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Il déverrouilla la porte de Balin en premier, prenant soin de la refermer à clef aussitôt le nain libéré. Ce dernier fut profondément surpris, comme vous l’imaginez, et s’il fut extrêmement soulagé de sortir des quatre murs de sa petite cellule de pierre, il voulut tout de même s’arrêter et lui poser des questions, savoir ce que Bilbo avait l’intention de faire, et ainsi de suite.

« Pas tout de suite ! dit le hobbit. Le temps presse, alors suivez-moi ! Il faut à tout prix rester ensemble et ne pas se disperser. Si nous nous échappons, personne ne doit rester derrière, et c’est le moment ou jamais. Je n’ose pas imaginer où le roi vous enfermera si nous sommes pris, mais il vous mettra aux fers, pieds et poings liés, je peux vous le garantir. Pas de discussion, je vous prie ! »

Il s’en fut alors d’une porte à l’autre, rassemblant douze compagnons – assez peu agiles au demeurant, vu l’obscurité des tunnels, et vu leur long emprisonnement. Le cœur de Bilbo battait la chamade chaque fois qu’ils se cognaient les uns aux autres, ou grognaient, ou chuchotaient dans les ténèbres. « Délivrez-moi de ce vacarme de nains ! » pestait-il en lui-même. Mais tout se passa bien, et ils ne rencontrèrent aucun garde. En fait, un grand festin d’automne avait lieu dans les bois ce soir-là, et dans les salles supérieures. Presque tous les gens du roi étaient partis se joindre aux réjouissances.

Enfin, après s’être bousculés le long des corridors, ils parvinrent au cachot de Thorin situé loin en bas, fort heureusement tout près des caves.

« Ma parole ! » s’écria Thorin, quand Bilbo lui eut chuchoté de sortir à la rencontre de ses amis, « Gandalf disait vrai, comme d’habitude ! Vous faites un sacré bon cambrioleur, dirait-on, en temps utile. Nous en serons éternellement à votre service, quoi qu’il advienne, j’en suis certain. Mais quelle est la prochaine étape ? »

Bilbo vit que le moment était venu de leur exposer son plan du mieux qu’il le pourrait ; il se demandait tout de même quelle serait leur réaction. Ses craintes étaient tout à fait justifiées, car les nains ne furent pas du tout emballés, et ils se mirent à ronchonner bruyamment en dépit du danger.

« Nous en ressortirons couverts de bleus et complètement démolis, en plus d’être noyés, assurément ! grommelèrent-ils. Nous pensions que vous envisagiez quelque chose de sensé en dérobant les clefs. C’est de la folie pure, votre idée ! »

« Très bien ! » fit Bilbo, très abattu et plutôt agacé. « Retournez gentiment dans vos confortables cellules et je vais me charger de vous y enfermer. Vous pourrez vous y mettre à l’aise et trouver une meilleure idée – en supposant que je réussisse à m’emparer des clefs une nouvelle fois, ce qui semble assez improbable, même s’il me prenait l’envie d’essayer. »

C’en était trop pour eux, et ils se calmèrent. Car bien sûr, en définitive, ils n’eurent d’autre choix que de suivre le plan de Bilbo à la lettre. Il était tout à fait impensable de tenter de se frayer un chemin dans les salles supérieures, ou de forcer le passage des portes qui se refermaient par magie ; et continuer à ronchonner dans les galeries ne donnait rien, à moins de vouloir être pris. Ils suivirent donc le hobbit, marchant à pas de loup jusqu’aux caves les plus profondes, et passèrent l’encadrement d’une porte d’où on pouvait apercevoir le chef des gardes et le sommelier. Ils ronflaient toujours paisiblement, et un sourire de contentement éclairait leur visage : le vin du Dorwinion apporte de longs et agréables rêves. Le chef des gardes arborerait sans doute une expression différente le lendemain – bien que Bilbo ait eu la gentillesse de se faufiler auprès de lui, en passant, pour remettre les clefs à sa ceinture.

