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La deuxième pierre siffla à travers une grande toile et en rompit les fils, cueillant du même coup l’araignée qui était pendue au milieu, et paf ! elle tomba raide morte. Ces attaques répétées semèrent l’agitation dans la colonie d’araignées, et elles oublièrent les nains pour un temps, vous pouvez me croire. Elles ne voyaient pas Bilbo, mais elles discernaient assez bien d’où provenaient les pierres. Rapides comme l’éclair, elles se jetèrent sur le hobbit en courant et en se balançant, répandant leurs fils dans toutes les directions, et l’espace fut saturé de pièges en vibration.

Mais Bilbo ne tarda pas à se faufiler vers un autre endroit. Il lui vint l’idée d’attirer ces furieuses araignées de manière à les éloigner des nains, s’il le pouvait : piquer leur curiosité, les exciter et les irriter tout à la fois. Une cinquantaine s’étaient déjà massées à l’endroit où il se trouvait auparavant, alors il leur lança encore quelques pierres, visant aussi celles qui s’étaient arrêtées derrière ; puis il se mit à danser parmi les arbres et à chanter un refrain qui les rendrait folles de rage et les inciterait toutes à le suivre, et que les nains pourraient également entendre.

Voici ce qu’il chanta :

La vieille folle ne fait que tisser !

La vieille folle ne peut me trouver !

La Vénéneuse !

L’Empoisonneuse !

Arrête, mais arrête-toi,

Arrête de tisser et cherche-moi !

Vieille Niquedouille, qu’elle est niaise !

Vieille Niquedouille, qu’elle est obèse !

La Vénéneuse !

L’Empoisonneuse !

Descends, mais descends de là ;

Là-haut, tu ne m’attraperas pas !

Pas très bon, direz-vous, mais il faut vous rappeler qu’il inventait à mesure, dans des circonstances qui ne s’y prêtaient guère. Quoi qu’il en soit, il obtint l’effet escompté. Tout en chantant, il leur lança encore quelques pierres et frappa du pied. Pratiquement toutes les araignées furent à ses trousses : certaines se laissèrent descendre au sol, d’autres accoururent le long des branches, se balancèrent d’arbre en arbre, ou tissèrent de nouveaux fils dans les ténèbres épaisses. Elles se dirigeaient vers lui beaucoup plus vite qu’il ne l’aurait cru. Leur colère était terrible à voir. Car en plus des pierres qu’il leur lançait, Empoisonneuse n’a jamais fait plaisir à aucune araignée, et Niquedouille, bien sûr, a de quoi insulter tout le monde.

Bilbo courut alors à toutes jambes vers un nouvel endroit, mais plusieurs araignées s’étaient dispersées dans la clairière où elles vivaient, et s’affairaient à tisser des toiles un peu partout entre les fûts des arbres. Très vite, le hobbit se trouverait pris au piège, cerné de toutes parts par une épaisse barrière – c’était du moins ce que les araignées envisageaient. Entouré de ces monstres, Bilbo rassembla son courage et entonna un nouveau refrain :

Lob la Feignante et Cob la Démente

ont des pièges à me tendre.

Aucune proie n’est meilleure que moi,

mais elles ne peuvent me surprendre !

Me voici à votre merci ;

vous voilà, paresseuses et molles.

Jamais vous ne me piégerez ici

dans vos trames folles.

Sur ce, il se retourna et constata que la dernière trouée entre deux grands arbres venait d’être fermée par une toile. Mais par chance, ce n’était pas une toile à proprement parler, seulement de longs fils d’araignée doublement épais, tissés rapidement dans un mouvement de va-et-vient. Il dégaina sa petite épée, trancha les fils et s’en fut en chantant.

Mais les araignées virent l’épée (sans savoir ce que c’était, je suppose), et elles se lancèrent immédiatement à la poursuite du hobbit, sur le sol et dans les branches, gonflant l’abdomen, agitant leurs crochets et leurs pattes velues. Écumantes de rage sous leurs yeux protubérants, elles suivirent Bilbo dans la forêt aussi loin qu’il osa se rendre. Puis, plus doucement qu’une souris, il revint sur ses pas.

Il savait qu’il ne disposait que de très peu de temps avant que les araignées ne décident de rebrousser chemin, furieuses, pour s’occuper des nains. Entre-temps, il devait les tirer de ce mauvais pas. Le plus dur pour lui fut de se hisser jusqu’à cette longue branche où les paquets étaient suspendus. Je ne pense pas qu’il y serait arrivé sans l’aide d’un gros fil qu’une araignée avait, par chance, laissé pendre derrière elle : il collait à la peau et lui blessa la main, mais lui permit de grimper là-haut – où il fut accueilli par une vieille araignée cruelle, obèse et lente, à qui l’on avait confié la garde des prisonniers, et qui passait son temps à les pincer pour découvrir lequel était le plus juteux. Elle étudiait la possibilité de commencer le festin sans les autres, mais M. Bessac était pressé, et avant que l’araignée n’ait compris ce qui se passait, elle sentit son dard la transpercer et tomba sans vie du haut de la branche.

Bilbo dut alors s’employer à délivrer un premier nain. Mais comment faire ? S’il coupait le fil qui le retenait, le pauvre nain irait s’écraser au sol, après une assez longue chute. Il rampa le long de la branche en se tortillant (sur quoi les nains se balancèrent au bout de leurs cordes comme des fruits mûrs) et atteignit le premier paquet.

« Fili ou Kili, pensa-t-il en apercevant le bout d’un capuchon bleu sur le dessus. Probablement Fili », se dit-il en voyant le long nez qui dépassait entre les fils entortillés. En se penchant, il parvint à trancher la plupart des fils collants, épais comme de la corde, qui enserraient la victime ; puis, avec un coup de pied et quelques contorsions, Fili apparut en effet, plus ou moins libre. Bilbo, j’en ai peur, ne put s’empêcher de rire en le voyant agiter ses membres engourdis, retenu par le fil d’araignée qui lui passait sous les aisselles, comme un pantin qui se dandine au bout d’une corde.

Fili fut hissé sur la branche tant bien que mal, puis il aida le hobbit de son mieux, même s’il se sentait très affaibli par le poison de l’araignée, et très nauséeux après être resté suspendu une bonne partie de la nuit et de la journée du lendemain, emmailloté de la tête aux pieds à l’exception de son seul nez (ce qui lui permit au moins de respirer). Il lui fallut une éternité pour enlever cette colle répugnante de ses yeux et de ses sourcils ; quant à sa barbe, il dut la tailler en grande partie. Bref, à eux deux, ils purent remonter les nains un à un, et trancher leurs liens. Aucun ne se portait mieux que Fili, et certains d’entre eux n’allaient pas bien du tout. Quelques-uns avaient à peine pu respirer (avoir un long nez est parfois utile, comme vous le voyez), d’autres avaient reçu davantage de venin.

Kili, Bifur, Bofur, Dori et Nori furent secourus de cette manière. Le pauvre vieux Bombur était si épuisé – vu son embonpoint, il s’était fait constamment tâter et pincer – qu’il ne put rester sur la branche et tomba au sol comme une grosse poire, fort heureusement sur un lit de feuilles, et resta étendu là. Mais il restait encore cinq nains suspendus à l’extrémité de la branche quand les araignées commencèrent à revenir, plus enragées que jamais.