Выбрать главу

La vie sociale de M. Albert ? Il sort beaucoup. Se farcit des tas de gerces, fréquente une foule de copains. Il aime la bonne gueule, joue aux brèmes dans des bars près de chez lui. Son adresse ? Rue de Bretagne. Le numéro ? Elle en est pas sûre, mais c’est presque en face du square du Temple.

En dix broquilles, j’ai tout un papelard sur cézigue et donc plus besoin de son auxiliaire. Une seconde, l’idée me vient de prétexter un coup de grelot urgent et de mettre les adjas. Mais je pense aux efforts déployés par m’man pour faire de moi quelque chose qui ressemble à un homme bien et je chasse la tentation.

On se lève pour claper. Je demande au maître d’hôtel la plus discrète de ses tables. Il me déniche ce qu’il me faut, au fond de la terrasse, entre deux plantes vertes et je me place dos aux clients.

On passe commande. Paulette se défait de ses escarpins et se met à me faire du pied comme une folle, remontant mes jambes jusqu’à mes vaillants testicules. Prévoyante, elle pense déjà au pousse-café, la gueuse ! Tu sais, mine de rien, que ça doit être une sacrée bestiole, au dodo ? Pas chômeuse ! Tout à l’initiative ! Elle fait des essais, ça, comptes-y ! Tente des recettes nouvelles, des figures libres, des exercices périlleux.

En mangeant, elle m’explique que sa folie c’est de prendre du rond tandis qu’elle se pratique un solo de banjo. Elle adore parler chiffons. Ça fait partie des prémices.

Cette grenouille fait tant et si bien que je finis par attraper un concasseur à chaglatte gros comme un avant-bras de lutteur. Et, tiens-toi bien, Bastien, c’est ma pomme qui brusque l’addition pour l’embarquer chez Madame Renée, rue de Courcelles. La vie est singulière. Pleine d’ironie. Inattendue, quoi !

Chez Madame Renée, c’est le luxe culier en majesté. Velours, brocart, pompons, tapis, dorures, miroirs partout ! Et biseautés, please ! Le bidet ressemble à un cygne noir, sa robinetterie est dorée et il comporte un jet rotatif endiablé. Le pucier mesure trois mètres de large ; en perspective des partouzes qui peuvent éventuellement être organisées par Madame qui a toujours des pineurs et des pineuses en renfort dans son salon privé.

La coiffeuse de cadors est aux anges devant tant de faste. Croit qu’elle vient se faire tirer chez Louis XIV.

Je mettrais une perruque longue d’un mètre que ça lui semblerait naturel. Elle ose à peine se décarpiller au milieu de ces somptuosités, Paulette. Que sa culotte lui paraît mesquine, soudain. Elle rêve de beaux atours, de dessous à laçages qu’il fallait une plombe pour rendre une gonzesse opérationnelle.

Elle me goinfre le périscope, d’emblée. « Bats-moi avec, qu’elle supplie ! » Et tu me vois en train de lui filer des coups de gourdin en bidoche sur les noix ! Les jeux de l’amour et du lézard ! Pan ! pan ! mimiches ! Connasse ! Foutriquette ! Bavure ! Je l’engonce prompto du mandrin. Illico dans le petit borgne, puisqu’elle prétend aimer ça. Le caniche glabre qui assiste à l’emplâtrage se met à japper comme un malade. De quoi te faire dégoder ! Mme Renée ne tarde pas à surviendre, sévère derrière son face-à-main.

— Faites-moi taire cette bête, commissaire, elle admoneste ; on va croire que mon établissement donne dans la zoophilie !

— Ça vous ennuierait de me le garder un moment ? Il est doux comme un agneau ?

— Je déteste les chiens, elle répond.

Elle me mate, sévère. J’ai le Corona qui bat la mesure et ça finit par la faire sourire.

— Bon, parce que c’est vous, je vais le confier à Marinette.

Elle prend la laisse traînante et repart avec le tondu.

L’intermède a agacé le sensoriel de Paulette.

