Là, je me convoque pour une conférence au sommet. Je me dis qu’il est deux attitudes possibles : j’interviens, ou bien je déménage. La première solution ne me paraît pas satisfaisante. Je ne puis reprocher ce couple d’avoir fait l’amour. Quelles questions leur poserais-je ? Non, il est préférable d’attendre.
Je repars silencieusement.
Tenant compagnie à ma voiture, dans la ruelle, il y a trois autres tires. La plus proche du 18 est une Mini Cooper gonflée (jantes larges, équipement rallye). Je décarre au volant de la mienne et gagne l’extrémité de la voie en sens unique (nécessairement, car deux bagnoles ne sauraient s’y croiser). Elle aboutit à une autre rue en pente, également en sens unique. Je l’emprunte, trouve une place, m’y gare et coupe le jus. Je baisse un peu un vitre, malgré le froid, pour que mon pare-brise ne s’embue pas car je vais être amené à démarrer rapidos.
Dix minutes passent et, comme je le pressentais, la Mini débouche de la ruelle et passe devant moi. Le beau mec est au volant. Bien découillé, il circule relaxe. Je le laisse prendre du champ avant de déboîter. Je n’ai aucun mal à suivre ses feux rouges, caractéristiques biscotte l’équipement frimeur de sa brouette.
On enquille la rue Caulaincourt et on descend vers Clichy. De là, le gazier poursuit sa route en direction de l’Etoile.
La flamme sacrée brûle dans la brume, ce qui est assez joli. On continue par l’avenue Foch où, dans la contre-allée, quelques tapineuses ressemblent à des personnages de Seurat, because la brume.
Le gars prend à gauche, et tout à coup JE SAIS OÙ IL VA ! J’en suis à ce point convaincu que je lui laisse davantage de marge encore.
Gagné !
Il emprunte la rue d’Andigné et ralentit. Moi je stoppe carrément et j’éteins mes loupiotes.
Là-bas, il descend la rampe conduisant au garage souterrain du duc de Sanfoyniloix. Il doit l’actionner avec un contacteur car j’aperçois un pan de la porte qui bascule.
— Cul et chemise, murmuré-je comme une invocation.
LE LÉZARD
L’oie blanche (ci-devant Colombe), appelle le duc de Sanfoyniloix « Papi ». Et puis elle fornique avec un beau gosse qui demeure en l’hôtel particulier du mathusala. Alors moi, que veux-tu, obstiné, je te répète « cul et chemise » ! Mais cela dit, cette incantation ne fait pas progresser le schmilblick.
Combien de temps l’illustre San-Antonio (que la plupart des analphabètes et méchants appellent Santantonio) reste-t-il en méditation derrière le volant gainé de cuir bleu de sa 500 SL ? Impossible à préciser. Appuyé à mon confortable dossier, je survole les faits portés à ta connaissance, les remets en scène, les apprends par cœur, les rabâche. Jusqu’à la nausée. Jusqu’à ce que des moucherons noirs voltigent devant mes yeux. J’ai les mains entre mes jambes serrées car il fait de plus en plus froid depuis que le moteur est coupé. Mes couilles leur dispensent une chaleur de nid. J’ai bien fait d’enfiler des chaussettes de laine, ce morninge. Oh ! élégantes, je te rassure, mais chaudes. M’man dit toujours qu’on s’enrhume par les pieds. Et c’est valable également pour les rhumes de cerveau !
Là-bas, les lumières s’éteignent aux fenêtres de la demeure ducale. Même le vioque a dû se zoner.
Mû par l’instinct de conservation, je quitte ma guinde, transi. D’un pas de promeneur miteux, je me dirige vers l’hôtel des Sanfoyniloix. C’est une très belle construction de pierre, début de siècle, bâtie en bordure de la rue et séparée du trottoir par une épaisse grille de fer forgé. Entre celle-ci et la maison, il y a juste la place pour une plate-bande fleurie. Mais, en cette saison, les fleurs sont de rentrée (alors qu’en été elles sont de sortie).
Comme je te l’ai dit, une rampe mène au garage logé sous l’immeuble. A gauche de l’hôtel particulier, un portail de fer somptueux, peint d’un vert presque noir, livre accès à un assez vaste jardin à la française au fond duquel se dresse une petite construction pour le personnel, du même style néo-bourgeois que la maison principale. Une loupiote brille dans la crèche secondaire.
