Выбрать главу

Au sommet des falaises se tenait un comité d’accueil.

Il était composé pour une large part des ingénieurs et chercheurs qui avaient construit le Cœur-en-Or – pour la plupart des humanoïdes, mais çà et là se remarquaient quelques atomineurs reptiloïdes, deux ou trois maximégalacticiens verts et graciles, un ou deux octopodes physucturalistes ainsi qu’un hooloovoo (le hooloovoo est une ombre vague super-intelligente et de couleur bleue). Tous, à l’exception du hooloovoo, étaient resplendissants dans leurs blouses de laboratoire de cérémonie multicolores ; le hooloovoo avait pour l’occasion provisoirement endossé la forme d’un prisme réfringent.

Un climat de grande excitation électrisait tout ce petit monde : ensemble et entre eux, ils étaient allés jusque et au-delà des plus extrêmes limites des lois physiques, ils avaient restructuré la trame même de la matière, ils avaient tendu, tordu et fracturé les lois du possible et de l’impossible mais, malgré tout, la plus grande sensation restait pour eux, semblait-il, de rencontrer cet homme portant un grand cache-col orange autour du cou (le cache-col orange était l’attribut habituel de Président de la Galaxie). Cela n’aurait pas fait grande différence pour eux s’ils avaient su au juste l’étendue réelle des pouvoirs du Président de la Galaxie : aucun.

Six personnes seulement dans la Galaxie savaient que la tâche de Président galactique n’était pas d’exercer le pouvoir mais de détourner l’attention de son exercice.

Zaphod Beeblebrox exerçait étonnamment bien sa tâche.

La foule s’exclama, éblouie par le soleil et les qualités de marin du Président, tandis que l’embarcation contournait le cap pour entrer dans la baie. Elle brillait et scintillait en glissant sur les flots en larges courbes.

En fait, elle n’avait nul besoin de toucher l’eau, étant supportée par un nébuleux coussin d’atomes ionisés mais, juste pour l’effet, on l’avait équipée de minces dérives qui pouvaient être à volonté immergées. Elles découpaient en sifflant de grands rideaux liquides, creusaient de profonds sillons dans la mer qui ondulait et se refermait en écumant dans le sillage du bateau qui fonçait dans la baie.

Zaphod adorait les effets : c’était ce qu’il savait le mieux faire.

Il tourna vivement la barre et l’embarcation vira dans un spectaculaire dérapage au pied de la falaise avant de s’immobiliser en s’enfonçant légèrement, doucement ballottée par les vagues.

Quelques secondes après, Zaphod jaillissait sur le pont pour saluer, tout sourire, plus de trois milliards de spectateurs. Les trois milliards de spectateurs n’étaient pas réellement là mais ils détaillaient chacun de ses gestes par les yeux de robot d’une petite caméra de tri-D qui planait obséquieusement dans les airs non loin. Les pitreries présidentielles passaient toujours à merveille à la tri-D : elles étaient d’ailleurs faites pour ça.

Nouveau sourire. Trois milliards de personnes n’en savaient encore rien mais aujourd’hui, la pitrerie serait plus grosse que prévu.

La caméra robot s’orienta pour effectuer un gros plan sur la plus populaire de ses deux têtes et il se fendit d’un nouveau salut. Il se présentait sous les traits d’un gros humanoïde, hormis le troisième bras et la tête supplémentaire. Ses cheveux blonds ébouriffés pointaient dans toutes les directions, il y avait dans ses yeux bleus l’éclat de quelque chose de quasiment insaisissable et ses deux mentons étaient presque constamment mal rasés.

Haut de sept mètres, un globe transparent flottait à côté de son bateau, ballottait et tournoyait en scintillant au soleil. À l’intérieur était en suspension un vaste divan semi-circulaire recouvert d’un luxueux cuir rouge : plus le globe ballottait et tournoyait et plus le divan restait parfaitement immobile, solide comme un roc en cuir. Encore une fois, par pur plaisir de l’effet plus que pour toute autre raison.

