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NORMA OBSERVANDA CIRCA EXORCIZANDAM A DÆMONIO

Le peu de latin qu'elle avait appris au lycée lui permit de déchiffrer ceci :

INSTRUCTIONS GÉNÉRALES À OBSERVER LORS DE L'EXORCISATION D'UN DÉMON

La belle signora comprit brusquement et respira un grand coup. Une exorcisation !

Elle en avait déjà entendu parler, elle avait même vu L'Exorciste, ce film d'épouvante, cette production hollywoodienne. Mais, pour elle, tout cela relevait de la fiction. Elle ne pouvait imaginer que de telles choses puissent encore exister aujourd'hui.

- Écoutez, il doit y avoir erreur sur la personne ! dit-elle en haussant le ton. Vous ne croyez tout de même pas sérieusement que je suis possédée du démon ?

Don Anselmo sourit de façon énigmatique :

- Il n'est pas rare que Satan s'empare des plus belles créatures que Dieu le Père a créées.

La belle signora partit d'un grand éclat de rire forcé.

Elle rit tant qu'elle en avala de travers et toussa à s'en décoller la plèvre. Il s'en fallut de peu qu'elle ne meure étouffée.

Le padre lança un regard entendu au neurologue qui acquiesça d'un hochement de tête. Il tendit alors le bras et écarta la jeune femme pour entrer.

- Nous aimerions ne pas attirer l'attention davantage, dit-il.

Ses compagnons le suivirent sans dire un mot et sans lever les yeux. La signora était trop abasourdie pour les en empêcher.

- Ah, au fait, je m'appelle don Anselmo, dit le padre en embrassant du regard le salon meublé avec goût. Je vous présente le neurologue, le docteur... qu'importe son nom, du reste. Et voici Angelo, futur théologien aux débuts prometteurs, lequel m'assistera lors de la liberatio. Angelo s'inclina maladroitement, comme l'artiste de cirque qui pénètre sur la piste, et tendit l'attaché-case au padre.

- Écoutez, ça rime à quoi, tout ça ? demanda la belle signora, debout devant le canapé au milieu de la pièce, sans perdre des yeux le téléphone.

Tandis que le padre vidait le contenu de l'attaché-case sur la table basse, elle envisageait le moyen de se tirer de cette fâcheuse situation.

Elle regardait avec terreur chaque objet que don Anselmo tirait de la mallette.

- Mais, qu'est-ce que c'est que cette mascarade ? demanda-t-elle avec colère. Veuillez sortir immédiatement de cet appartement !

Lorsqu'elle vit les quatre sangles que le padre étalait sur la table, elle poussa un hurlement strident. Puis elle sentit le gros séminariste s'approcher d'elle par-derrière. Avec une force prodigieuse, il la poussa sur le canapé.

Le dottore s'approcha d'elle, une seringue à la main. Quand elle aperçut l'objet, elle se débattit comme une forcenée. Peine perdue, l'aiguille s'enfonçait déjà dans sa cuisse. Le plafond se mit à tanguer. Puis elle sombra dans une agréable torpeur.

Elle observa ensuite avec un grand détachement le séminariste qui entravait ses jambes et qui passait des sangles autour de ses poignets. Elle n'opposa aucune résistance lorsqu'il la souleva dans ses bras vigoureux et la porta jusqu'à la chambre attenante.

Après l'avoir déposée sur le lit surmonté d'un baldaquin tendu de voiles vaporeux, le séminariste fit passer les sangles sous le sommier, les noua les unes aux autres et les serra étroitement.

Le médecin, la main droite palpant la carotide de la femme, prit son pouls.

- Quarante-six, dit-il en arquant les sourcils. Difficile sans indications préalables d'administrer la bonne dose à un patient.

-C'est Isacaron qui a pris possession d'elle ! s'écria don Anselmo, les yeux brillants. Mais je vais l'expulser de ce corps magnifique, poursuivit l'exorciste, le visage éclairé d'un sourire diabolique.

