Il désigne le caniche aux trois quarts dépoilé. Paulette le maintient sur la table. Elle me virgule une œillade aussi mouillée que sa chatte.
Ma décision est prise.
— Vous croyez aux coups de foudre ? lui chuchoté-je.
— Et comment !
— Alors on dîne ensemble ce soir. Vingt heures trente au Fouquet’s, ça vous va ?
Elle hésite, réfléchit à ce qu’elle va balancer comme vanne à son jules du moment, trouve et opine :
— D’ac.
Histoire de parachever mon entreprise de séduction, je murmure en me fourbissant la braguette.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive ! Vous, alors, comme centrale électrique…
Elle rerit niais. Connasse ! J’ai autant envie de l’enfourner que de traverser le Sahara à bicyclette.
De l’autre côté du rideau de perles, Albert parle à voix basse. Quelque chose me dit que la converse doit être intéressante. Qu’est-ce qu’il fout avec Mme de Sanfoyniloix, ce vilain ? Tu crois qu’il la fait étinceler de la craquette ou bien il se passe autre chose entre eux ?
Le revoilà. Il finit son caniche, va le fourrer dans une cage et s’empare de « Bayard ».
Il fulmine :
— Votre copine, elle est bargeot ou quoi ? Il est impec, ce chien !
Il biche sa tondeuse et, sauvagement, attaque les touffes du caniche. Quand c’est fini, « Bayard » ressemble à Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du paradis (interprétant le rôle du mime Debureau). Tondu, il paraît à poil, ce qui est cocasse, hein ?
Le gars Baugland m’éponge une somme astronomique pour prix de sa mutilation. Je lui file un talbin grand format. Là encore il est mécontent parce qu’il doit chercher de la monnaie. Tandis qu’il s’affaire pour la réunir, j’enfouille presto l’une de ses tondeuses, puis je joue cassos !
Direction : la Grande Volière.
J’ai hâte de retrouver M. Blanc pour apprendre ce que la dusèche a bricolé avec le gorille en quittant La Lanterne Sourde. Hélas, il n’y est pas. Alors je vais trouver Mathias et je dépose la tondeuse sur son sous-main, après l’avoir saisie par sa partie dentée.
— Tu veux bien vérifier les empreintes qui figurent sur cet objet, Xavier ?
— Tout de suite, Antoine. TU as acheté un chien ?
— Une copine me l’a prêté.
— Pour quoi faire ?
— Pour me permettre d’aller dérober cette tondeuse.
Il sourit et approuve véhémentement.
— On dirait un squelette de caniche, déclare-t-il. C’est du rasibus qu’on lui a fait ! Pour l’hiver, c’est imprudent.
— On lui mettra un lardeuss, promets-je à cet ami des bêtes.
Mathias disparaît avec la tondeuse et je vais dans mon burlingue. L’absence de Béru et aussi celle de Pinaud me pèsent. J’aime bien avoir ma fine équipe à dispose. Sans ma galerie de monstres, je me sens orphelin.
« Bayard » semblant avoir soif, je vais lui chercher de la flotte dans un grand cendrier de verre. Il lape avec plaisir, frétillant du bâtonnet dénudé qui, maintenant, lui tient lieu de queue. On est en train de devenir deux potes, lui et moi. Quand il a étanché sa soif, il vient se coucher à mes pieds sous mon bureau et s’endort.
Et tu sais quoi ? J’en fais autant. La petite ronflette réparatrice. De celles qui durent dix à vingt minutes et te refont une santé express.
C’est Mathias qui m’en arrache. Il tient une fiche à la main.
— Albert Baugland, ça TE dit quelque chose, ANTOINE ?
— Tout à fait.
— Jeunesse orageuse. Il est tombé trois fois, pour des délits de plus en plus importants. Vol de voiture pour débuter, ensuite il a fait les sacs à main à l’arraché, et puis enfin association de malfaiteurs et braquage d’une agence de P.M.U. Porte des Lilas. Là il en a morflé pour cinq ans. Il en a fait quatre et a été relâché pour bonne conduite. A sa sortie, il s’en est acheté une (conduite) car on n’a jamais plus entendu parler de lui. Ça t’intéresse ?
