Son apparte est confortable. Il ressemble — en plus luxueux — à celui des Tramontane. Dommage que les moquettes soient jonchées de journaux déployés sur lesquels Foufou pisse et crotte comme un malade. Il est abricot et se passionne dare-dare pour ma braguette qu’il hume à pleines narines, comme un tuberculeux l’air vivifiant des cimes alpestres. En moins de pas longtemps, on devient une paire d’aminches. Il est exact qu’il n’a pas besoin de toiletteur, Foufou. Il est encore rasibus, à l’exception de la tête, des bas de pattes et du bout de queue.
— Vous voyez ! me fait constater Laure. Que voudriez-vous qu’on lui fit ?
— Un bain, peut-être ?
— Mais il est propre comme un œil ! Et puis il est mauvais de trop laver les chiens. Vous savez que leur peau sécrète…
— Je sais : une chierie protectrice à laquelle il ne faut pas toucher. Un petit traitement antipupuces, alors ?
Là, c’est le courroux complet :
— Des puces ! MON chien !
— Il a pu vous échapper et se mêler à des clébards de quartier ?
— Pensez-vous ! Contentez-vous de faire brosser ses touffes.
— Banco !
A propos de brosser des touffes, tu sais que je m’occuperais volontiers de celle de ma gentille amie ? Elle porte un tailleur qui me déclenche le turbo. Je suis ultrasensible aux étoffes, comme tous les vrais sensuels.
Je dépose Foufou sur le fauteuil que j’occupais et m’agenouille devant celui de Laure Ambard.
— J’en suis resté à notre séparation de l’autre soir, soupiré-je : un instant d’émotion capiteuse qui faisait de la musique.
— Pourquoi n’écririez-vous pas ça ? demande-t-elle. Au lieu de vos grossièretés habituelles ? Tous ces mots crus, ces calembours et ces à-peu-près qui jalonnent vos pages indisposent une grande partie de votre lectorat.
— Tandis que si je prosais « tasse-de-thé », je serais admis dans le beau monde ?
— Entre autres.
— Mais les autres, Poupette ? Mes vrais lecteurs ? Ceux qui m’aiment parce que je suis un sodomiseur de pisse-froid, parce que je montre mon cul aux tartufes, parce que les décorations me font marrer, parce que j’appelle un chat un con, parce que mon sexe représente à mes yeux l’échelle sociale, parce que je préfère une partie de baise dans une cabine téléphonique à une partie de chasse à courre en Indre-et-Loire. Que diraient-ils, ces purs, ces amis, ces grognards de l’enculade si je virais comtesse de Ségur, née Rostopchine ? Et vous, ma gracieuse, chercheriez-vous à m’arracher à mon éditeur présent pour me porter en triomphe chez le vôtre, si je servais des brouets de mots, si je fabriquais de l’entremets en sachets ? Que nenni, ma jolie !
Elle sourit, avance sa main pour caresser ma nuque.
— Quel sale bougre ! murmure-t-elle.
Elle hésite un chouïa et me lance, tel un défi :
— Surprends-moi !
— J’ai pigé. « Surprends-moi », ça veut dire : « Ne me fais pas l’amour sottement, comme tout le monde. Invente ! »
Dans ces cas de provocation avancée, de deux choses l’une : ou bien t’envoies rebondir le sujet en le traitant de dévié sexuel, ou bien t’inventes.
Ma nature, c’est de relever le défi.
Mais comment ? Bourrer une frangine, c’est fameux, mais pas varié. Tu peux la tirer debout, couché, assis, par-devant, par-derrière, en bagnole, en train, en avion, même. Tu peux la niquer dans une turne, dans une nacelle d’aérostat, au rade d’un troquet, dans la « chenille » de la Foire du Trône (tout cela je l’ai expérimenté). Mais la mère Ambard, elle compte vraiment sur du sensationnel, de l’inédit ! Elle exige un scoop ! Une troussée monumentale susceptible d’assurer la une de France-Soir !
Faut pas la bricoler, lui faire ça à la foutre-aux-yeux ! Que non ! Elle s’attend à du mémorable. A marquer d’une paire blanche ! Faut qu’elle puisse raconter cette hypernique à ses potesses, puis à ses filles plus tard, qu’elles pigent le combien maman était salopiote en plein, diguant du fion à l’excès.