À présent, c'était à lui d'agir.

Il endossa nerveusement l'étole violette avant de dévisser les bouchons des bouteilles remplies d'eau. Il versa dans le creux de sa main un peu de liquide venant d'une des bouteilles et en aspergea la signora.

Elle ne broncha pas. Il renouvela la procédure avec de l'eau de la deuxième bouteille et, cette fois, la belle signora commença à balancer la tête de gauche à droite. Son corps s'arc-bouta et elle s'écria d'une voix blanche :

- Que me faites-vous ? Bande de salopards ! Détachez-moi ! À trois contre une faible femme ! Vous n'avez pas honte ?

Le séminariste recula comme si la flamme du Saint-Esprit était descendue sur lui. Il ferma les yeux. On eût dit qu'il souffrait d'entendre de tels propos. L'esprit tendu, le médecin guettait la réaction du padre. Mais don Anselmo restait de marbre.

- C'est le démon qui parle et qui s'exprime ainsi, susurra-t-il.

Puis, se tournant vers le neurologue :

- Vous vous demandez peut-être pourquoi je l'ai aspergée de deux eaux différentes. Eh bien, je voulais m'assurer que nous n'avions pas affaire ici à un cas d'hystérie. Car les hystériques réagissent de la même façon que les possédés ; ils cherchent par exemple à se rendre intéressants. La signora relèverait alors de vos compétences, docteur, et non de celles de l'exorciste. Voilà pourquoi j'ai commencé avec l'Exorcismus probativus. J'ai aspergé la signora avec de l'eau ordinaire et elle n'a montré, comme vous avez pu le constater, aucune réaction. La deuxième bouteille, quant à elle, était remplie d'eau bénite. Vous avez bien vu que le démon a réagi.

Le séminariste interrompit son maître :

- Don Anselmo... Don Anselmo...

- Taisez-vous, lui ordonna le padre en saisissant le Rituale romanum rouge.

Il l'ouvrit d'un geste assuré, directement à la page recherchée. De la main droite, il se saisit du crucifix et commença le rituel, un genou à terre devant la signora qui tremblait de tout son corps :

Père tout-puissant, Dieu unique, hâte-toi d'arracher à la ruine cette créature que tu as créée à ton image. Déchaîne, ô Seigneur, tes foudres sur la bête qui ravage ta vigne. Puisse tes puissants serviteurs la chasser et l'amener à délaisser ta servante, afin qu'elle n'ose plus longtemps retenir prisonnière celle que tu as cru digne d'être faite à ton image.

La belle signora tirait sur les sangles qui cisaillaient et meurtrissaient douloureusement ses poignets. Elle se tortillait autant que le permettait sa position, offrant ainsi son corps parfait en pâture aux trois hommes. Elle respirait avec difficulté.

Le séminariste, lui-même au bord de l'évanouissement, dut ouvrir son col romain trempé de sueur.

Depuis qu'à l'âge d'un an et demi il avait été sevré du sein maternel, jamais il ne lui avait été donné de contempler de si près des attributs sexuels mineurs. Il jeta un regard réprobateur à don Anselmo, non sans avoir auparavant contemplé avec jouissance le spectacle excitant et abject qui s'offrait à ses yeux.

Le neurologue, qui avait plutôt un penchant naturel pour son propre sexe et qui, de surcroît, était habitué à ces symptômes proches de l'hystérie, se montra moins impressionné. Il se contenta de faire remarquer que la procédure pouvait détériorer l'état psychique tout autant que l'état physique de la signora.

- J'insiste pour que nous interrompions la procédure ! s'exclama-t-il au milieu des cris, des plaintes et des gémissements de la belle femme.

Don Anselmo ne sembla pas l'entendre.

Il aspergea d'eau bénite la signora qui se débattait. Elle criait sa souffrance avec une telle force que l'exorciste lui-même dut hausser le ton :