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Il feint de ne pas prendre garde à l’opérateur qui l’enregistre, s’arrête près du fauteuil et ôte lentement son pardingue qu’il jette sur le canapé où nous sommes. Scène surréaliste. Ensuite, c’est sa veste qu’il pose, avec la même savante lenteur.

— Un strip-tease ? prévois-je.

— Mieux que cela, jubile le Rouillasse.

Le garçon se défait tour à tour de sa cravate, de sa chemise, puis de ses chaussures, chaussettes et pantalon. Le voici en slip arachnéen. Juste un triangle des Bermudes pour soutenir son paquet de Bonux et une lacette qui lui cisaille la raie culière. Comme je dis toujours, à propos de la lingerie féminine : jadis t’étais obligé d’écarter la culotte pour trouver les fesses, à présent, tu dois écarter les fesses pour trouver la culotte !

Ça y est ! Le beau jeune homme est à loilpé. Malgré que ça ne porte pas à l’aisance, il conserve toute sa grâce. Il a un charme mélancolique, un peu flou. Il est d’une minceur qui confine à la maigreur : on lui lit les côtes mieux que les lignes de la main. Il sourit triste à l’objectif. Sa queue pend, longue et fine. Il entreprend de la caresser lentement, en la flattant par en dessous. Le voilà qui godille. Pas péremptoire comme bandaison, encore évasif, mais ça vient, quoi. Il cambre les reins. Le cameraman a dû lui demander de le faire pour donner priorité à Proserpine. La trique du jouvenceau s’affermit, prend une certaine ampleur.

Il pose un pied sur la table basse et entreprend de s’astiquer sérieusement la flamberge. C’est parti pour la gloire ! Le chef opérateur réagit car la caméra a des sautillements intempestifs. Le mignon continue son astiquage de panais. Son visage se contracte, prend un air mi-éploré, mi-douloureux. Il pousse son manège. Ses longues jambes se prennent à trembler. Son regard se creuse et chavire, sa dextre est en folie et c’est brutalement la libération. Feu d’artifice. Lancer de confettis sur la Promenade des Anglais ! La caméra devient ivre, ne suit plus fidèlement les ultimes péripéties. Elle ne décrit plus que des écarts : pique sur le plancher ou le plafond, cisaille la pièce. La raison, on la comprend vite : celui qui la manœuvre n’a pu résister et amène sa main sous la pluie d’étoiles filantes. Quelques zigzags encore et bonne nuit les petits : on stoppe l’appareil. La fin de la cérémonie a dû se dérouler à huis clos.

— Que dis-tu de ma petite surprise ? jubile Mathias.

— Pas mal, mais je pense que celle que je te réserve lui est supérieure.

Le Rouillé s’inquiète :

— Vraiment ?

— Va dans la chambre d’en face et reviens me dire ce que tu en penses. Je suis fair-play, tu vois, je m’en remets à ton jugement.

Mathias sort. Je prends mes aises dans le canapé. Pour un peu, je m’endormirais.

Il réapparaît dix minutes plus tard, sans mot dire. Se rend dans la salle de bains de feu Hieronymus et s’y lave longuement les mains. Lorsqu’il me revient, dans une bonne odeur de « Bois de santal » de chez Roger et Gallet, il jette :

— D’accord : tu as gagné haut la main.

Puis il ajoute :

— Je ne suis pas médecin légiste, mais je crois pouvoir t’affirmer qu’il est là depuis deux à trois jours et que c’est un suicide, un vrai ! Autre chose : ce garçon était probablement atteint du SIDA, les analyses nous le confirmeront.

Curieux : j’avais déjà porté ce diagnostic.

— On peut lire son drame comme dans un bouquin, reprend l’Incendié. Il était le giton de ton Hieronymus. Ce dernier devait lui soutenir le moral, le « porter » en quelque sorte. En apprenant sa mort, le môme a perdu les pédales. Il est venu ici. Sans doute possédait-il un double des clés ? Il a pris le pistolet de Van Bytoun et s’est mis une balle dans la cervelle.

— Pourquoi crois-tu qu’il ait pris le revolver de Hieronymus ?