Zaphod traversa la paroi du globe pour aller s’installer sur le divan. Il étendit ses deux bras sur le dossier tandis que du troisième il s’époussetait le genou. Ses têtes regardaient alentour, souriantes ; il releva les pieds. Il se sentait, à tout moment, sur le point de hurler.

L’eau se mit à s’agiter, bouillonner et gicler sous la boule, tandis qu’elle s’élevait dans les airs, roulant et ballottant au sommet d’une colonne liquide. Elle poursuivit son ascension en jetant sur la falaise des traits de lumière. Elle poursuivit son ascension au sommet de son jet d’eau qui retombait pour s’écraser dans la mer à des centaines de mètres en dessous.

Zaphod sourit en s’imaginant le spectacle.

Parfaitement ridicule comme moyen de transport, mais parfaitement superbe.

Arrivé au sommet de la falaise, le globe oscilla un instant puis bascula vers une rampe d’acier qu’il dévala pour s’immobiliser précisément sur une petite plate-forme concave.

Au milieu des applaudissements frénétiques, Zaphod Beeblebrox sortit de la bulle, son cache-col orange éclatant dans le soleil.

Le Président de la Galaxie était arrivé.

Il attendit que cessent les applaudissements puis leva les mains pour saluer.

« Salut ! » lança-t-il.

Une araignée officielle se glissa jusqu’à lui et tenta de lui fourrer dans les mains un exemplaire du discours qu’on lui avait concocté. Les pages trois à sept de l’original étaient en ce moment même en train de flotter paresseusement sur les flots de la mer damogranienne à cinq milles au large. Les pages une et deux avaient été piquées par un aigle damogranien à crête huppée et se trouvaient d’ores et déjà incorporées à une forme de nid radicalement nouvelle que venait d’inventer ce rapace : édifié en grande partie à l’aide de papier mâché, il rendait virtuellement impossible aux aiglons nouvellement éclos de s’en échapper. L’aigle damogranien à crête huppée avait entendu parler de la notion des espèces mais il n’en avait strictement rien à faire.

Zaphod Beeblebrox n’avait aucunement besoin d’un discours préparé, aussi repoussa-t-il doucement celui que lui présentait l’araignée.

« Salut ! » redit-il.

Tout le monde le regardait avec un sourire épanoui. Enfin presque tout le monde. Il remarqua Trillian dans la foule. Trillian était une fille que Zaphod avait récemment levée, alors qu’il visitait une planète, incognito, pour le plaisir. Élancée, le teint sombre, humanoïde, avec une longue chevelure brune, les lèvres pleines, un drôle de petit bouton de nez et des yeux ridiculement bruns ; avec son fichu rouge noué d’une manière si particulière et son ample et longue robe de soie marron, elle avait l’air vaguement arabe. Non que quiconque eût jamais entendu parler des Arabes, bien entendu. Les Arabes avaient depuis fort peu de temps cessé d’exister et même lorsqu’ils existaient encore, c’était quand même à cinq cent mille années-lumière de Damogran. Trillian n’était pas quelqu’un de particulier. C’est du moins ce que ne cessait de clamer Zaphod. Elle se contentait de l’accompagner presque partout et de lui dire ce qu’elle pensait de lui.

« Salut mon chou », lança-t-il.

Elle lui adressa un petit sourire pincé puis détourna les yeux.

Puis elle le regarda de nouveau, en souriant cette fois plus chaleureusement mais, ce coup-ci, il regardait ailleurs. « Salut ! » lança-t-il à l’adresse d’un petit tas de créatures appartenant à la presse, lesquelles attendaient toujours et auraient bien voulu qu’il cessât une bonne fois de sourire et de dire salut pour embrayer sur les petites phrases. Il leur souriait d’autant plus volontiers qu’il savait que d’ici peu il allait leur en servir une gratinée, de petite phrase.