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Bilbo se rendit immédiatement à l’autre bout de la branche, tout près du tronc, et repoussa celles qui tentaient d’y monter. Il avait retiré son anneau pour secourir Fili et avait oublié de le remettre, aussi elles se mirent à crachoter et à siffler :

« Maintenant, on te voit, sale petite créature ! On va te manger et laisser ta carcasse pendue à un arbre. Fichtre ! il a un dard ? Qu’importe, on va l’attraper quand même, puis on va le suspendre la tête en bas pendant un jour ou deux. »

Pendant ce temps, les nains se chargèrent de délivrer les leurs, tailladant les liens avec leurs couteaux. Tous allaient bientôt être libres, mais leur évasion demeurait incertaine. Ils s’étaient laissé attraper assez facilement la nuit précédente, mais ils avaient été pris à l’improviste, dans le noir. Cette fois, une terrible lutte s’annonçait.

Soudain, Bilbo se rendit compte que des araignées s’étaient rassemblées autour de Bombur, qu’elles l’avaient de nouveau ficelé et qu’elles l’emmenaient en le traînant sur le sol. Bilbo brandit sa lame et fendit l’air avec un grand cri, chargeant les araignées. Elles battirent bientôt en retraite ; et il dégringola du haut de l’arbre et atterrit au beau milieu de celles qui se trouvaient au sol. Sa petite épée était une nouveauté pour elles, qui n’avaient jamais vu pareil aiguillon. Comme elle dardait de-ci de-là ! Elle brillait de plaisir tandis qu’il s’acharnait sur les araignées. Une demi-douzaine tombèrent sous ses coups avant que les autres ne prennent la fuite, laissant Bombur entre les mains de Bilbo.

« Descendez ! Descendez ! cria-t-il aux nains dans l’arbre. Ne restez pas là-haut dans les mailles du filet ! » Car il vit que les araignées fourmillaient dans tous les arbres voisins, et rampaient le long des branches surplombant les nains.

Ces derniers se laissèrent descendre à leur tour, sautèrent ou tombèrent, onze au total, tous ramassés en tas. La plupart flageolaient sur leurs jambes, tout juste capables de se tenir debout. Ils étaient enfin réunis, douze en comptant le pauvre vieux Bombur, soutenu de chaque côté par son cousin Bifur et son frère Bofur. Bilbo dansait dans la clairière et agitait son Dard, alors que tout autour et au-dessus, des centaines d’araignées en colère les lorgnaient avec de gros yeux ronds. La situation semblait assez désespérée.

C’est alors que commença la lutte. Quelques nains étaient armés de couteaux, d’autres tenaient des bâtons, et tous avaient accès à des pierres ; Bilbo pouvait compter sur son poignard elfique. Coup sur coup, les araignées furent repoussées, et nombre d’entre elles trouvèrent la mort. Mais cela ne pouvait pas durer. Bilbo était tout bonnement épuisé ; de tous ses compagnons, seulement quatre tenaient encore fermement sur leurs jambes, et bientôt ils seraient submergés comme des mouches sans défense. Déjà les araignées se mettaient de nouveau à tisser leurs toiles entre les arbres autour d’eux.

Bilbo n’eut finalement d’autre choix que de révéler aux nains l’existence de son anneau. Ce n’était pas de gaieté de cœur, mais son plan l’exigeait.

« Je vais bientôt disparaître, dit-il. J’attirerai les araignées à moi, si je peux ; et vous devrez rester ensemble et fuir dans la direction opposée. Là-bas à gauche, c’est plus ou moins le chemin qui mène à l’endroit où nous avons aperçu les feux des elfes pour la dernière fois. »

Les nains étaient tout étourdis, et Bilbo eut du mal à se faire comprendre au milieu des cris, des coups de bâton et des pierres qui sifflaient de tous côtés ; mais il vit enfin qu’il ne pouvait plus attendre – les araignées refermaient lentement leur étau sur eux. Il enfila soudain son anneau et, au grand étonnement des nains, disparut.

On entendit bientôt des cris parmi les arbres sur la droite. « Feignante ! Empoisonneuse ! » Les araignées en furent toutes retournées. Elles s’arrêtèrent net, et certaines se dirigèrent du côté de la voix. « Empoisonneuse » les enrageait à ce point qu’elles en perdaient la raison. Alors Balin, qui avait compris le plan de Bilbo mieux que quiconque, organisa une attaque. Les nains se ramassèrent en une masse serrée et lancèrent une pluie de pierres, chargeant les araignées à gauche et perçant leurs rangs. Quelque part derrière elles, les chansons et les cris cessèrent subitement.