— Vite ! Vite ! elle me presse en actionnant du derche comme le tennisman accomplit des mouvements d’assouplissement en cours de match.

Je me dis qu’une nana en survoltage, tu peux lui poser n’importe quelle question, elle y répond sans barguigner.

Je demande :

— Je parie qu’Albert te fait tirer par ses potes, quelquefois ?

— Oui, c’est vrai ! halète la grenouille.

— Par plusieurs à la fois ?

— C’est arrivé, oui. Vite ! Allez, allez, remets-moi !

— Et t’aimes ça ?

— J’en raffole.

— C’est des voyous, ses aminches, hein ?

— Sûrement. Mais je t’en supplie : reviens ! J’y tiens plus.

— Et Albert aussi, c’est un gredin, non ?

— Je ne sais pas !

— Si, tu sais !

Brusquement, elle saute du lit, furibarde.

— Class, à la fin ! hurle-t-elle, à deux doigts de l’hystérie. Tu m’as payé à dîner et amenée ici pour me tirer, oui, mais les vers du nez, avoue ! T’es qu’un sale poulet de merde ; à preuve, la taulière t’appelle « Commissaire ».

Embêté, je regarde se dégonfler ma balise.

— Ton Albert, tu ferais mieux de le quitter pour aller tondre ailleurs, conseillé-je, tu risques de gros ennuis à travailler pour lui.

— C’est mes oignons !

— Non : c’est ton oignon ! Je t’aurai prévenue !

Je me ressape en vitesse et vais récupérer « Bayard ». Un talbin à Marinette la femme de chambre ; une gentille Alsaco dodue, aux yeux de porcelaine.

— Pourquoi vous l’avez complètement tondu, ce caniche ? demande la briqueuse de bidets.

— C’est parce qu’il aime voyager incognito, ma poule.

Je me dis qu’il est temps de le rendre à sa chère maîtresse. Ce ratage me rend furax. C’est charognard, les coups foirés ; ça te laisse un goût de gueule de bois dans la bouche et te colle de mauvais présages dans le cigare. Je continue de bandocher dans mes guenilles. Peut-être vais-je faire rebelote avec Laure. Les secondes tringlées sont souvent meilleures que les premières.

LE LOUP

Mon coup de sonnette reste sans effet. Phrase déterminante dans un ouvrage dit policier, de qualité. Un des fleurons de cette littérature dont, au fil du temps, l’université s’aperçoit qu’elle est la seule vraie, l’autre étant de la branlette méningée, de la couillerie de mots, de l’émulsion de délirade.

Donc, mon coup de sonnette…, etc., etc. Il est suivi d’un second, pour si des fois Laurette serait en train de se laver le prose, puis d’un troisième dans l’hypothèse où elle serait constipée, enfin d’un quatrième au cas où elle dormirait.

Mais nobody ne répond.

J’hésite à garder le caniche. Pas qu’il soit gênant, le cher dépoilé, mais il faudra que je le ramène demain et j’ai d’autres chiens à fouetter. Le plus simple est que j’ouvre sa lourde avec mon sésame et laisse « Bayard » dans ses meubles.

Aussitôt pensé, aussitôt fait.

Cric, crac ! Je pousse la porte et le chien se précipite dans son logis en gémissant. Une chose me surprend : il y a de la lumière dans le living.

Je m’avance jusque-là et j’ai alors une vue imprenable sur un pénible spectacle.

Défigure-toi que ma petite Laure est ligotée « proprement » (si j’ose dire) avec les bras derrière le dos. On lui a plaqué un large sparadrap sur la bouche. Et on l’a attachée par le cou au radiateur (ancien) du chauffage central. Pas pendue exactement, car son front repose sur la moquette ; mais si elle devait tenter de remuer, elle se strangulerait immanquablement. Elle est dénudée de la partie inférieure et elle a le manche d’une balayette de gogues enfoncé dans le recteur (Béru dixit) ; de plus, son adorable fessier est constellé de brûlures causées par une cigarette incandescente.