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Il s'interrompit. Un bruit leur parvenait du couloir.

- Je vous en prie, fermez le robinet, chuchota Zephyrinus, soudain en proie à une grande agitation.

Alberto s'exécuta. Ils scrutèrent le silence. Des pas se rapprochèrent, puis s'éloignèrent. Au bout d'un moment, Alberto rouvrit le robinet.

- Pourquoi faites-vous cela ? demanda Zephyrinus.

- Nous avons nos raisons, répondit Alberto qui ne faisait pas confiance au frère, en dépit des propos critiques qu'il venait de tenir. Dites-moi plutôt ce qu'il en est du cardinal, demanda-t-il alors à brûle-pourpoint, en reposant sa tasse vide sur le plateau. Où est Gonzaga ?

- Soyez sans crainte, il a passé la nuit non loin d'ici, dans une cellule individuelle. Ce matin, lorsque je lui ai apporté le petit-déjeuner, je l'ai trouvé en train de ronfler comme un sonneur.

- Ce qui m'intéresserait... commença Soffici. Enfin, on dit que les Flagrantes sont immensément riches, qu'ils ont des comptes au Lichtenstein et des rentrées d'argent provenant de biens immobiliers...

Un sourire amer passa sur le visage bouffi de Zephyrinus.

- Ce n'est pas tout. Dans les caves du château, il y a un ancien cachot, transformé en coffre-fort, dans lequel s'entasse une quantité de lingots d'or qui ferait pâlir les administrateurs de la Banque centrale européenne.

- Vous l'avez vu de vos yeux, cet or ? demanda Alberto.

Zephyrinus haussa les épaules.

- Non. Nul d'entre nous n'a accès à ce cachot. Mais tous en parlent.

Soffici secoua la tête.

- Ce ne serait pas la première, ni la seule confrérie qui, sous le couvert de la foi, œuvrerait pour le diable. Mais je ne veux pas vous offenser !

- Aucunement, répondit le frère. Les Flagrantes interprètent l'Écriture comme bon leur semble. Ils se réfèrent constamment à l'Apocalypse de saint Jean, où il est dit : « Je te conseille de m'acheter de l'or fin pour faire fortune. »

Monsignor était très étonné.

- La révélation secrète de saint Jean semble jouer un rôle important chez les Flagrantes.

- Je vais vous dire pourquoi, renchérit le frère. Le texte de l'Apocalypse contient tant d'énigmes qu'on peut pratiquement tout en dire, et le contraire de tout... Mais je vous prie de bien vouloir m'excuser, je crois que j'ai beaucoup trop parlé. Dieu vous garde !

Zephyrinus disparut avec son plateau aussi silencieusement qu'il était venu.

Alberto ouvrit la fenêtre pour respirer l'air frais du petit matin. Il reconnut, dans la lumière blême de l'aube, le chemin de terre par lequel ils étaient arrivés. Des nappes de brume montaient du Rhin qui coulait derrière les arbres et les bosquets.

Une odeur de feuilles humides flottait dans l'air. On entendait le bruit irrégulier d'un train express qui longeait la rive du fleuve.

Le cardinal secrétaire d'État entra en trombe dans la pièce, suivi d'un frère qu'ils n'avaient pas encore rencontré.

- Nous partons, déclara Gonzaga, apparemment très troublé.

Cette nouvelle fit à Soffici et à Alberto l'effet d'une délivrance. Aucun d'eux n'osa poser de questions. Ils suivirent sagement le frère.

La Fiat d'Alberto les attendait dans la cour du château.

Alberto aimait sa voiture. Une attitude fréquente chez les hommes.

Mais jamais encore jusqu'au moment où il mit le contact, ce matin-là, il n'avait ressenti une si grande affection pour elle. Soffici prit place sur le siège du passager, et Gonzaga s'installa sur la banquette arrière.

Personne ne se montra. Le porche à l'entrée était ouvert. Alberto enfonça l'accélérateur, et la voiture s'arracha dans un vrombissement libératoire. Les abondantes pluies de la nuit avaient creusé de profondes rigoles sur le chemin de terre. Alberto ralentit et commença la descente en roulant au pas.