— Non, ça me passionne. On n’a rien de nouveau concernant Eloi Salique que Blanc a blessé ?
— Rien. Mais ça peut venir.
— Heureusement !
Le Flamboyant se retire. Je vais prendre une chemise propre dans mon placard. J’y conserve toujours quelques hardes de rechange pour quand je n’ai pas le temps de rentrer at home.
Une petite lotion de « Cologne-Sologne » et me voilà fringant pour aller retrouver la Paulette au Fouquet’s.
J’arrive en avance, et cependant elle est déjà laguche, la petite Mémé. Saboulée tu peux pas imaginer comme. J’ai l’anus qui recroqueville en l’apercevant, tellement elle en balance ! Magine-toi une robe de soie noire qui cache à peine la pointe de sa culotte. Par-dessus, un manteau de renard jaune-pisse. Mais le pire, c’est sa coiffure. On jurerait qu’elle a une paonne en train de couver sur la tête. Ça gonfle sur le devant et ça bouillonne carrément sur le derrière pour former éventail. Tu te dis que c’est pas possible. Ou alors si : pour un film des Bronzés.
Aux oreilles, deux lustres vénitiens. Quant au maquillage « du soir », je te le garde pour la prochaine fois, sinon tu me ferais un infarctus en plein bouquin et je déteste perdre mes lecteurs avant l’arrêt complet des réacteurs.
Naturellement, elle s’est parfumée à la lance d’incendie et pue si fort que je prends mal au caillou sitôt la porte franchie.
Impudique, elle lève un bras en m’apercevant et crie :
— Ho ! hoooo !
Charmant. Côté discrétion, c’est gagné. Je dois ressembler à un mac venant relever le compteur de sa gagneuse en fin de turbin. Le dos rond, je me faufile jusqu’à elle. Presse avec ferveur quatre des cinq doigts aux ongles carminés qu’elle me propose.
— Vous êtes en avance ! complimenté-je.
— Vous z’aussi.
— De la part d’une femme, c’est plus rare. Que buvez-vous ?
— Un Ricard.
Elle se baisse pour caresser « Bayard ».
— Le pauvre ! s’apitoie-t-elle. Il a l’air d’un…
— Tout à fait, conviens-je.
Je dis au loufiat baladeur de me servir un Pimm’s et un comprimé d’Aspirine (son parfum insoutenable m’amène dans la périphérie de la méningite).
— C’est gentil de m’inviter, roucoule-t-elle.
— Je vous l’ai dit : coup de cœur immédiat.
— Plus coup de bol, enchaîne l’irrésistable. Si je vous disais qu’hier encore j’avais mes ragnagnas.
— On fera sans eux ! plaisanté-je.
Elle rit. Pour elle, le tracé de la soirée est établi rigoureusement : bouffement bien arrosé et carambolage fripon dans une chambre plafonnée avec des miroirs.
Les gens d’alentour ont cessé de nous mater. Après tout, c’est pas la première pétasse qu’ils côtoient sur les Champs-Elysées.
Je me mets à la questionner sur sa vie. Faut balayer large. J’apprends qu’elle a été mariée à un cuisinier, qu’elle l’a plaqué parce qu’il était bon aux fourneaux, mais pas du tout au plumard. Maintenant elle vit avec un vieil agent d’assurance retraité : M. Vincent. Une bonne rapière, malgré son carat. Du genre viceloque inventif ; malheureusement il a une petite pipette d’écureuil qu’il charge de sept capotes superposées pour lui donner un volume décent.
Elle travaille depuis un an pour Baugland. S’il la tire ? Oui, selon l’humeur : un coup de verge à l’improviste. Mais rien de passionnel ; c’est un sanguin, un fougueux du chibre. Il lui est arrivé de planter des dadames à toutou dans le laboratoire, en présence de Paulette qui participait de son mieux en distribuant des feuilles de rose. Il pique des colères noires, Bébert. Il est maqué avec une grande blondasse qu’on voit peu au magasin et qui fait épilation définitive en étage ; mais selon son arrière-pensée, Paulette, elle bricolerait une petite pipe ou une petite minouche aux clients que ça n’aurait rien de surprenant. Elle a « la tête à ça ». L’hôpital qui se fout de la charité !