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- Tel que je vous connais, reprit Duca, ce n'est pas la relique sacrée de Notre-Seigneur qui vous intéresse dans cette affaire...

- Vous avez parfaitement raison.

- Mais alors, au nom du ciel, pourquoi avez-vous donc besoin de l'original ? Cet original n'est absolument pas revendable.

Anicet se taisait et, presque gêné, détournait le regard.

- Permettez-moi donc de vous poser une seule question, poursuivit Duca. Qu'attendez-vous au juste de moi ? À moins que vous n'ayez imaginé que j'ai, d'une façon ou d'une autre, quelque chose à voir avec cette affaire ?

- Grand Dieu ! Non !

Anicet avait levé les deux mains, sans toutefois donner l'impression d'être très convaincu de ce qu'il disait.

- Inutile de faire tant de démonstrations, je ne sais que trop bien quelle antipathie vous me vouez, dit Duca. Alors, qu'est-ce que vous voulez ?

- Un renseignement. Un simple renseignement.

- Et lequel ?

- Donnez-moi le nom et l'adresse de l'homme qui a falsifié le linceul avec tant de perfection.

John Duca ne réagit pas. Il continua de fixer le lointain.

Anicet poursuivit son discours :

- Cet homme est un génie, un artiste de tout premier plan, un archéologue, un alchimiste, et en même temps un scientifique. À ce qu'il me semble, il a en outre une formation théologique. Si je devais le comparer à quelqu'un, le seul nom qui me viendrait à l'esprit serait celui de Léonard de Vinci. Mais il est mort il y a cinq siècles et, depuis lors, personne n'a été capable de l'égaler.

Duca répondit d'un air plutôt condescendant :

- Cher ami, pour quelle raison devrais-je vous donner le nom de ce génie, si tant est que je le sache ?

Anicet lissa ses longs cheveux en arrière. C'était un geste qui trahissait toujours chez lui un état d'inquiétude et de tension extrême. Il finit par s'emporter.

- Cessez tout de suite votre petit jeu ! Je crois que vous surestimez vos capacités, et que vous sous-estimez les miennes. Mais puisque vous refusez de comprendre, nous pouvons passer à la vitesse supérieure. Je n'aurai qu'un seul mot : Ordo JP.

Anicet observa avec une satisfaction évidente le tressaillement autour des lèvres de John Duca, et poursuivit :

- Je sais que vous allez demander maintenant ce que signifie Ordo JP... Mais, avant que vous ne le fassiez, j'aimerais vous montrer quelque chose.

Anicet sortit lentement de la poche de son veston une liasse de feuilles pliées et les étala devant Duca.

- D'où tenez-vous cela ? lui demanda le banquier, très agité.

Ignorant cette question, Anicet poursuivit :

Ordo JP, c'était le plan détaillé de l'assassinat du pape Jean-Paul Ier, dans lequel une bonne douzaine de membres de la curie étaient impliqués. Et parmi eux, ajouta-t-il en tendant une feuille sous le nez de son interlocuteur, se trouve un nom qui devrait vous intéresser : celui d'un certain John Duca. Les autres notices se contentent de décrire le processus exact de ce qui devait se passer entre le 8 et le 28 septembre 1978, jour où le pape se coucha pour ne plus se réveiller...

- Ça suffit ! souffla John Duca d'une voix étouffée, tout en repoussant les papiers qu'Anicet avait étalés devant lui.

Au bout d'un moment, pendant lequel les deux hommes se toisèrent sans échanger une parole, Duca rompit le silence :

- Mes compliments. Vous êtes bien informé. Et en dépit du fait qu'à l'époque déjà vous ayez appartenu au camp adverse. Vous savez donc également comment les choses se sont déroulées. Lorsque Jean-Paul fut élu pape, il avait l'intention d'assainir le marigot dans lequel baignait l'IOR. Or, il signait là son arrêt de mort. Trop de personnes à l'intérieur et à l'extérieur de la curie avaient quelque chose à se reprocher. Ils tremblaient pour leur carrière et pour leur fortune, pour les fonds placés en Suisse, au Lichtenstein et à Saint-Marin. Pour sauver l'Église de la faillite, il n'y avait qu'une seule solution : réduire au silence Jean-Paul, un homme honnête, mais d'une piété naïve. C'est Gonzaga qui a élaboré les plans de l'Ordo JP. Je suis aujourd'hui convaincu que Gonzaga a pris prétexte des malversations de l'IOR pour éliminer Jean-Paul. Je suis sûr que Gonzaga espérait, tout comme vous, être élu pape à son tour. C'est pour moi la seule chose qui puisse expliquer l'amertume qui le ronge.

