— En effet traitdelumièré-je.
C’est vrai que j’ai vu maintes fois la duchesse excentrique dans certains hebdos friands de ce genre de personnages. Une forte gaillarde de cinquante balais, mafflue, trognue, couperosée ; le rire explosif, la voix camelote ! Seigneur, comment peut-elle cohabiter avec cette momie frileuse aux étiquettes décollées ?
Nous quittons ce temple du bien-manger où chaque repas fait songer à une grand-messe à la cathédrale de Chartres.
Ma petite camarade demeure maussade, indécise. Elle est mécontente d’elle. Cette chatte gourmande espérait me parler business mais j’ai déjoué subtilement ses bottes secrètes. Est-elle partante pour l’autre botte ? Elle a pas l’air de frémir du réchaud. Trop sophistiquée, la chérie. Elle se garde pour elle. Sa philosophie, c’est le donnant-donnant. Passe-moi la rhubarbe et je te prêterai mon cul !
— Mes intentions sont subordonnées aux vôtres, lui fais-je. Où souhaiteriez-vous aller ?
Elle est assise dans ma 500 SL qui sent bon le cuir teuton.
— Une voiture de rêve, soupire-t-elle. J’aimerais rouler à bord de ce bolide.
— Eh bien ! roulons !
Du moment qu’elle est en robe, ça joue ! Dans les équipées automobiles, ce sont les grimpants qui constituent l’ennemi, en particulier ces saloperies de jeans toujours trop ajustés, kif une seconde peau ! Qu’elles sont contraintes à se coucher sur le dos pour pouvoir les agrafer !
Dans les grandes métropoles, la merde c’est qu’il faut rouler longtemps avant de trouver la cambrousse, se défaire des interminables et minables banlieues, franchir encore ces bourgs toujours citadins avant de pouvoir foncer par des routes noires, désertes, où aboutissent des chemins de terre propices aux enfourchements.
— Vous roulez vite, note Laure Ambard.
— Pas moi : la voiture, finassé-je.
— Que se passe-t-il quand un motard vous arrête ?
— Il me demande mes papiers, je les lui montre et il me fait le salut militaire.
— L’impunité augmente la témérité, dit-elle doctement.
Je me dis que c’est le moment de lui placer une main tombée au creux de sa jupe. C’est la manœuvre number one, incontournable. Le choix ! Ou bien elle repousse ma dextre et alors ça veut dire « nib de nib », ou bien elle reste sans réaction et alors tu peux envisager l’avenir immédiat sous d’excellents auspices.
Laure ne bronche pas, mais elle me demande à brûle-veston :
— Si c’est pas indiscret…
Donc, ça va l’être.
— Votre pourcentage d’auteur est élevé ?
Elle ne pense qu’à ça, la pécore. Je m’en gaffais, tu penses.
— Suffisamment pour que je puisse m’offrir ce jouet, réponds-je.
Ça ne lui suffit pas.
— Non, sans plaisanter, commissaire, vous touchez combien ?
— Tu me tailles une pipe et je te le dis ! réponds-je.
Elle Suffolk, Norfolk, suffoque.
— Quelle horreur ! s’exclame-t-elle. Je vous savais libertin, mais goujat à ce point !
Rien qui braque mieux que la 500 SL. Tu tournes sur place, avec cette bécane. Profitant de ce que la route est vide, j’opère une manœuvre à la six-quatre-deux qui lui fait remonter sa salade de homard jusqu’aux dents de sagesse.
— Mais qu’est-ce que vos faites ! gémit la donzelle.
— Demi-tour ! Je ne pense pas que vous souhaitiez prolonger la soirée en compagnie d’un goujat !
Elle désempare :
— Reconnaissez que vous avez de ces façons…
— Je reconnais ; elles constituent ma personnalité, ma chérie. Il y a les pimbêches qui font semblant de les détester, mais toutes les autres s’en amusent.
Elle reste silencieuse un moment tandis que je fonce en direction de Pantruche-les-Bains. Et puis voilà qu’elle se livre à une opération stupéfiante. Tu ne devineras jamais !
