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Comme subjugué, il regarda la splendide baignoire d'angle : Marlène était allongée dans l'eau qui débordait, la tête sous l'eau, les yeux ouverts révulsés, la bouche tordue, comme si, dans son agonie, elle avait poussé un dernier cri de douleur.

Ses longs cheveux noirs ondoyaient comme des plantes aquatiques. Son superbe corps bronzé avait quelque chose d'effrayant. Ses bras et ses jambes repliés faisaient penser à un cadavre d'oiseau échoué sur la plage à marée montante.

- Marlène, bégaya Malberg avec des sanglots dans la voix, sachant bien qu'il n'y avait plus rien à faire. Marlène...

Il n'aurait su dire combien de temps il était resté là, paralysé, sur le seuil. Il entendit tout à coup des voix dans la cage d'escalier. Il devait disparaître le plus rapidement possible de cet appartement. Si on le trouvait là, les soupçons se porteraient immédiatement sur lui. L'hypothèse que Marlène ait pu attenter à ses jours lui semblait absurde.

Malberg se retourna et jeta encore un regard rapide dans le salon luxueux. Il découvrit sur un petit guéridon un agenda ouvert.

Marlène avait pu y inscrire son nom, son adresse et son numéro de téléphone : il devait donc emporter ce carnet. Il le fit disparaître aussitôt dans la poche de son veston. Puis il quitta l'appartement en refermant sans bruit la porte derrière lui.

Comment pouvait-il quitter l'immeuble sans se faire remarquer ? La maison n'était pas assez grande pour qu'un visiteur étranger puisse passer inaperçu.

Il avait descendu deux étages sur la pointe des pieds lorsque le vieil ascenseur au centre de la cage d'escalier se mit en branle. À travers les barreaux de la rampe, Malberg aperçut une femme d'un certain âge. Elle ne sembla pas le remarquer. Une fois arrivé au rez-de-chaussée, il attendit un instant.

La porte de la loge était encore entrouverte. À l'intérieur, le transistor allumé diffusait de la musique. Malberg hésita. La concierge ne manquerait pas de le voir lorsqu'il passerait. Le hasard lui vint en aide.

Un chat gras au poil hirsute, tenant quelque chose dans sa gueule, s'échappa soudain de la loge.

La matrone aux cheveux courts, avec ses créoles scintillantes, poursuivit en hurlant la bête jusque dans la rue. Malberg en profita pour se faufiler hors de l'immeuble.

Dans la Via Gora, en direction du Tibre, il se força à marcher d'un pas nonchalant.

Il était dans tous ses états. Il frissonnait et n'avait qu'une seule envie : s'enfuir à toutes jambes ; mais son petit doigt lui disait que, s'il cédait à cette pulsion, il risquait d'éveiller les soupçons.

Malberg était étrangement perturbé par la mort de Marlène. Il se sentait presque coupable. Sa voix était si gaie au téléphone.

Pourquoi avait-il tant tardé à venir ? Il était arrivé trop tard. Soudain, il éclata en sanglots. Il ne retint pas ses larmes, qui ruisselèrent sur son visage.

Qu'avait-il bien pu se passer au cinquième étage du numéro 23 de la Via Gora ? Il y a trois heures, ils se parlaient encore au téléphone et maintenant, elle était morte. Assassinée ! Marlène !

Pendant qu'il obliquait dans la Viale di Trastevere, une artère plus passante qui mène tout droit au Tibre, l'image du corps de Marlène dans l'eau ressurgit devant lui. Il leva les yeux vers le soleil éblouissant, cherchant à oublier ce cauchemar.

Il poursuivit son chemin, les paupières quasiment fermées, avec une seule idée en tête : quitter ces lieux ! Il tendit le bras pour héler un taxi, mais tous passèrent à côté de lui sans s'arrêter.

En désespoir de cause, afin qu'on le remarque, il se campa au milieu de la chaussée. C'est alors qu'il ressentit un terrible choc dans le dos qui lui coupa le souffle.

