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« Nous allions rendre visite à nos parents, nos neveux et nièces, ainsi que nos cousins, petits-cousins et arrière-petits-cousins, et d’autres descendants de nos aïeuls qui vivent à l’est de ces montagnes si hospitalières », dit Thorin, ne sachant trop quoi répondre sur le moment, puisqu’il eût été impensable de dire toute la vérité.

« C’est un menteur, ô mon très redoutable ! dit l’un des chefs. Plusieurs des nôtres ont été foudroyés dans la grotte quand nous avons invité ces créatures à descendre ; ils sont morts comme des pierres. Et il ne s’est pas expliqué non plus quant à ceci ! » Le gobelin montra l’épée qu’ils avaient trouvée sur Thorin, celle qui provenait du repaire des trolls.

Le Grand Gobelin poussa un cri de rage vraiment affreux en la voyant, et tous ses soldats grincèrent des dents, entrechoquèrent leurs boucliers et frappèrent des pieds. Ils reconnurent immédiatement l’épée. Elle avait tué des centaines de gobelins, du temps où les gracieux elfes de Gondolin les pourchassaient dans les collines ou défendaient leurs propres murailles. Ils l’avaient nommée Orcrist, la Pourfendeuse de Gobelins, mais ceux-ci l’appelaient simplement Mordeuse. Ils la détestaient, et ils haïssaient d’autant plus celui qui la portait.

« Assassins et amis des elfes ! s’écria le Grand Gobelin. Écorchez-les ! Cognez-les ! Mordez-les ! Broyez-les ! Emmenez-les dans des cachots remplis de serpents et ne les laissez plus jamais revoir la lumière ! » Il était si enragé qu’il bondit de son siège et s’élança lui-même sur Thorin, la bouche grande ouverte.

À cet instant précis, toutes les lumières s’éteignirent dans la caverne, et le grand feu s’évanouit, pouf ! en une colonne de fumée aux reflets bleus, qui s’éleva jusqu’au plafond et répandit des étincelles blanches et délétères parmi tous les gobelins.

Les cris, les coassements, les beuglements, les piaulements et piaillements, les hurlements, grognements et jurons, et les vociférations stridentes qui s’ensuivirent ne peuvent s’exprimer en mots. Plusieurs centaines de loups et de chats sauvages, rôtis vivants et à petit feu, n’auraient pas fait pareille cacophonie. Les étincelles brûlaient les gobelins et les criblaient de trous, et la fumée qui se mit à descendre du plafond assombrissait l’air à tel point que même leurs yeux ne pouvaient y voir. Bientôt ils s’écroulèrent les uns sur les autres et se roulèrent par terre, mordant leurs compagnons, donnant des coups de pied, et se débattant comme s’ils étaient tous devenus fous.

Soudain, une épée luisit de son propre éclat singulier. Bilbo la vit transpercer le Grand Gobelin qui, abasourdi, s’était arrêté net au milieu de sa rage. Il tomba raide mort, et les soldats gobelins s’enfuirent devant la menace de l’épée, hurlant dans les ténèbres.

La lame regagna son fourreau. « Suivez-moi, vite ! » dit une voix calme et résolue ; et avant que Bilbo n’ait compris ce qui s’était passé, il se mit de nouveau à trotter en queue de peloton, descendant à toutes jambes à travers d’autres passages obscurs et laissant peu à peu les cris des gobelins derrière lui, là-haut dans la caverne. Une faible lumière les conduisait à l’avant.

« Plus vite, plus vite ! dit la voix. Les torches vont bientôt être rallumées. »

« Une petite minute ! » s’écria Dori, qui se trouvait derrière, tout juste avant Bilbo. Ce brave nain, quoique privé de l’usage de ses mains, fit grimper le hobbit sur ses épaules du mieux qu’il le put ; et ils se remirent tous à courir avec un cliquetis de chaînes et de nombreux faux pas, incapables de garder l’équilibre sans pouvoir s’aider de leurs mains. Ils ne s’arrêtèrent pas avant un long moment. Parvenus aussi loin, ils devaient se trouver au cœur même de la montagne.