Moi, tu me connais comme si je t’avais fait. Ni une, ni trois : nouvelle mobilisation du petit sésame. Pour cette serrure portalière, on ne s’est pas cassé le chou : c’est la simplicité même, presque le dénuement. Avec une fourchette à escarguinches, je te la mets à genoux ! Les gens sont sots. Je te parie que l’hôtel est truffé d’alarmes sophistiquées, mais tu peux pénétrer dans le jardin aussi aisément que les frisés de 40 ont pénétré en Belgique, puis en France.
Je déambule bientôt sur le gazon, mettant à profit l’ombre des sapins d’ornement. Me voici devant le petit seuil de « l’annexe ». Je perçois une rumeur de téloche. M’est avis que Miguel, l’esclave de Sa Seigneurie, doit avoir besoin de se divertir un peu, après ses longues journées de service. Je le subodore gentil mais capricieux, le surancêtre. Des marottes de vioque, quoi, nul n’y coupe !
J’hésite à sonner, mais vu mon parti pris de me produire en douce, j’entre par mes propres moyens. La minuscule habitation ne comprend qu’un living avec kitchenette, et une chambre mansardée à l’étage.
Miguel n’est pas seul. Je suppose que sa dame doit marner comme cuisinière ou comme femme de chambre chez les Sanfoyniloix. Te dire qu’elle est courtaude, brune, avec beaucoup de poils partout relèverait du pléonasme. Le couple s’est mis en vêtements de nuit pour mieux se relaxer. Ce n’est pas la télévision proprement dite qui usine, mais la vidéo et ils sont en train de se programmer un bath film X qui raconte les tribulations de deux gros pafs et de deux jolies chattes roses.
L’originalité de l’œuvre vient de ce qu’elle est traitée entièrement en gros plans ou en plan moyens. On ne voit jamais le visage des protagonistes, seulement leurs sexes. Ce pourrait être ceux de gens mondialement connus qu’on n’en saurait rien. Cela dit, y a une tête de nœud qui me fait trop penser à Nonœil, le péteur de cassoulet tricolore, pour que ça ne soit pas son paf personnel qui fornique une cramouille béante.
Le film est passionnant. On voit deux exquis dargifs en batterie. Entre les jambes soutenant lesdits, passe une main féminine qui tâtonne, chope un braque et se le guide dans le cabinet des estampes. Les deux pattounes sont synchrones, les biroutes également. Mais jusque-là, rien que de très classique, et un couple de gardes-barrières de troisième classe en ferait autant. Où les choses se corsent, c’est quand les deux gladiateurs s’arc-boutent et parviennent à soulever leur partenaire du plumard sans s’aider de leurs mains. Alors là, chapeau ! J’avais jamais vu. Peut-être y a-t-il un truc, mais franchement, je ne pige pas lequel !
Les deux Espanches, ça les émoustille drôlement, un tel exploit. La mère Gonzalez (pas la peine de vouloir me faire un procès, ils s’appellent tous comme ça, en Ibérie) dégonce l’os à moelle de son Catalan et se met à l’agiter en dépit du bon sens. Visiblement, c’est pas une surdouée de la baisance. Miguel s’en contente, mais je plains ses fantasmes !
Il a pas le chibre herculéen, le larbin de M’sieur le duc. Juste une pépette de toréador. De la quéquette tout-venant, maigrelette et pointue du bout. Tu dirais un porte-mine en bambou. Elle est noueuse, tu vois ? Avec des protubérances pas sympas. Mais la cuistaude, elle a jamais connu mieux, hein ? Alors elle fait avec, croyant que c’est le chibre des chibres, le mandrin de l’élite !
Elle te le monte en mayonnaise pitoyablement. C’est la triste secouée routinière.
Sur l’écran, les quatre protagonistes acharnent en gueulant. Les messieurs ont des andouilles de Vire grosses comme le poignet de Béru. Les demoiselles aux chattounes mutines les sentent passer, je te jure ! Cette astiquée, madoué ! Elle surchauffent du baigneur en appelant leurs saintes femmes de mères qui étaient aussi salopes qu’elles, je parie.