L’Incandescent va ouvrir un tiroir du bureau et en sort une boîte de carton vert tachée d’huile à l’intérieur.

— Browning, annonce-t-il en me montrant le couvercle ; c’est écrit dessus, comme le Port-Salut.

— Ton hypothèse me paraît en or massif, conviens-je. Le Hollandais avait tourné ce charmant petit film d’amateur pour conserver un souvenir de son giton.

— Probablement. Ça devait être le grand amour, eux deux.

— Marrant que tu dises cela, car je le pense également. La frime du jeune mec pendant qu’il se fourbit la corne d’abondance est éloquente : il agit par amour, et non par basse dégueulasserie. C’est une mélancolique épave. Il vivait de Hieronymus, par Hieronymus, pour Hieronymus. Il devait prendre les couleurs de sa vie, comme un caméléon.

Quand Hieronymus a cessé d’exister, il a éclaté !

LE TIGRE

M. Blanc a revêtu une combinaison rouge dans le dos de laquelle il y a écrit « Avisa » en lettres blanches. Armé d’une peau de chamois, il fourbit avec componction la carrosserie d’une Ferrari écarlate.

Dans le bureau voisin, dont le vitrage donne sur le hall d’exposition, l’inspecteur Nécune (Jean) potasse une revue consacrée aux performances de la Saab 9000 2,3. Lui, il roule dans une Renault 19 achetée à croum et il s’imagine au volant de la tire suédoise blanche, intérieur cuir bleu. S’il l’achetait, il prendrait l’airbag en option, pour le conducteur seulement. Gisèle, sa rombiasse, n’aura qu’à se cramponner aux branches en cas de collision ! Depuis le temps qu’elle le fait tarter, celle-là !

Il rêve de décrocher le big paxif au loto, Jean Nécune. Il moufterait pas, se louerait un coffiot à la banque pour y placarder sa fraîche et il s’offrirait des trucs, des choses et des machins à n’en plus finir : en loucedé. Il se ferait des gâteries jusqu’à perpète. Se chouchouterait à mort. Y aurait rien de trop beau, rien de trop bon pour sa pomme. La Gisèle : ceinture ! Et pas même de sécurité ! Elle continuerait d’empaqueter sa graisse dans des harnais douteux, la vachasse ! Se traiterait les paluches avec Paic vaisselle ! Cézig, gandinus ! Des costars Cerruti, une Saab 9000 et il louerait un petit baisodrome discret pour aller y tirer ses nombreuses conquêtes.

L’hôtel, c’est gênant. La semaine passée, au Beau Bijou, Porte Maillot, il s’est cassé le nez sur le commissaire Marchopat en sortant du claque-miche. Joyeux, non ? Justement il se trimbalait la grande Muguette, qui est caissière dans un supermarka et qui fait plus pute qu’une radasse de la rue Saint-Denis. Jouissif pour l’avancement. Le commissaire a eu un rire fumier. « Joyeux Noël ! » a-t-il murmuré. Nécune ne savait plus où se mettre. Depuis, le commissaire, chaque matin, lui demande :

« — Alors ? Toujours rien de nouveau, question vérole ? Ça incube, mon cher, ça incube ! »

Jean Nécune en est là de ses pensées douces-amères lorsque le chef d’atelier surgit. Il a une tache de cambouis sous le pif, ce qui lui compose une espèce de moustache à la Charlot.

Il lance :

— La Porsche vient de rentrer.

Nécune tressaille. Depuis deux jours qu’il mijote dans l’agence, il finissait par ne plus penser à l’objet de sa planque.

— Où ça ? demande-t-il.

Le chef d’atelier lui désigne une Porsche noire, crépie de boue et de poussière, au centre du hall. Un jeune mec en est descendu, tenant le dossier de la guinde dans un fourre, et s’avance vers le burlingue.

— Qu’est-ce que je dois faire ? s’inquiète précipitamment Mlle Maryse, la préposée.

— Strictement rien de particulier, assure Nécune. Agissez comme avec n’importe quel client. Vous, ajoute-t-il à l’attention du chef d’atelier, allez prévenir le Noir que notre client est là.