Puis Gandalf alluma son bâton. Évidemment, c’était Gandalf ; mais ils étaient trop pressés pour l’instant pour lui demander comment il s’était retrouvé là. Le magicien tira de nouveau son épée, qui brillait encore dans l’obscurité. Elle bouillonnait de rage et luisait avec éclat quand des gobelins rôdaient alentour ; à présent, elle brûlait comme une flamme bleue tant elle se délectait d’avoir terrassé le grand seigneur de la caverne. Elle réussit sans peine à rompre les chaînes des gobelins et à libérer tous les prisonniers sans perdre de temps. Cette épée se nommait Glamdring, l’Assommoir à Ennemis, comme vous vous en souvenez peut-être. Les gobelins l’appelaient simplement Cogneuse et la détestaient encore plus que Mordeuse, si possible. Orcrist avait aussi été sauvée, car Gandalf l’avait emportée après l’avoir enlevée des mains d’un garde terrifié. Gandalf songeait pratiquement à tout ; et s’il ne pouvait pas tout faire, il en faisait déjà beaucoup pour ses amis dans le pétrin.

« Tout le monde est là ? » demanda-t-il, remettant l’épée à Thorin en s’inclinant. « Voyons voir : un… Thorin, bien sûr ; deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze ; où sont Fili et Kili ? Ah, les voici ! douze, treize… et voilà M. Bessac : quatorze ! Eh bien, eh bien ! Ce pourrait être pire, mais avouons que ce pourrait être mieux. Sans poneys, sans nourriture, sans vraiment savoir où nous sommes, et une meute de gobelins furieux à nos trousses ! Continuons ! »

Ils continuèrent. Gandalf avait bien raison : ils commencèrent à entendre des bruits de gobelins et d’horribles cris, loin derrière dans les tunnels qu’ils venaient d’emprunter. Leur course n’en devint que plus effrénée, et comme le pauvre Bilbo n’aurait pu courir à moitié aussi vite (car les nains peuvent débouler à un rythme effarant, vous pouvez me croire, lorsqu’ils sont pressés), ils le prirent tour à tour sur leurs épaules.

Il reste que les gobelins vont plus vite que les nains. Ces gobelins connaissaient mieux le chemin (ils avaient creusé les tunnels eux-mêmes), et ils étaient fous de rage ; si bien que, malgré tous leurs efforts, les nains entendirent les cris et les hurlements se rapprocher de plus en plus. Bientôt ils purent même discerner le claquement des pieds de gobelins, des pieds innombrables qui semblaient tout juste derrière le dernier tournant. Le rougeoiement des torches apparut derrière eux dans le tunnel ; et ils étaient au bord de l’épuisement.

« Qu’est-ce qui m’a pris de quitter mon trou de hobbit ? » dit le pauvre M. Bessac, bringuebalant sur le dos de Bombur.

« Qu’est-ce qui m’a pris d’emmener un misérable petit hobbit dans une chasse au trésor ? » dit le pauvre Bombur, qui était obèse, et qui courait d’un pas chancelant pendant que la sueur lui dégouttait du nez, dans son effort et son épouvante.

À cet instant, Gandalf laissa passer les autres, et Thorin fit de même. Ils franchirent un coude. « Demi-tour ! s’écria-t-il. Tirez votre épée, Thorin ! »

C’était la seule chose à faire ; et les gobelins n’apprécièrent pas. Ils se précipitèrent dans le tournant en criant à tue-tête, et voilà que la Pourfendeuse de Gobelins et l’Assommoir à Ennemis leur barraient la route, brillant avec froideur dans leurs yeux stupéfaits. Ceux du devant laissèrent tomber leurs torches et jetèrent un cri avant de mourir. D’autres, derrière, crièrent encore plus et reculèrent d’un bond, renversant ceux qui les suivaient. « Mordeuse et Cogneuse ! » firent-ils d’une voix stridente ; et bientôt la confusion fut totale, et la plupart firent demi-tour et déguerpirent en se bousculant.

Il fallut beaucoup de temps pour qu’un seul d’entre eux se décide à franchir ce coude. Déjà, les nains avaient pris beaucoup d’avance, filant à toute allure dans les sombres galeries du royaume des gobelins. Ces derniers, lorsqu’ils le comprirent, éteignirent leurs torches et enfilèrent des chaussures silencieuses, et ils choisirent leurs meilleurs coureurs aux yeux et aux oreilles les plus aiguisés. Ceux-ci donnèrent la chasse, rapides comme des belettes dans le noir, et presque aussi discrets que des chauves-souris.