Au détour du premier virage, un homme, les bras écartés, leur barra soudain le passage.

- Mais c'est Zephyrinus ! s'exclama le monsignor ébahi. D'où sort-il ?

Avec son habit déchiré et ses bras étendus, Zephyrinus ressemblait à un épouvantail.

- Qui c'est, celui-là ? Vous connaissez son nom ? grogna le cardinal, de mauvaise humeur.

Avant même que Soffici ait pu répondre, Zephyrinus était déjà à la hauteur de la voiture, côté conducteur. Alberto baissa la vitre.

- Je vous en prie, haleta Zephyrinus, emmenez-moi !

- Mais comment avez-vous fait pour arriver là ? demanda Alberto.

Zephyrinus tendit son doigt vers le ciel et Alberto sortit la tête par la portière. Au-dessus d'eux, une corde se balançait encore par une fenêtre ouverte.

- Vous avez...

- Oui, répondit Zephyrinus d'une voix atone.

La voix de Gonzaga retentit à l'arrière du véhicule. Il s'impatientait.

- Que veut cet homme ? Continuons !

- Je vous en prie ! Pour l'amour de Dieu ! supplia le frère.

- Roulez ! s'écria Gonzaga, hors de lui.

Alberto lança à son voisin un regard interrogateur, mais celui-ci ne réagit pas. Alberto connaissait le sort qui serait réservé à Zephyrinus s'ils le laissaient là.

- Allez ! cria le cardinal.

Alors Alberto ferma sa vitre. Il eut juste le temps d'entrevoir le visage désespéré du frère, puis on entendit un coup de feu. Un flot de sang gicla sur la vitre de la voiture. Sans un mot, sans un geste, Zephyrinus s'écroula. Quelques secondes interminables s'écoulèrent avant que tous comprennent ce qui s'était passé. Lorsque Soffici vit le sang dégouliner le long de la vitre, son estomac se révulsa. Il sortit la tête de la voiture et vomit. Alors Gonzaga répéta, hors de lui :

- Roulez, Alberto !

Alberto desserra lentement le frein à main et démarra.

8

Une sonnerie intempestive tira Malberg de son sommeil. Un mince rayon de soleil filtrait au travers des rideaux de sa chambre d'hôtel. Le réveil près de son lit affichait 8 h 50. Malberg avait horreur que le téléphone sonne avant 10 heures.

- Malberg ! répondit-il d'un ton grincheux.

- Lorenza Falconieri à l'appareil, fit la marquise d'une voix vive.

- Vous ? Que me vaut l'honneur d'un coup de fil si matinal ? grommela Malberg encore à moitié endormi.

- J'espère que je ne vous ai pas réveillé. J'ai à peine fermé l'œil cette nuit. À cause de la chaleur ! Mais j'ai beaucoup réfléchi.

- Et où en êtes-vous de vos réflexions ?

Malberg s'attendait à ce que la marquise évoque sa relation avec Marlène. Mais ce ne fut pas le cas.

- Je suis prête à vous céder l'ensemble des ouvrages pour deux cent cinquante mille euros, à condition que l'affaire soit bouclée dans les deux semaines à venir. Si nous ne faisons pas affaire ensemble, je passerai une annonce dans une revue spécialisée.

- Deux cent cinquante mille euros !

Soudain, Malberg était complètement réveillé. D'après ce qu'il avait pu en voir, la collection valait sans doute le triple, voire le quadruple. Il y avait néanmoins un petit problème : comment pouvait-il rassembler une somme pareille en l'espace de deux semaines ? Malberg avait des revenus plutôt satisfaisants, mais il avait un train de vie coûteux. Il possédait une belle librairie à Munich, très bien située dans la Ludwigstraße. Au loyer de cette boutique s'ajoutaient celui de son appartement à Munich-Grünwald et ses frais de personnel, ce qui représentait en tout trente mille euros mensuels. Certains mois, il avait des difficultés à équilibrer son budget.

- Malberg ? Vous m'entendez ?

- Oui, oui, bégaya Malberg, perdu dans ses calculs. Je réfléchis au moyen de rassembler si rapidement une telle somme. Deux cent cinquante mille euros, cela ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval.