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Marlène pensait que Malberg ne faisait plus attention à ce qu'elle disait. Elle brandit le revolver et l'agita dans tous les sens.

- Mais bien sûr que je t'écoute. Seulement, je n'aime pas trop avoir sous les yeux le canon d'une arme avec laquelle tu peux tirer d'une seconde à l'autre.

Marlène ne releva pas la remarque et poursuivit, d'une voix pleine d'ironie mordante :

- Pendant que Liane se prélassait de nouveau dans les Abruzzes, j'ai reçu un étrange appel téléphonique. Un certain don Anselmo essayait de me faire comprendre dans un langage fleuri que, dans le fond, j'étais une femme bonne, même si le malin s'était emparé de moi dans des circonstances fâcheuses. En parlant du malin, l'homme visait le cardinal secrétaire d'État Gonzaga. Je m'apprêtais à raccrocher en lui disant d'aller au diable, lorsqu'une idée a soudain germé dans mon esprit. Tu entends ce que je dis ?

- Oui, s'empressa de répondre Malberg.

- J'avais bien sûr immédiatement compris que j'avais affaire à un exorciste. J'ai fait semblant d'abonder dans son sens. J'ai convenu avec lui d'une date et fait en sorte que Liane soit là à ma place pour l'accueillir. Je voulais lui administrer une correction. Je ne pouvais pas me douter que cela allait lui coûter la vie. Je ne peux pas dire que sa disparition m'ait profondément attristée. Néanmoins, j'ai eu un choc lorsque Murath, chez qui je me trouvais pendant ce temps, m'a averti que j'étais morte. Cela fait une drôle d'impression, d'entendre l'annonce de sa propre mort. Murath avait appris par des voies détournées que la femme exorcisée à son corps défendant était décédée. Tout le monde croyait qu'il s'agissait de moi. Dans un premier temps, ils ont tenté de faire passer cette mort pour un accident. Et ils y sont d'ailleurs parvenus grâce aux relations étroites qu'ils entretenaient avec les plus hautes instances gouvernementales. Puis ils ont enterré la morte dans l'anonymat.

- Mais nous nous sommes parlé au téléphone... C'était quelques heures avant la mort de ta sœur... dit Malberg.

Marlène eut un sourire fielleux :

- Tout est possible avec les téléphones portables. À ce moment-là, je me trouvais déjà au château de Layenfels. Je voulais te donner une leçon, mais je voulais surtout me débarrasser de toi. Pour qui te prends-tu ? Tu crois peut-être que je n'avais pas remarqué tes yeux brillants de convoitise lorsque nous nous sommes revus ? Tu crois que j'ignorais ce que tu espérais de cette visite à Rome ? Mais je n'ai jamais oublié les humiliations que tu m'as fait subir à l'école. Je vais te dire une chose : j'avais les cheveux crépus, les seins peu développés pour une fille de dix-sept ans, un appareil dentaire que j'ai dû garder plus longtemps que les autres, et mes parents n'avaient pas d'argent pour me payer des vêtements à la mode. Mais étais-tu obligé de me balancer tout cela à la figure ? À compter de ce jour, je t'ai haï et je n'ai jamais cessé de te haïr.

- Je ne savais pas, bredouilla Malberg. En tout cas, je n'en ai aucun souvenir. Crois-moi, c'est la vérité ! Mais si cela s'est vraiment passé comme tu le dis, je le regrette.

- Tiens donc ! Tu regrettes tout d'un coup parce que tu as les pétoches !

- Oui, j'ai peur. Tu as l'intention de me tuer ?

- Moi ? Te tuer ? Non ! cria Marlène hors d'elle, c'est toi qui vas te tuer. Trois pas en arrière, et hop ! tout sera fini.

Avec l'énergie du désespoir, Malberg parvint à articuler quelques mots.

- Tu es complètement cinglée. Non, je ne sauterai pas dans le vide. Tu vas devoir tirer. Allez, tire !

Malberg sentait le sang bouillonner dans ses veines. Il suivit, les yeux écarquillés, Marlène qui fit trois ou quatre pas en arrière. Elle s'immobilisa entre deux créneaux à environ six mètres de lui.

- Pour la dernière fois. Trois pas en arrière !

