— Permettez-moi de vous présenter la duchesse de Sanfoyniloix, ma femme ! dit le Nain Jaune avec un rien d’emphase.
— Mes respects, madame !
— J’aimerais mieux ta bite dans les miches, mon beau !
Elle regarde autour d’elle.
— Mais vous ne lui avez rien offert, Maxoche ! Tu parles d’un duc à la con ! Miguel !
Le larbin infatigable paraît.
— Madame la duchesse ?
— Une roteuse de Dom Pérignon, mon pote, et au trot !
Le mari ne dit rien : il subit. Il est coiffé par cette virago, submergé, à merci. Comment cet être de classe peut-il admettre pareille férule ? Lady Poissonnière ! Le surnom colle bien au personnage. L’amuse-t-elle ? Lui procure-t-elle encore d’autres agréments ? Je n’ose parler de plaisirs ! Le plus étonnant c’est qu’il ne semble pas indigné par le parler ni par l’accoutrement de la mégère. Il semble même exister une bizarre connivence entre eux.
— Vous vous êtes bien amusée, ma douce ? s’enquiert-il.
Et, à moi :
— La duchesse participait à un dîner de têtes à l’occasion de la mi-carême.
— Si je m’étais amusée, je ne serais pas encore de retour ! riposte-t-elle en se laissant choir sur une banquette. Des connards, mon cher ! Des trous-de-balle ! Déguisés, ils sont plus sinistres qu’au naturel ! Je les préfère encore en têtes de nœud qu’en corsaires, en magiciens ou en officiers d’Empire !
« Bon, maintenant dites-moi tout, Maxoche. C’est qui, ce beau gosse avec sa grosse paire de couilles et son regard fripon ? »
Il hésite.
— Commissaire San-Antonio, lâche le duc. Un détective très fameux.
— Poum ! ça y est, j’en étais sûre ! Votre dada à propos de l’accident du Hollandais ? Vous croyez à un crime !
Elle avance sa main sur ma cuisse :
— Il a toujours tendance à compliquer les choses : ses neurones qui partent en sucette ! Faites-lui plaisir, mon lapin, enquêtez ! Enquêtez ! Et il vous couvrira d’or ; il est plein à craquer ! On croit qu’il y a que les Juifs et les Grecs ! Ben non. Certains nobles aussi savent accumuler le grisbi. Fortune insondable, mon pote ! Si j’avais les dents longues, je pourrais me préparer un veuvage aussi luxueux que l’Orient-Express ; mais la Catherine n’est pas une croqueuse de diams. Elle aime se marrer, boire un coup, faire une belle partie de jambons. Je suis née pauvre, je mourrai indigente. Il voulait tester en ma faveur pour me laisser plus tard un magot confortable et j’ai refusé. Hein, Maxoche, que j’ai refusé ? Après lui je m’achèterai un petit bistrot à Aubervilliers où je suis née. Avec mes propres éconocroques. Je finirai mes jours en rêvant de cette belle aventure. Vous savez, commissaire, c’est un type comme ça, le duc !
Elle brandit un pouce capable de dissimuler une pièce de cinq francs suisses.
— Il a l’air d’un vieux schnock, mais c’est un être généreux et plein de fantaisie. Vous voulez que je vous dise comment ça s’est fait, nous deux ?
— Est-ce bien le propos, Catherine, ma gentille ? intervient le gentilhomme.
— Et comment ! Votre flic a une gueule futée, notre histoire lui plaira. Imaginez-vous qu’une nuit, au bois de Boulogne, je partouzais un peu avec un couple rencontré dans une brasserie de la Porte Maillot.
« J’avais bouffé un plateau de fruits de mer à une table voisine de la leur, on avait lié converse et la môme paraissait salingue. Au dessert, elle me demande tout de go si ça m’ennuierait de pomper son mec dans leur bagnole. Moi, le cœur sur la main et raffolant de la sucette, je dis banco. Nous voilà partis dans une allée discrète et je déguste le bâton de misère du monsieur. La femme regardait depuis la banquette arrière. Quand ça a été fini, elle m’a demandé de venir m’asseoir près d’elle. Pas contrariante, je descends de carriole et à ce moment-là, vlouf ! Le zig que je venais de découiller démarre en trombe, me plantant là. Ces fumiers, non contents que je leur prodigue des gâteries, m’avaient engourdi mon sac à main. Un Hermès en croco qui valait un saladier !
