Выбрать главу

« Pas si vite ! dit Bard. Nous vous donnerons jusqu’à demain. À midi, nous reviendrons, et nous verrons si vous apportez la part du trésor qui fera contrepoids à la pierre. Si tout cela est fait sans escroquerie, alors nous partirons, et l’armée elfe retournera dans la Forêt. D’ici là, adieu ! »

Sur ce, ils retournèrent au campement ; mais Thorin envoya des messagers par le truchement de Roäc, informant Dain de ce qui s’était passé, et le priant d’accourir avec toute la prudence qui s’imposait.

Les heures passèrent et la nuit s’installa. Le lendemain, le vent tourna à l’ouest sous un ciel sombre et maussade. Il était encore tôt lorsqu’un cri retentit au campement. Des éclaireurs rapportaient qu’une armée de nains avait contourné l’éperon est de la Montagne et se dirigeait rapidement vers le Val. Dain était arrivé. Ayant marché toute la nuit, il arrivait sur eux plus tôt que prévu. Tous ses gens portaient un haubert d’acier qui descendait jusqu’à leurs genoux, et leurs jambes étaient recouvertes de jambières de métal, faites de mailles fines et souples dont la fabrication était un secret des leurs. Les nains sont extrêmement forts compte tenu de leur stature, mais la majorité de ces guerriers étaient forts même pour des nains. Leur arme de prédilection était une lourde pioche qu’ils maniaient à deux mains ; mais chacun avait aussi une large épée à sa ceinture, et un bouclier rond en bandoulière sur le dos. Leurs barbes fourchues étaient tressées et passées derrière leurs ceintures. Leurs casques étaient de fer, ainsi que leurs bottes, et leurs visages étaient de marbre.

Les trompettes retentirent, appelant aux armes les hommes et les elfes. Ils aperçurent bientôt les nains, remontant la vallée à grandes enjambées. Ces derniers s’arrêtèrent entre la rivière et l’éperon est ; mais quelques-uns poursuivirent leur marche vers le campement, franchissant la rivière ; et là, ils déposèrent leurs armes et levèrent les bras en signe de paix. Bard alla à leur rencontre et Bilbo le suivit.

« Nous sommes les envoyés de Dain fils de Nain, répondirent-ils quand on les interrogea. Nous nous hâtons vers ceux des nôtres qui sont dans la Montagne, car nous avons appris que le royaume de jadis a été rétabli. Mais qui êtes-vous donc, vous qui occupez la plaine comme des assaillants au pied d’une forteresse ? » Ce qui voulait dire, dans le langage poli et plutôt démodé qui convient à de telles occasions : « Vous n’avez rien à faire ici. Nous voulons passer, alors écartez-vous ou nous nous battrons ! » Ils entendaient forcer le passage entre la Montagne et le coude de la rivière ; car l’étroite bande de terre à cet endroit ne semblait pas aussi bien gardée.

Bard refusa évidemment de laisser les nains se faufiler jusqu’à la Montagne. Il était bien décidé à attendre que l’or et l’argent leur aient été remis en échange de la Pierre Arcane ; car il ne pensait pas que cette entente aboutirait, une fois la forteresse armée d’une troupe aussi nombreuse et aussi guerrière. Elle arrivait avec une grande quantité de provisions, car les nains peuvent porter de très lourds fardeaux ; aussi la plupart des gens de Dain, malgré leur marche précipitée, transportaient-ils d’énormes paquets sur leurs épaules en plus de leurs armes. Le siège durerait alors des semaines, et entre-temps, d’autres nains viendraient sans doute à la rescousse, et d’autres encore, car Thorin avait de nombreux parents. Cela leur permettrait aussi de rouvrir quelque autre porte et de la défendre, ce qui obligerait les assiégeants à encercler toute la Montagne ; mais ceux-ci n’étaient pas assez nombreux pour une telle manœuvre.

C’était justement ce que les nains avaient prévu de faire (car les messagers de Roäc avaient assuré la liaison entre Thorin et Dain) ; mais pour l’instant, on leur barrait la route, et après quelques invectives, leurs envoyés furent contraints de se retirer en grommelant dans leurs barbes. Bard dépêcha immédiatement des messagers vers la Porte ; mais ils ne trouvèrent ni or, ni aucune forme de paiement. Des flèches sifflèrent aussitôt qu’ils furent à portée de tir, et ils s’enfuirent dans la consternation. Au campement, tous étaient sur le pied de guerre ; car les nains de Dain progressaient sur la rive droite.

