comme l’impression qu’on est en train de tomber inutilement dans le messianisme.

— Vous ne savez rien de l’avenir, prononça Pensées Profondes. Et pourtant, au sein de mes circuits grouillants, je suis capable de naviguer sur l’infinité de bras du fleuve des probabilités futures et ainsi de savoir qu’un jour viendra un ordinateur dont je ne saurais encore calculer les simples paramètres de fonctionnement mais qu’il sera dans ma destinée de finalement concevoir.

Glandu poussa un gros soupir et jeta un œil à Duglan :

— Est-ce qu’on peut enchaîner et lui poser la question ?

Duglan lui fit signe d’attendre.

— Quel est cet ordinateur dont tu nous parles ?

— Je n’en dirai pas plus pour le moment, répondit Pensées Profondes. Bien. Pour le reste, vous pouvez me demander de faire ce que vous voulez. Parlez.

Ils se regardèrent en haussant les épaules. Glandu, le premier, se ressaisit :

— Ô Grand Pensées Profondes, la tâche pour laquelle nous t’avons conçu est celle-ci : nous voudrions que tu nous donnes… (une pause)… la Réponse !

— La Réponse ? dit Pensées Profondes. La Réponse à quoi ?

— À la Vie ! lança Glandu, pressant.

— À l’Univers ! insista Duglan.

— Et au Reste ! conclurent-ils en chœur.

Pensées Profondes ménagea un instant de réflexion.

— C’est délicat, conclut-il finalement.

— Mais tu peux le faire ?

Nouvelle pause significative.

— Oui, dit Pensées Profondes. Je peux le faire.

— Il y a bien une Réponse ? haleta Glandu, surexcité.

— Une réponse simple ? ajouta Duglan.

— Oui, répondit Pensées Profondes. À la Vie l’Univers et au Reste, il existe une réponse. Mais, ajouta-t-il, il va falloir que j’y réfléchisse.

Un fracas soudain mit fin à cet instant : la porte venait de s’ouvrir à la volée, et deux hommes en colère, portant ceinture et grossière tunique bleu pâle – uniforme de l’université de Prouvain –, jaillissaient dans la pièce, écartant les larbins qui tentaient vainement de s’interposer.

— Nous exigeons d’être reçus ! clama le plus jeune des deux, en repoussant du coude une jeune et jolie secrétaire.

— Allons, déclama l’aîné des deux, vous ne pouvez pas nous empêcher d’entrer !