Les nains, espérant de tout cœur que Bilbo n’avait pas été pris, se pressèrent en avant. Pas assez rapidement, toutefois. Épuisés et malades, ils allaient clopin-clopant, malgré les nombreuses araignées qui les talonnaient. De temps à autre, ils se retournaient pour venir à bout des créatures qui les rattrapaient ; et déjà, des araignées étaient montées aux arbres et jetaient de longs fils collants sur leur passage.

Les choses s’envenimaient une fois de plus quand, tout à coup, Bilbo réapparut et chargea par le flanc les araignées stupéfaites.

« Fuyez ! Fuyez ! s’écria-t-il. Mon Dard s’occupera d’elles ! »

Ce qu’il fit. Ses coups portaient devant et derrière, tailladant les fils d’araignée, tranchant leurs pattes, transperçant leurs ventres bouffis lorsqu’elles s’approchaient trop. Les araignées se gonflèrent de rage, sifflant d’horribles jurons de leur bouche baveuse et écumante ; mais Dard les glaçait d’une peur mortelle et elles n’osaient s’en approcher, maintenant qu’il était revenu. Elles eurent beau jurer autant qu’elles le purent ; leurs proies s’éloignaient, lentement mais sûrement. Le combat fut des plus terribles, et sembla durer des heures. Mais enfin, à l’instant où Bilbo se sentait incapable d’asséner un coup de plus, les araignées s’avouèrent vaincues et cessèrent soudain de les pourchasser, rentrant vers leur sombre colonie d’un air dépité.

Les nains constatèrent alors qu’ils étaient arrivés en bordure d’une clairière où les elfes étaient venus. Était-ce l’une de celles qu’ils avaient vues la nuit précédente ? Ils ne purent le dire. Mais une bonne magie semblait subsister à cet endroit, et les araignées n’osaient s’y aventurer. Du moins, la forêt luisait d’un éclat plus vert, ses ramures étaient moins épaisses et moins menaçantes, et ils purent s’y reposer et reprendre leur souffle.

Ils firent halte pendant quelque temps, hors d’haleine ; mais ils ne tardèrent pas à poser des questions. Ils demandèrent à ce qu’on leur explique en détail toute cette histoire de disparition ; et la découverte de l’anneau les intéressa à tel point qu’ils en oublièrent pour un temps leurs soucis. Balin, en particulier, insista pour que l’histoire de Gollum, avec ses énigmes et tout, lui soit entièrement racontée à nouveau, en y remettant l’anneau en contexte. Mais au bout d’un certain temps, le jour se mit à faiblir et ils posèrent d’autres questions. Où étaient-ils, où se trouvait leur sentier, comment faire pour trouver des vivres, et quelle était la prochaine étape ? Ils ne cessaient de se le demander, et comme ils n’avaient pas eux-mêmes les réponses, ils se tournaient vers le petit Bilbo pour les obtenir. Comme vous le voyez, leur opinion de M. Bessac avait changé du tout au tout, et ils le respectaient de plus en plus (comme Gandalf le leur avait prédit). Ils s’attendaient d’ailleurs à ce qu’il leur propose un merveilleux plan pour les tirer d’affaire, et pas un seul ne ronchonnait. Ils n’étaient que trop conscients d’avoir échappé à une mort certaine grâce au hobbit, et ils l’en remercièrent plusieurs fois. Quelques-uns allèrent même jusqu’à se lever, et s’inclinèrent jusqu’à terre devant lui, mais leurs jambes cédèrent sous l’effort et ils ne purent se remettre sur pied pendant un certain temps. Même si Bilbo leur avait tout expliqué au sujet de sa disparition, cela ne diminuait en rien leur opinion de lui, car ils voyaient qu’il avait du cran et de la chance, en plus d’un anneau magique – trois choses extrêmement utiles. En fait, ils furent si élogieux que Bilbo commença à se dire qu’il avait peut-être un peu l’étoffe d’un brave aventurier, tout compte fait ; reste qu’il se serait senti beaucoup plus brave s’il avait eu quelque chose à se mettre sous la dent.