« Ils sont fous, s’esclaffa Bard, d’approcher ainsi sous l’épaulement de la Montagne ! Ils ne comprennent rien au combat ouvert, quelle que soit leur aptitude à faire la guerre dans les mines. Nous avons de nombreux archers et lanciers cachés dans les rochers sur leur flanc droit. Les mailles des nains sont peut-être solides, mais elles seront mises à rude épreuve en un rien de temps. Qu’on les enserre tout de suite des deux côtés, avant qu’ils ne soient bien reposés ! »

Mais le Roi elfe dit : « Je tarderai longtemps avant d’entreprendre cette guerre pour l’or. Les nains ne peuvent passer sans notre consentement, ni tenter quoi que ce soit sans que nous le sachions. Continuons d’espérer que quelque chose apportera la réconciliation. Nous aurons l’avantage du nombre, ce qui suffira à nous assurer la victoire si par malheur nous en venons aux coups. »

Mais c’était sans compter la détermination des nains. L’idée que la Pierre Arcane était en possession des assiégeants les consumait tout entiers ; et sentant également l’hésitation de leurs adversaires, ils résolurent de frapper pendant que Bard et ses amis délibéraient.

Soudain, sans avertissement, ils donnèrent l’assaut en silence. Les arcs vibrèrent, les flèches sifflèrent ; le combat allait bientôt s’engager.

Plus soudainement encore, l’obscurité s’installa avec une terrible rapidité ! Un nuage noir couvrit le ciel. Un tonnerre d’hiver et un vent véhément grondèrent, rugissant dans la Montagne tremblante, et la foudre fendit le ciel à sa cime. Et sous le tonnerre, d’autres ténèbres s’avançaient, tournoyantes ; mais elles n’étaient pas portées par le vent, car elles venaient du nord, comme un grand nuage d’oiseaux, si dense qu’aucune lumière ne se voyait entre leurs ailes.

« Halte ! » cria Gandalf, apparu soudainement, seul, les bras levés au ciel, entre la charge des nains et les rangs qui leur faisaient face. « Halte ! » s’écria-t-il comme un tonnerre, et de son bâton jaillit un éclair semblable à la foudre. « Le malheur est sur vous ! Hélas ! le voilà sur vous tous, plus vite que je ne l’appréhendais. Les Gobelins vous assaillent ! Bolg1 du Nord arrive, ô Dain ! vous qui avez tué son père en Moria. Voyez ! les chauves-souris flottent au-dessus de son armée comme une nuée de sauterelles. Des loups leur servent de monture et des Wargs sont dans leurs rangs ! »

Tous furent saisis d’étonnement et de confusion. Et pendant que Gandalf parlait, les ténèbres grandissaient. Les nains s’arrêtèrent et levèrent les yeux au ciel. La voix des elfes s’éleva en de nombreux cris.

« Allons ! s’écria Gandalf. Il est encore temps de tenir conseil. Que Dain fils de Nain se joigne rapidement à nous ! »

Ainsi s’ouvrit une bataille que personne n’avait prévue : elle fut appelée la Bataille des Cinq Armées, et fut réellement terrible. D’un côté se trouvaient les Gobelins et les Loups Sauvages, et de l’autre, il y avait les Elfes, les Hommes et les Nains. Voici le récit des événements qui y conduisirent. Depuis la chute du Grand Gobelin des Montagnes de Brume, la haine des siens à l’égard des Nains s’était enflammée comme jamais. Des messagers avaient sillonné les chemins entre leurs cités, colonies et places fortes ; car ils étaient maintenant déterminés à établir leur suprématie dans le Nord. Des nouvelles leur parvenaient secrètement ; et partout dans les montagnes, les forges et les armureries grouillaient d’activité. Puis ils se mirent en route et se rassemblèrent par monts et par vaux, marchant dans l’ombre des tunnels ou à la faveur de la nuit, jusque sous les hautes cimes du mont Gundabad dans le Nord où se trouvait leur chef-lieu ; et une grande armée fut réunie là-bas, prête à déferler sur les terres du Sud à l’improviste, par un vent de tempête. Puis ils apprirent la mort de Smaug et s’en réjouirent ; alors ils se hâtèrent nuit après nuit à travers les montagnes, et c’est ainsi qu’ils descendirent enfin des hauteurs du Nord et se retrouvèrent soudainement sur les traces de Dain. Pas même les corbeaux ne s’étaient avisés de leur venue avant qu’ils atteignent les terres accidentées entre la Montagne Solitaire et les collines derrière elle. Nul ne peut dire ce que Gandalf avait appris, mais il est clair qu’il n’avait pas prévu quelque chose d’aussi soudain.