Elle attend en confiance. Moi, j’échafaude à toute vibure. S’agit pas de formuler une chiée de proposes louftingues et de les voir rebuffer. Je DOIS trouver pile ! J’ai pas droit à l’erreur. Alors mon esprit vagabonde. L’accrocher à la suspension et lui faire minette façon « Yamilé sous les cèdres », c’est envisageable, mais suppose que le crochet du lustre cède sous son poids et qu’elle se brise deux ou trois rotules en tombant ? Y aurait aussi un gag sympa qui consisterait à lui passer mes menottes flicardières à la cheville et au poignet pour, ensuite, l’emplâtrer levrette, voire lui taquiner l’œil de bronze. Elle aimerait probablement. Mais serait-ce suffisamment original ?
Je pressens une blasée. Dans l’édition, elle doit se laisser charger par une flopée d’auteurs, et ces cons-là font preuve d’imagination. Généralement, les intellos niquent mieux qu’ils n’écrivent. Ils sont viceloques et riches en combines fructueuses. Le coup du « moulin à café », tu parles, c’est un gus qui travaillait à une encyclopédie qui l’a inventé. La « mouche sans ailes », c’est un ancien Prix Goncourt qui l’a mise au point. La « corde à piano, avec olive de plomb à se foutre dans l’oigne » a été réalisée par un membre de l’Académie française qui se faisait interpréter le Requiem de Mozart à l’oignon. Et je peux t’en citer à l’infini. Moi, je sens qu’il me faut faire simple. Puisqu’on parle de Mozart, c’est sa grande simplicité qui a mis son génie en évidence, ne l’oublions pas ! Alors, ça vient, Antoine ? Tu l’éjectes de la culasse, la faramineuse idée ?
Oui ! Je savais qu’il accoucherait d’un truc pas mal, mon petit lutin farceur. Ce qu’on aura pu échafauder comme coups tordus, lui et moi ! De ces fumantes astuces qui agrémentent la vie et qu’on relate à ses potes, plus tard dans les soirées arrosées, en en rajoutant un max.
— On signe un pacte ? lui demandé-je. Tu me laisses opérer comme je l’entends ?
Elle est émoustillée séance tenante.
— Tu as carte blanche !
C’est noté !
Je me dresse et lui fais ôter sa veste de tailleur. N’ensuite, je déboutonne scientifiquement son chemisier avec l’application d’une bonne sœur égrenant son chapelet. Ses deux gaillards d’avant manquent m’énucléer car elle ne porte pas de soutien-loloches et leurs embouts vieux rose me partent dans les lotos. Cela acquis, je l’oblige à se mettre droite pour procéder au décarpillage de la jupe, puis à celui du slip minuscule qui n’est qu’une ficelle à fendre la pêche. Par miracle, elle porte des bas ! Loué soit le Seigneur ! Elles y reviennent ! J’en rencontre de plus en plus qui réhabilitent le porte-jarretelles. Tout est cyclique sur cette garcerie de planète qui est la première à donner l’exemple avec la ronde des saisons. Les individus le sont aussi ; mais eux, c’est par manque d’imagination. Tu sais quoi ? Connaissant leur peu de mémoire, quand une mode a fait son temps, ils puisent dans des modes antérieures. Voilà pourquoi les fringues des gonzesses s’allongent ou se raccourcissent en une éternelle marée.
— Non, non ! Pas ça ! fais-je. Garde précieusement ce harnachement d’amour. On n’a jamais rien trouvé de plus excitant pour faire chanter le corps de la femme.
Je lui prends la main.
— Maintenant, viens !
— Comment ! Où cela ?
Car je l’entraîne vers la sortie.
— On va faire l’amour sur le palier, dis-je ; ça, c’est du sport !
— Mais tu es fou !
— Que non point !
— Mais quelqu’un peut surgir !
— En effet, quelqu’un peut surgir, tu te rends compte si c’est excitant, ce qui-vive éperdu ? Tu ne l’oublieras jamais. Obéis puisque tu en as pris l’engagement.