- Tu ne tireras pas ! Je ne me jetterai pas dans le vide !

Dans la lumière du crépuscule, Malberg remarqua que son œil, le canon du revolver et l'œil de Marlène étaient alignés.

Puis il entendit un sifflement, immédiatement suivi par un coup sourd. Bizarrement, il ne sentait rien. Mais la douleur n'allait pas tarder à apparaître.

Soudain, il vit Marlène jeter son arme. Elle se mit à tituber puis à tourner sur elle-même. C'est alors que Malberg, paralysé par la peur et incapable de comprendre ce qui s'était réellement passé, remarqua la flèche plantée dans le dos de Marlène. Puis il la vit basculer la tête la première dans le vide et entendit quelques secondes plus tard un bruit sourd.

- Marlène ?

Des cris retentirent dans la cour de la forteresse. Malberg s'avança comme un somnambule vers le créneau, à l'endroit où Marlène avait disparu. Terrorisé, il s'agrippa à la muraille et regarda.

Le corps disloqué de Marlène gisait neuf étages plus bas.

Il entendit des pas dans l'escalier. Gruna surgit de l'obscurité avec un arc à la main, un de ces modèles sophistiqués qu'on utilise lors de compétitions sportives.

- Vous ? demanda Malberg, interloqué.

Gruna acquiesça.

- Je vous ai observé d'en face. J'ai d'abord cru à une dispute sans importance. Mais, dans la lunette de mon arc, j'ai vu que cette femme braquait son revolver sur vous. J'ai alors compris que l'affaire était sérieuse.

- Vous n'auriez pas dû faire cela, murmura Malberg presque en lui-même, vous n'auriez pas dû faire cela.

- Vous auriez donc préféré vous retrouver en bas, étendu mort au pied de la muraille ?

Malberg chancelait. Il ne comprenait rien.

- Marlène, répéta-t-il, Marlène.

- La seule femme en ces lieux, parmi une centaine d'hommes. Cela ne pouvait que mal se terminer. Mais Murath avait réussi à convaincre Anicet de lui faire cette concession. Le professeur avait même dit qu'il ne resterait au château, et donc qu'il ne poursuivrait ses recherches, qu'à la condition que Marlène soit autorisée à vivre ici. Ils vivaient ensemble.

Tout en écoutant les explications de Gruna, Malberg perçut une drôle d'odeur. Une odeur de fumée que Gruna remarqua à son tour :

- Il y a quelque chose qui brûle ! cria-t-il en regardant, horrifié, les ailes de la forteresse en contrebas.

- Au feu, le château brûle ! cria-t-il comme fou.

Malberg tituba jusqu'aux créneaux. Des flammes s'échappaient déjà de plusieurs fenêtres du bâtiment qui se trouvait en face du donjon, puis elles gagnèrent les autres parties de l'édifice.

Dans un état second, Malberg suivait ce macabre spectacle, sans réfléchir ne serait-ce qu'une seconde à l'origine de l'incendie. Gruna était lui aussi fasciné par le feu qui s'élevait dans la nuit.

Puis, tout à coup, comme s'il sortait brusquement d'un rêve, il balbutia :

- Nous devons sortir d'ici le plus vite possible !

Malberg restait cloué sur place et continuait de fixer le vide. Gruna le saisit par la taille et l'entraîna vers l'escalier.

Au sixième étage déjà noyé dans d'épaisses fumées noires, Malberg voulut obliquer dans le couloir qui menait aux archives.

- Vous avez perdu la raison ! hurla Gruna en toussant comme un damné.

Il attrapa Malberg par la manche et l'entraîna à sa suite.

- Mais le livre de Mendel ! s'écria Malberg en toussant lui aussi. Ce livre est irremplaçable !

- Vous êtes idiot ou quoi ? C'est votre vie qui est irremplaçable !

Cette remarque donna un électrochoc à Malberg, qui revint brutalement à la réalité.

Ils dévalèrent l'escalier. Quelques hommes gesticulaient, toussaient et vociféraient en se pressant devant la porte qui donnait sur la cour enfumée.

Lorsqu'ils furent enfin à l'air libre, Malberg ne se dirigea pas vers la sortie.