- Qui avait connaissance de ce complot ?

- Tous les hommes importants de la curie, ainsi que la plupart des cardinaux, à l'exception de quelques-uns. Pourquoi croyez-vous que le candide Polonais Woytila ait été élu pape ? Il venait d'un pays communiste et ignorait tout des affaires d'argent. C'était l'homme providentiel. Mais pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ?

- Peut-être parce que vous avez mauvaise conscience...

John Duca haussa les épaules.

- Dans l'affaire, je me suis contenté de fournir le sulfate de nicotine, un poison insidieux, dont une goutte suffit pour tuer un homme. Gonzaga avait appris que le pape fraîchement élu avait l'habitude de boire un verre d'eau tous les soirs avant de s'endormir. La suite est allée de soi. Et comme, jusqu'à ce jour, aucun pape n'a jamais été autopsié - et pour cause - il n'y a pratiquement aucun risque que l'assassinat soit découvert.

- Parfait, remarqua Anicet avec un sourire sardonique, vraiment parfait. Je comprends mieux maintenant comment un bénédictin, ignorant tout des affaires d'argent comme vous l'étiez alors, a pu devenir le chef de l'Istituto per le Opere di Religione.

John Duca baissa la tête et regarda Anicet par en dessous.

- J'attends de vous que vous vous taisiez. Dans le cas où vous feriez état demain dans la presse de mes propos, je nierais tout et vous accuserais de mensonges.

- John, vous êtes un sot !

À ces mots, Anicet ouvrit le bouton supérieur de son veston et tira un mince câble blanc, relié d'un côté à une petite boule guère plus grosse qu'une cerise et, de l'autre, à un petit boîtier de la taille d'une boîte d'allumettes : un minuscule magnétophone.

Voyant qu'Anicet l'avait pris au piège, Duca se leva d'un bond, se pencha au-dessus de la table, renversa sa tasse de café qui se fracassa par terre, et tenta d'arracher l'appareil.

S'attendant à l'attaque, Anicet se contenta de saisir la main droite de son interlocuteur qu'il tordit violemment. John Duca poussa un petit étouffé.

Dans le café, il n'y avait que trois tables occupées, dont deux par des touristes anglais, tandis qu'un barbu d'un certain âge était assis à la troisième. L'altercation ne semblait pas le préoccuper. Au vu de son regard de dément, on était tenté de croire qu'il ne comprenait plus grand-chose du monde qui s'agitait autour de lui.

- Vous êtes un salaud, siffla Duca quand Anicet relâcha sa main.

- Et vous, alors ? rétorqua Anicet en remettant l'appareil dans la poche de son pantalon. Vous pouvez être tranquille d'ailleurs. Je ne ferai sans doute aucun usage de cet enregistrement.

- Qu'entendez-vous par « sans doute » ?

Le banquier fixait Anicet d'un regard haineux.

Anicet attendit qu'une serveuse ait fait disparaître la vaisselle cassée. À peine la jeune femme eut-elle terminé qu'il répondit :

- Je veux que vous me donniez le nom du faussaire. Je veux savoir qui est le génie à qui nous devons ce chef-d'œuvre - car il s'agit bien d'un chef-d'œuvre.

John Duca parut presque soulagé. Il s'attendait à des exigences de tout autre nature. Néanmoins, il y avait un petit problème.

- Je crains que vous ne me croyiez pas. J'ignore le nom de cet homme. Je ne me suis jamais occupé de cette affaire. C'est Moro qui l'a conduite, presque pour son propre compte. Croyez-moi !