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Elle est très pâle, très désespérée. Sa chevelure la fait ressembler à un O’Cédar modifié Noah. J’ai remarqué que le chagrin rend encore plus conne la physionomie des cons. En la creusant, il en accentue les dominantes.

Pourquoi, cela dit, plongé-je cette gourde dans la détresse ? Pour l’amollir, comprends-tu ? La rendre plus malléable, plus soumise, elle qui tant doit l’être initialement ; c’est requin comme procédé, hein ?

Elle tombe assise sur un canapé de luxe acheté chez un marchand de meubles des Grands Boulevards.

— Qu’est-ce que je vais faire ! lamente-t-elle.

J’ai envie de lui répondre :

« — Ben, le tapin, ma poule, pour pas changer. »

Mais je respecte sa douleur. Elle chiale vache. Tu connais la physionomie jubilatrice de la fameuse « Vache qui rit » qui appartient au patrimoine français ? Ben imagine la « Vache qui pleure ». C’est elle ! Elle a la larme bovine. J’ai un peu honte de la faire « pleurer à l’œil », si tu me passes cette joyeuseté.

— Il vous a dit où il se rendait quand il est parti d’ici ? questionné-je.

Elle secoue ses onze mille trois cent quarante-six mèches tressées.

— Il ne me disait pas grand-chose.

— Il vous a parlé du nègre ?

— Quel nègre ?

— Non, rien.

Tout en discourant, je musarde dans l’appartement, ouvrant les tiroirs, les placards. Tout baigne dans un petit confort niais et vaniteux. Elle ne prend pas garde à ma curiosité flicardière, paraissant hantée par une idée fixe.

Elle balbutie :

— Vous croyez vraiment qu’il est mort ?

Je lui vote une mimique de circonstance.

— Six balles groupées dans la poitrine, ça ne vaut pas une cure de jouvence chez Cambuzat, au Mont-Pèlerin, près de Vevey, publicité-je.

Elle répète :

— Mais qu’est-ce que je vais en faire ?

Le « en » me fournit de quoi tiquer.

— Faire de quoi ? je demande.

Elle hausse une épaule, sa plus belle, ce qui découvre un sein flasque comme une paire de couilles octogénaires.

— Faire de qui ? insisté-je.

— Je suis toute seule, comprenez-vous ? dit-elle.

— Jolie comme vous êtes, vous ne le resterez pas longtemps, la soutiens-je.

Et de réciter, sur l’air invocateur des vieilles femmes de la campagne, face au chagrin d’autrui :

— Vous êtes jeune ; la vie continue, le temps est un grand maître…

Y en a encore douze mètres comme ça, mais les autres niaisades ne me viennent pas au guichet.

Je lui tapote la joue.

— Comment tu t’appelles, ma gosse ?

— Gisèle.

— Very nice. Tu ne veux pas me confier ton problème ? Tu sais : un flic c’est également un homme, ça peut aider une frangine en détresse.

Pour l’inciter, j’effleure ses lèvres des miennes, mais avec l’haleine qu’elle se trimbale, j’ai le sentiment de bisouiller un couvercle de boîte à camembert (à point).

Alors tu sais quoi ?

Elle a un hochement de menton en direction d’une porte et murmure, très bas :

— C’est à cause de LUI, là !

Merde ! Et moi qui fanfaronnais. A l’aise, Blaise ! Ça me glatouille dans la région claouesque. Y a un gusman à deux pas de nous ! Il nous écoute. Sans doute est-il prêt à intervenir.

Heureusement, je me suis chargé, avant de quitter la maison : les nuits sont froides ! J’ai choisi mon Beurgchock à douze coups, calibre 8,06. Tu peux balancer tout le potage en une fraction de seconde ou bien composter au coup par coup si t’es moins pressé.

Je déquille l’instrument de mon imper doublé fourrure qui comporte un étui de cuir incorporé destiné à héberger cette arme. J’ôte le cran de sûreté, pose mes mocassins et vais à la porte désignée par Gisèle. Soldat investissant une ville où se trouvent encore des éléments de résistance. Je tourne le loquet lentement, ouvre à la volée et me jette à plat ventre dans la chambre au risque de me briser l’asperge. Rien ne bronche. Je me soulève sur les coudes pour mater. Il y a une petite lampe de chevet à côté du lit.

