Выбрать главу

— Tu ne vas pas rester comme ça, il faut te soigner !

— J’ai du boulot et ça urge ; j’irai à l’hosto pendant la récré.

Il a une belle trogne patinée, Lacognes. Avec une patate violette en guise de nez, de la gelée de groseille autour des yeux et des lèvres qui ont l’air émaillées par le vin rouge.

— Laisse-moi au moins te soigner, prends une douche pour enlever le plus gros, je vais à la pharmacie de garde !

Quand il revient, un quart de plombe plus tard, je suis nettoyé complet. Il a acheté des tampons de gaze, un gros flacon d’alcool médicinal, du mercurochrome et des pansements en boîte.

Ce poivrot a des gestes d’infirmier pour me colmater les brèches. Faut dire qu’à cette heure tardive, il est tellement imbibé qu’il ne sucre plus les fraises. A la fin, je ressemble à un dessin de Dubout, mais il a fait l’essentiel. J’enfile mes nouvelles fringues et je replonge dans la nuit froide.

Mission ? Retrouver M. Blanc coûte que coûte !

Facile à dire.

Mais comment s’y prendre, maintenant que les louches protagonistes (comme on dit puis) de cette affaire ont avalé leur bulletin de naissance ? Faire tourner les tables pour les questionner ?

J’ai la poitrine en feu, des élancements dans la calbombe et je me sens tout raide comme si j’avais passé la nuit sur une bouche d’aération du métro. J’ai du mal à conduire. Chaque mouvement imprimé au volant m’arrache les muscles des bras ; et ça vire pour escalader Montmartre et atteindre la venelle où se trouve l’appartement de Victoria de Tramontane. Ça vire que tu peux pas imaginer combien.

Tu sais que j’aime m’exhorter en récitant des formules magiques ? Là, je répète à mi-voix :

— Cul et chemise ; cul et chemise ; cul et chemise… ad libitum.

A quoi ça correspond ?

A une constatation que j’ai faite lors de cette enquête.

Cul et chemise.

Le premier mort de la série, Hieronymus Van Bytoun, était cul et chemise, surtout cul ! avec Philippe de Tramontane ; le duc de Sanfoyniloix est cul et chemise avec la mignonne Victoria, sœur de ce dernier ; la dusèche paraissait cul et chemise avec Bébert Baugland, le tondeur de chiens voyou, lequel était cul et chemise avec les assassins de Hieronymus. Tu parles d’un salmigondis ! D’un carrousel infernal !

Faut démêler calmos. Pas s’emballer.

Je retrouve la ruelle utrillienne sous la lune. A Paris, la lune a toujours l’air d’être fausse. C’est un élément de décor fixé dans le « velours » du ciel par la municipalité. La vraie lune vagabonde sur les campagnes endormies, ou bien roule au-dessus des grands horizons. A Paris, ce n’est plus qu’une lanterne… sourde !

Il y a de la place pour garer. Je laisse ma 500 SL à moitié sur le trottoir pour ne pas bloquer l’étroite voie, très près du 18, et je m’introduis dans les Editions Tramontane.

Je retrouve la saine odeur de papier imprimé, si exaltante. Quand je renifle ça, j’ai illico envie de poudre, d’écrire n’importe quoi : des poèmes, des biographies, des essais, un feuilleton pour Nous Deux. Ah ! écrire ! La belle goinfrade ! Mettre bas des portées de mots tout mouillés et gémissants ! Des mots qui grouillent. Qu’il faut alimenter avec d’autres mots. Toiletter avec des majuscules et des ponctuations. Engraisser pour qu’ils puissent, à leur tour, en fabriquer d’autres… Un jour.

L’escalier de l’apparte, au fond, avec ses marches de bois branlantes. Le secret pour ne pas les faire grincer ? Poser ses pompes et prendra appui sur les extrémités des marches. C’est ce que je fais. Pourquoi agis-je par surprise ? Because un petit rien : une odeur de cigare.

