— Mais on devait aller au consulat de France pour mes papiers.
— Plus tard : j’ai école !
— Ah ! ça alors. Vous êtes un drôle de flic !
Non mais, elle voudrait me briser les couilles, la môme !
J’explose :
— Ecoute, morue. Tu as eu un confortable plumard, un petit déjeuner et la bite de nègre de tes rêves, alors moule-nous ! J’aime pas les frangines casse-roupettes !
Je disparais chez moi. Peu après, le Noirpiot toque à ma lourde : saboulé, valdingue en pogne.
— Bon, ben je pars ! annonce-t-il.
— Tu devrais déjà être arrivé, violeur de Blanches !
LE FURET (SUITE)
Le chef de brigade Désiré Martelon est un grand type à la peau dure, au regard pas fastoche, ombragé (comme on dit puis en littérature) d’épais sourcils. Il a un gros pif (et donc, probablement, un gros paf). Ses mains de manuel originel doivent avoir du mal à courir sur le clavier d’une machine à écrire ; quant à sa signature, je te parie une paire de gants de boxe contre une crise d’urticaire, qu’elle ressemble à une pelote de ficelle retrouvée dans la corbeille du chat. Il me broie la main droite, et je décide aussitôt de devenir gaucher pour lui dire au revoir.
Il me connaît de réputation, fait semblant de ne pas me mépriser (mais n’en pense pas moins) et m’écoute avec l’attention scrupuleuse d’un magnétophone. Je lui narre l’essentiel, ne passant sous silence que la détermination du duc à vouloir récupérer sa serviette Vuitton. Je raconte le coup du jerrican retrouvé dans le parking de l’hôtel et mon souhait de connaître l’identité des deux porschistes.
— Vous voulez bien me remettre ce récipient afin que je fasse procéder à un relevé d’empreintes ?
— Il est déjà en route pour Paris, avoué-je.
Là, mon confrère n’est pas content.
— Et pourquoi a-t-il quitté le territoire suisse, commissaire ?
— Parce qu’il provenait du territoire français, monsieur le chef de brigade. Le crime a eu lieu en France, il a été exécuté par des gens roulant à bord d’une auto immatriculée à Paris et il y a gros à parier que si on relève des empreintes sur le bidon, c’est dans nos sommiers qu’elles figurent. Cela dit, croyez bien que nous vous ferons tenir un double du rapport d’expertise.
Il n’insiste pas, mais couve son ressentiment, comme une poule ses œufs.
— Peut-on enfin connaître l’identité des deux hommes à la Porsche ? demandé-je avec le début d’intonation d’un qui perd patience et dont la gentillesse se met à faire feu.
Le chef de brigade adresse un geste d’assentiment au directeur, lequel convoque les gonziers de la réception, lesquels se pointent avec leur fichier. J’apprends que les deux compères ont noms : Kipper Gahgne, de New York, et Eloi Salique ; de Paris. D’après la description que j’en fais, ce serait le petit rondouillard l’Amerlock et le jeune blond le Franchouillard. Mon confrère suisse prend note de son côté, je aussi du mien. On promet de se revoir incessamment et peut-être avant, voire même d’aller claper des filets de perches au bord du lac (où y a jamais le feu) un de ces jours. On se tient au courant. Tout ça !
Je quitte ces messieurs pour courir téléphoner à la maison mère. J’obtiens Mathias sans cou fait rire, lui annonce l’arrivée imminente du Noirpiot avec son bidon ; lui file le blase des deux pyromanes ainsi que le numéro de la Porsche. Qu’il me tube dès qu’il aura quelque chose de positif.
N’ensuite je m’installe de biais dans un fauteuil, m’appuyant le dos à un accoudoir et balançant mes jambes par-dessus l’autre. Détendu, je procède à la mise à feu de ma gamberge. Comme à Cap Carnaval, ça fume pour commencer, puis ça s’ébranle doucement. Du mal à s’arracher à « l’attraction terrestre ». Mais la poussée de mes méninges s’intensifie et je décolle.