« Cela lui épargnera au moins quelques ennuis, se dit M. Bessac. Ce n’était pas un mauvais bougre, et il traitait assez bien les prisonniers. Les autres en seront tout aussi abasourdis. Ils vont se demander quelle magie aura permis aux nains de passer à travers toutes ces portes, avant de tout bonnement disparaître. Disparaître ! Il faut nous y mettre au plus vite si nous voulons que ça se concrétise ! »

Balin eut pour consigne de surveiller le garde et le sommelier, et de donner l’alerte si l’un d’eux remuait. Les autres se rendirent dans la cave adjacente où se trouvait la trappe. Il n’y avait pas une minute à perdre. Dans quelques instants, Bilbo le savait, des elfes étaient censés descendre afin d’aider le sommelier à renvoyer les tonneaux vides à la rivière en les jetant par la trappe. Ceux-ci avaient déjà, en fait, été placés en rangées au centre de la pièce, prêts à retourner à l’eau. Il y avait là des barriques de vin, mais celles-ci ne pouvaient guère servir, car il était difficile d’en enlever le fond sans faire beaucoup de bruit, et elles ne se refermaient pas facilement. Mais plusieurs autres avaient servi au transport de multiples denrées – du beurre, des pommes, et quoi encore – jusqu’au palais du roi.

Ils trouvèrent bientôt treize tonneaux assez grands pour contenir chacun un nain. Certains l’étaient en fait beaucoup trop, et les nains, une fois grimpés à l’intérieur, s’inquiétaient des chocs et des secousses qu’ils allaient devoir y subir, pendant que Bilbo s’évertuait à leur dénicher de la paille et d’autres formes de rembourrage pour les empaqueter aussi confortablement que possible dans le court laps de temps qui s’offrait à lui. Douze tonneaux furent enfin prêts. Thorin lui avait donné du mal, car il se tournait et se retournait dans sa cuve en grognant comme un chien coincé dans une trop petite niche ; et Balin, qui vint en dernier, fit un tas d’histoires à propos de ses trous d’aération et protesta qu’il étouffait avant même que son couvercle n’ait été posé. Bilbo avait fait de son mieux pour boucher les trous dans la paroi des tonneaux et pour fixer tous les couvercles aussi fermement que possible ; à présent, il se retrouvait seul une fois de plus, s’affairant ici et là pour mettre la touche finale à son plan, espérant de tout cœur qu’il se déroulerait comme prévu.

Il ne termina pas un instant trop tôt. Balin n’était pas enfermé depuis deux minutes lorsqu’on entendit des voix, accompagnées d’une lueur vacillante. De nombreux elfes étaient descendus aux caves, bavardant et riant, lançant des bribes de chansons. Ils venaient de quitter un joyeux festin dans l’une des salles du palais et comptaient bien y retourner aussitôt que possible.

« Où est ce vieux Galion, le sommelier ? dit l’un d’entre eux. Je ne l’ai pas vu aux tables, ce soir. Il devrait être déjà ici pour nous montrer ce qu’il y a à faire. »

« Si le vieux lambin est en retard, je vais me fâcher, dit un autre. Je n’ai aucune envie de perdre mon temps ici pendant qu’on chante là-haut ! »

« Ha, ha ! entendit-on derrière. Le scélérat repose sa vieille tête à côté d’un pichet. Il s’est fait un petit festin à lui tout seul avec son ami le capitaine. »

« Secoue-le ! Réveille-le ! » s’écrièrent les autres avec impatience.

Galion n’apprécia pas du tout d’être secoué ou réveillé, encore moins d’être la risée de ses subalternes. « Vous êtes tous en retard, grogna-t-il. Me voilà ici à attendre et attendre, pendant que vous autres joyeux lurons, vous vous enivrez et vous oubliez vos tâches. Pas étonnant que je sommeille d’ennui ! »