« Et me voilà seulâbre et sans un laranqué dans le Bois sur le coup d’une heure du mat’. Plaisant, non ? Alors je marche pour rambiner un gonzier, lui demander qu’il m’emporte dans un endroit civilisé en échange d’une petite turlute. J’avise une Rolls. Je me dis : « Oh ! pardon, tu places la barre trop haut, ma grosse ! « Néanmoins je m’en approche et qu’est-ce que je vois ? Le croulant ici présent avec un flingue à la main, qui allait se tirer une praline dans le chignon ! Je crois rêver ! J’ouvre sa portière d’une secousse ! Je gueule : « Non, mais ça va pas la tronche ! ». Pépé, ici présent, laisse retomber sa main armée. Il me défrime, l’air mécontent. Le côté : « de quoi vous mêlez-vous ? ». Du coup, je prends place près de lui et on se met à causer. Je lui disais qu’à son âge on ne se bute plus ; que ça fait con, tout ça… On a jacté la nuit entière. Il voulait se zinguer par désespoir d’amour. Il ne se remettait pas de la mort de son épouse. A soixante-dix-huit balais, c’est quelque chose, non ? Au petit jour, je l’ai emmené chez moi et je lui ai fait une soupe à l’oignon. Il l’a mangée. Ensuite, il m’a interrogée sur ma pauvre vie boiteuse.
« Et alors, vous savez ce qu’il me sort, ce vieux nœud ? Il me fait, mondain jusqu’à l’os : « Je suis le duc Maximilien Aloïs de Sanfoyniloix, membre de l’Institut, et j’ai l’honneur de vous demander votre main. » Moi, cisaillée à outrance, vous parlez ! J’objecte, mais il repousse. Il explique qu’il est fané complet du calbute depuis le décès de sa chère femme et qu’il s’agira donc d’un mariage blanc. J’aurai ma liberté pleine et entière ; tout ce qu’il exige, c’est que je vive sous son toit et partage son existence. Il veut bien la mener à son terme, mais avec moi ! Et depuis, c’est une sorte d’étrange bonheur, nous deux. Plus je déconne, plus il est ravi. Je suis sa femme-bouffon. Quand je sors, il m’attend.
« Moi, je vais vous dire, commissaire, je suis tombée amoureuse de ce débris. Platonique, d’accord. Mais du solide ! Ah ! v’là le champ’. Dis donc, Miguel, tu t’es pas trop bougé le cul pour nous l’amener ! Quoi ? Il était pas suffisamment frappé et tu l’as eu au gros sel. C’est bien, mon grand. Tu peux aller te pieuter, maintenant que je suis là ! »
Elle sert elle-même le divin breuvage.
— Vous allez trinquer avec nous, Maxoche. Si, si, je l’emmerde, votre estomac, mon biquet. Un coup de roteux, ça vous fera dormir. Quant au commissaire, il va vous la reprendre, cette enquête de merde. Hein, Machin ? Comment tu te prénommes ? Antoine ! C’est un nom de cochon rose, ça ! Hein, Antoine, tu te fais étinceler les méninges sur cette affaire ? Qu’est-ce que tu dis ? Oui ? Il a dit oui, Maxoche ! Hip, hip, hip, hurrah ! Tiens, je bois à ta victoire, beau flic !
« T’aimerais que je te pompe la membrane ? J’suis pas jojo, mais je fais les meilleures pipes de Paname. Avec moi, t’as l’impression d’être bu au chalumeau, comme un gin-fizz. J’ai les lèvres molles, tu comprends ? Et du savoir dans les muscles labiaux. Sans charre, ça te dit rien d’être écrémé par une duchesse ? T’as déjà donné, je parie ? T’as la frime voyouse du mec qui s’en aligne trois par jour ! Alors ce sera pour une autre fois ! »
L’OURS
Il gèle à pierre fendre l’âme.
M. Blanc grelotte comme une feuille morte, dans son blouson de daim beurre-frais.
— On est loin de tes cocotiers natals, hein ? ricané-je.
Il hausse les épaules.
— Et vous vous vantez d’habiter des pays tempérés ! Tempérés mon cul, oui ! Moins vingt sous zéro ! C’est chié.
— Pourquoi n’as-tu pas mis de pardingue, King-Kong ? Je t’en connais un en poil de chameau qui te transforme en nervi de Pigalle !