Tenant mon arme braquée, je m’agenouille carrément et alors je découvre un mec sur un plumard, complètement nu. Il semble vagabonder dans le sirop de quetsches. Un souffle bref et saccadé encombre sa poitrine. Crois-moi ou va t’acheter des bananes vertes à usage interne, mais ce gonzier, je placerais pas un zloty sur ses chances d’avenir. Du coup, je me relève et m’approche de lui. Il porte un énorme pansement à la cuisse droite et je reconnais sa frite d’après les descriptions qui m’en furent faites : il s’agit de Milou Tanvala ou de Eloi Salique, au choix, le mec que Jérémie Blanc a laissé filer mais après l’avoir sulfaté de première.

Ainsi, c’est chez Alfred Baugland qu’il s’est réfugié (ou qu’on l’a transporté). Je suppose que la balle l’a frappé au moment où il montait en voiture. Elle a pénétré dans la cuisse mais compte tenu de sa position, elle a dû poursuivre sa trajectoire dans son ventre et c’est de cela qu’il meurt, une éventuelle gangrène n’ayant pas eu le temps de se développer.

Je passe ma main sous son oreiller, certain que je vais y trouver un feu. Et il y en a un effectivement. Un monument classé. Du 9 mm, le calibre du truand diplômé. Hop ! In my pocket !

Avisant les hardes du moribond sur un fauteuil, je vais les examiner. Le futal est troué, raide de sang séché. Je trouve dans le veston une liasse de dollars, une autre de talbins français et une troisième de mornifle suisse. Plus un passeport établi au nom d’Eloi Salique. J’engrange le tout dans les vastes fouilles de mon raglan.

— Ah ! bon, t’es un ripoux ! dit une voix.

Je volte et constate Bébert Baugland dans l’encadrement, flanqué d’un mec patibulaire qui ressemble davantage à un loup qu’au duc de Bordeaux.

Ce dernier me braque avec une artillerie sophistiquée. Une fraction de seconde j’hésite à tomber à genoux pour défourailler, mais hélas, en comprenant que le locataire de la chambre était inoffensif, j’ai remis ma seringue dans son étui. Si je risquais un rodéo, je serais plus perforé que la bande d’un limonaire avant même d’avoir pu dégainer.

— Oh ! non, Bébert, fais-je : pas ripoux le moindre ; je destinais ça aux œuvres de l’abbé Pierre.

— Le pétard aussi ? fait-il en désignant le Buffalo Bill du blessé qui dépasse de ma vague.

— Le pauvre chou fréquente des quartiers si peu sûrs !

— A quatre-vingts balais, il doit trop en sucrer pour pouvoir se servir d’une arquebuse de ce format ! ricane Bébert Baugland.

Il est soudain bousculé par sa donzelle qui, folle de rage, se précipite sur moi en hurlant :

— Fumier ! Fumier de flic ! Il me disait que t’étais mort, Roro ! Le salaud !

Et de me marteler de coups de pieds et de poings.

— Dis à ta morue d’arrêter ses giries ! ordonne « le loup blanc », impatienté, avec un accent ricain qui flanquerait des complexes à Eddie Constantine.

Mais moi, elle fait mon affaire, sa crise de nerfs, à Gisèle. Je lui enserre brusquement la taille de mes deux bras noueux et lui balance un coup de boule dans le portrait afin de la calmer. Sonnée, elle pantelle contre moi ; il n’y a que cette cotte de mailles qui m’aille !

— Bon, fais-je aux deux intervenants, à présent, comme dit mon merveilleux ami Dechavanne, on se calme !

Je soutiens la fille d’un seul bras pour, de ma main libérée, arracher mon composteur de sa gaine.

— Match presque nul ! dis-je, en la leur montrant. Sauf que moi j’ai un charmant bouclier. Alors vous jetez votre seringue, Mister Gahgne car, à votre accent et d’après le signalement que je possède de vous, vous êtes l’honorable Kipper Gahgne ; n’est-ce pas ? Vous veniez prendre des nouvelles de votre acolyte ? Elles ne sont pas fameuses comme vous pouvez le constater.