Je survole le vieux duc moisi, avec sa frime (pareille à la couverture de La Maison de l’Horreur), en forme de grain de courge à oreilles. Je pige mal son association de savants dont il dirige et exploite les travaux. Est-ce parce que l’âge l’a ramolli du bulbe qu’il fait une affaire d’Etat de son porte-documents et paraît torcher son anus flétri avec les documents eux-mêmes ? Il doit rouler un peu sur la jante, le mathusala, pour se complaire avec sa marchande de poissecailles. Un noble de fort calibre avec une virago pareille, ça fout du gasoil dans le sang bleu ! Toujours est-il que, sénile ou pas, il a reniflé la vérité en croyant au meurtre de son copain Hieronymus.
Je bondis du fauteuil et remets la gomme au bigophone. A nouveau Mathias.
— Ecoute, Blondinet, établis-moi un curriculum complet du dénommé Hieronymus Van Bytoun, sujet hollandais habitant Paris et qui collaborait avec Sa Majesté le duc de Sanfoyniloix. Fous des gaziers dessus, il me faut un « complet » : tout le pedigree du mec ! Je veux sa vie, sa famille et jusqu’à son moindre coup de bite. Ça urge !
— D’accord, Antoine. Je TE prépare ça.
Il se gargarise de ce tutoiement que je lui ai accordé avec noblesse, comme les vieux soyeux lyonnais accordaient la clé de leurs chiottes privées aux employés ayant cinquante ans de service[2].
Me revoilà dans le fauteuil. Je reprends mon survol. Hieronymus au volant de la Mercedes. « On » le suit. En Porsche, donc « on » ne se laissera pas distancer. « On » a un plan. « On » attend le moment favorable. Celui-ci se présente. « On » agit. Le coup du stop. Hieronymus accepte de charger le mec qui doit chiquer à l’automobiliste en panne d’essence, son jerrican à la main.
La Porsche attend au début de l’aire de stationnement la plus proche. « On » estourbit le Hollandais, ou on le chloroforme. « On » lui pique son porte-documents et « on » se sert de l’essence du récipient pour incendier l’auto et son conducteur. Soucieux de ne pas laisser de pièce à conviction sur place, le meurtrier emporte le jerrican. Il ne s’est pas aperçu qu’il a perdu le bouchon.
Les deux forbans foncent sur Genève et descendent dans l’un des meilleurs hôtels. Ils y séjourneront trois nuits et deux jours avant de repartir. Au moment de charger leurs bagages, ils s’aperçoivent que le jerrican les encombre et surtout qu’il n’a plus son bouchon. Ils ont lu dans la presse le fait divers à propos de la voiture en flammes. La gendarmerie a conclu à un accident. Tout baigne. Ils abandonnent sans arrière-pensée le bidon inutile.
Récit sobre, dépouillé ; bravo, San-Antonio ! Je te reconnais bien là !
Questions consécutives :
a/ Qu’ont fait les meurtriers pendant plus de quarante-huit heures à Genève ?
b/ Où sont-ils allés en quittant l’Intersidéral ?
Un instant, j’ai failli somnoler. Mais ma turbine nord fonctionne avec trop de pression. Là, j’ai un temps mort en attendant les renseignements qui vont tomber de la tirelire Mathias.
Mon biniou grésille. C’est la petite stoppeuse négrophile qui veut m’amadouer en me demandant si j’aimerais qu’elle me « tienne compagnie ». A défaut de Noir, elle se taperait du Blanc. Je revois ses nichons fluides, sa barbiche trotskiste entre ses cannes et je lui dis que « non merci, j’attends des coups de fil importants qui me mobilisent. » Elle murmure « qu’en ce cas elle va aller prendre l’air » ; à quoi je réponds que « c’est la meilleure idée qui ait jamais germé dans un cerveau de femme depuis que Marie Curie a découvert la radioactivité du thorium et isole le radium ». Salut, poupée, à plus tard !
Je me repelotonne dans le fauteuil.
Gambergeage numéro 2 !
Les noms des deux porschistes sont probablement aussi bidon que le jerrican. Leur tire devait avoir des plaques à la mords-moi le bretzel. On ne se lance pas dans une équipée meurtrière avec son vrai passeport et sa propre chignole !