L'espace d'un instant, il crut qu'il volait. Puis un deuxième coup l'atteignit à la tête et il perdit conscience.

3

Lorsque Lukas Malberg revint à lui, il aperçut, penché au-dessus de lui, le visage ingrat d'une infirmière. À proximité, un bip strident et régulier lui déchirait les tympans.

- Où suis-je ?

- À l'hôpital Santa Lucia. Vous avez eu un accident.

Ce n'est qu'à cet instant que Malberg ressentit une vive douleur dans le crâne. Il ne se sentait pas bien et avait du mal à respirer. Il tenta de se concentrer, mais en vain.

- Un accident ? Je ne me souviens pas.

- Cela n'a rien d'étonnant. Vous souffrez d'un traumatisme crânien. Mais vous pouvez dire que vous avez eu de la chance. Vous vous en tirez bien. Vous ne souffrez que d'une simple plaie à la tête.

Malberg se tâta le front et découvrit un petit pansement.

- Un accident, vous avez dit ?

- Sur la Via di Trastevere. Le chauffard a pris la fuite.

Malberg avait beau se triturer les méninges, il n'avait pas le moindre souvenir, même vague, d'un accident. Tout à coup, cela lui revint.

Une image surgit devant ses yeux : le cadavre de Marlène dans la baignoire. Il poussa un long soupir.

- Ne vous faites pas de souci, poursuivit l'infirmière. Vous serez sur pied d'ici une semaine. À présent, vous avez surtout besoin de repos.

Malberg regarda l'infirmière d'un air soupçonneux.

- Et à part cela ?

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

- Je veux dire : il ne s'est rien passé d'autre ?

L'infirmière secoua la tête.

- Je peux vous abandonner un instant, n'est-ce pas ?

- Oui, bien sûr, répondit Malberg.

Se retrouvant seul dans cette pièce blanche, il prit peur. Le moniteur auquel il était relié émettait des bips en continu.

Malberg se concentra pour rassembler ses souvenirs : le train de nuit pour Rome, l'arrivée à l'hôtel Cardinal, le coup de fil à Marlène, puis le cauchemar : Marlène noyée dans la baignoire.

L'appareil s'emballa ; au même moment, l'infirmière entra dans la chambre en compagnie d'un médecin.

Dottore Lizzani, se présenta le médecin sur un ton détaché en lui tendant la main. Comment vous appelez-vous ?

- Lukas Malberg.

- Vous êtes allemand ?

- Oui, docteur, mais je n'arrive pas à me souvenir de l'accident.

Lizzani lança un regard entendu à l'infirmière. Puis il demanda à brûle-pourpoint :

- Trois fois neuf ?

Malberg s'énerva.

- À quoi rime cette question ? Dottore ! Je suis incapable de me souvenir de l'accident, voilà tout.

- Trois fois neuf ? insista le médecin.

- Vingt-sept, marmonna le patient de mauvaise grâce, avant d'ajouter, non sans agacement : si je ne me trompe pas...

Le docteur Lizzani ne se laissa pas distraire.

- Avez-vous des parents à Rome, que nous pourrions prévenir ?

- Non.

- Vous êtes ici en vacances ?

- Non, plutôt en déplacement professionnel.

Et c'est sur le ton d'une conversation professionnelle que le dialogue entre le médecin et son patient se poursuivit.

- Nous allons vous garder ici quelques jours en observation, signor Malberg. Ne vous inquiétez pas pour ces trous de mémoire concernant l'accident. C'est tout à fait normal. Vos souvenirs vont revenir petit à petit.

- Et les fils ? demanda Malberg en jetant un regard noir à l'appareil auquel il était relié.

- L'infirmière va vous enlever ça.

Quand l'infirmière eut quitté la pièce en emportant les écheveaux de fils, Malberg regarda autour de lui. Mis à part le moniteur dont les câbles pendaient comme les tentacules d'une pieuvre, il n'y avait rien à voir.