Moi et l’olfactif, hein ? T’es au courant ? Partout où je passe… Des parfums, des remugles, des exhalaisons, des miasmes, des fumets, des senteurs, des arômes… Mon nez est un aspirateur qui détecte, identifie. C’est mon bâton de berger, comme dit Justin Bridoux.

D’abord, l’odeur des books. Puis, dans l’escalier : une odeur de cigare. D’un authentique, façon Castro. C’est tout de même pas la jouvencelle, triste qui se farcit un Davidoff number one !

J’apasdelouse. Sans faire plus de bruit qu’une araignée arpentant sa toile.

Me voici au sommet des marches. Je m’accroupis pour ajuster mon œil droit au trou de la serrure, lequel est important, celle-ci ayant de l’âge. Car les serrures, c’est comme les gonzesses : plus elles ont du carat, plus leur trou est grand. Ce que je vois est assez charmant à contempler. Surtout après les horreurs que je viens d’affronter. Et plutôt inattendu.

J’avise, placé de trois quarts par rapport à moi, un homme dans un fauteuil. Ses bras sont en croix par-dessus les accoudoirs et l’une de ses mains tient le cigare détecté par mes narines infaillibles. Il a les jambes allongées et ouvertes. Son futal est déboulonné de la ceinture à la flèche. En sort une cheville d’Adam, bellement calibrée et tendue, que la petite oie blanche, agenouillée entre ses jambes, gloupe avec frénésie comme si, au lieu de sortir d’une braguette, elle sortait des Etablissements Gervais.

Du coup, je suis saisi d’une grande tristesse de voir cette petite Bernadette Soubirous, devenir Victoria sous biroute ! Ma recherche d’absolu qui se fait niquer ! Je me doutais bien que ça ne durerait pas, sa virginité, à la Colombe ; mais j’entrevoyais son déberlingage plus tard, dans d’autres conditions. L’illuse, toujours ! La fleur bleue.

Ben, elle peut se la planter dans le rectum, sa fleur bleue, Mimine ! Petite salope ! Elle a une façon de porter le deuil de son frelot, elle qui naguère paraissait si déchirée !

L’homme est assez beau, très mince, bronzé, les cheveux taillés court, à la saint-cyrien. Son âge ? Entre trente-cinq et quarante. Un voluptueux ! Il tire des bouffées, lui aussi, pendant qu’elle le déliqueure. Chacun son cigare !

Elle semblait si pure, si innocente. J’aurais pas osé lui faire mimi sur la joue ! Et puis tu vois : elle fatrouille avec ce mec comme la plus expérimentée pétasse.

Quand il s’est bien fait vernir le gland, il éteint son cigare dans un cendrier posé à terre et demande à la môme de lui faire un petit coup de trot english. Elle, docile, ôte son mignon slip de jeune fille sage et chevauche son beau prince. Comme dans du beurre, mon pote ! Un velours ! Le manche de gigot de monsieur disparaît corps et biens, et la donzelle pique des deux !

L’affaire est rondement menée. Il faut dire qu’elle avait démarré sous d’heureux auspices. Ces deux chéris avaient ajusté leur connivence au fil de leurs tribulations charnelles, comme l’a si bien écrit la comtesse de Paris dans son ouvrage intitulé « Les bons comtes font les bonzes amis ». En une vingtaine d’aller-retour épiques, ils envoient la farce ! Pas loin, mais en parfait unisson ! Synchronisme total. Championne du coït arrêté en trente secondes ! Faut dire que c’était le coup de l’étrier !

Elle le démonture et fonce à la salle d’eau en marchant comme un compas. Elle en revient peu après avec un nécessaire à dédramatiser la situasse. Oh ! le pacha ! C’est la petite jolie qui s’occupe de tout. Lui, il rallume son cigare pendant qu’elle se farcit son ménage d’entresol au gant de toilette.

Quand le gonzier est clean, elle pose un bisou de séparation sur le museau de son pétard à miches et le reconduit dans ses appartements Eminence.

— Vous ne voulez pas passer la nuit avec moi ? demande Victoria d’un petit ton suppliant.

Il lui tapote la joue.

— Tu sais bien que c’est impossible, ma chérie. Sitôt que j’aurai terminé mon cigare, je partirai.