Elle se met à trémousser du bassin, le corps arqué, ses mains s’affairant sous sa robe retroussée et elle finit par ramener une exquise petite culotte saumon. Elle la plie en éventail, retire ma pochette de mon veston et la remplace par sa culotte.
— Avec votre costume gris c’est plus en harmonie que votre affreuse pochette violette qui m’a gênée toute la soirée ! déclare-t-elle.
Voilà ce qu’elle bonnit, Laure Ambard. Textuel. Chouette retournée, non ? Elle savait que pour rebecter le coup il lui fallait trouver une astuce « choc ». C’est fait.
— Gagné ! lui dis-je.
— A présent, on va voir vos estampes ?
— Non, réponds-je. A présent je vous dépose où vous voulez et ensuite je me rends à un rendez-vous d’affaires. Mais vous pouvez me pomper le nœud pendant que je conduis, il m’est souvent arrivé de jouir à cent quatre-vingts à l’heure !
On s’est quittés bizarrement, elle et moi. Je l’ai crachée rue de Verneuil sans qu’elle m’eût sucé ni que je lui eusse dit le pourcentage de mes droits d’auteur.
J’ai murmuré, en désignant ma nouvelle « pochette » :
— Je peux la garder ?
— Bien sûr.
Elle m’a tendu la main, je la lui ai saisie et puis on a eu comme un élan spontané et on s’est embrassés. La vraie chouette pelle prolongée, avec menteuses vagabondes, chailles qui crissent comme un tramway dans un virage. J’ai passé ma main sous sa jupe. Dommage : elle était vachement participante.
— Je sais que nous allons nous revoir, lui ai-je dit, mais je préfère te prévenir tout de suite : je ne changerai pas d’éditeur.
— Dommage. Chez nous tu obtiendrais dix-huit pour cent.
Incorrigible, je te dis.
Pour la faire chier, j’ai pouffé :
— Si on ne me donnait que ça, au Groupe, y a lulure que j’aurais mis les voiles.
Elle m’a regardé décarrer. Une 500 SL qui débonde plein gaz rue de Verneuil, ça fait du zef, espère !
Le duc Maximilien de Sanfoyniloix possède un somptueux hôtel particulier rue d’Andigné, à la Muette.
A première vue, on pourrait penser qu’il y a réception dans la masure car presque toutes les fenêtres sont illuminées. Pourtant, aucun bruit n’en sourd. Je sonne et le chauffeur qui m’a naguère conduit jusqu’à la Rolls du Nain Jaune vient m’accueillir, loqué cette fois en valet de chambre. Sourire déférent. Il m’aide à retirer mon imper doublé de loutre, le tient sur son bras, tel un matador sa cape pour pénétrer dans l’arène, et me guide jusqu’au cabinet de travail du duc.
— T’es espagnol ? lui demandé-je, chemin faisant.
— Si.
— Je venais de me parier un kilo de sucre que tu l’étais : j’ai gagné.
Lui, stylé à mort, il est prêt à encaisser toutes les divagations, diurnes ou nocturnes des hôtes de son maître.
Ce dernier m’attend, assis dans un fauteuil Louis XIV doré qui ressemble à un trône. Il est toujours en costume de ville bleu marine croisé, avec sa rosette sur canapé qui me donne l’impression de clignoter comme un gyrophare de pompier. Il a encore un plaid (de fourrure, cette fois) sur ses jambes, et le bichon maltais nain est lové dans les poils de loup. Un feu de bûches crépite dans une cheminée de marbre blanc. Les murs sont garnis de livres reliés qui doivent coûter un saladier. Un Corot, un Fragonard, une eau-forte de Rembrandt sont logés dans des niches admirablement éclairées. Un bureau Louis XV, en « palissade » comme dit Béru, supporte quelques objets rares, dont un encrier en or massif.
— Merci d’être venu, monsieur le commissaire. Prenez ce fauteuil qui fait face au mien. Souhaiteriez-vous boire quelque chose ?
— Sans compliment, réponds-je. Je ne voudrais pas aggraver le capital calorique pris chez Lasserre.