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Sous leurs yeux se trouvait le linceul dans lequel Jésus de Nazareth avait été enveloppé après sa mort sur la croix. Le lin présentait les traces sombres d'un supplicié en négatif.

On reconnaissait nettement le recto et le verso du corps à une distance de cinquante centimètres l'un de l'autre. Et il suffisait de fixer suffisamment l'endroit où devait s'être trouvé le visage pour que l'image prenne des formes en trois dimensions.

Le cardinal secrétaire d'État respirait avec difficulté.

À l'émotion que provoquait chez lui ce spectacle s'ajoutait la colère que lui inspiraient Anicet et la confrérie.

Le Grand Maître s'approcha de Gonzaga. Sans détacher les yeux de la précieuse relique, et comme s'il avait pu lire dans ses pensées, il concéda :

- Je peux comprendre que vous me haïssiez, cardinal. Mais, croyez-moi, je n'avais pas le choix.

5

Lukas Malberg quitta la clinique Santa Cecilia au bout de trois jours, contre l'avis du médecin qui insista pour qu'il évite tout effort et surtout tout énervement.

C'était plus facile à dire qu'à faire. Malberg tenta tout d'abord de s'éclaircir les idées dans sa chambre d'hôtel, où régnait une chaleur étouffante en cette période estivale, autour de ferragosto.

Le mystère enveloppant la mort de Marlène avait entamé ses facultés de jugement et de réflexion. Après avoir réfléchi pendant des heures, il en vint même à se demander sérieusement s'il avait vraiment vécu tout cela ou s'il ne l'avait pas tout simplement rêvé.

Pensif, il passa la main sur le dos de la reliure du petit carnet qui, lui, au moins, était réel. Il fallait qu'il sache ce qui s'était passé.

En proie à d'affreux doutes, il tira de sa poche le bout de papier sur lequel il avait noté les numéros de téléphone de Marlène et, prenant le combiné, en composa un. À sa grande surprise, il entendit une sonnerie.

- Allô ?

Malberg se figea de peur, incapable de poursuivre.

Une voix féminine répéta la question, plus énergiquement cette fois :

- Allô ? Qui est à l'appareil ?

- Lukas Malberg, bégaya-t-il. Marlène, c'est toi ?

- Marquise Lorenza Falconieri à l'appareil. Vous avez dit Malberg ? Le bouquiniste de Munich ?

- Oui, répondit-il d'une voix ténue tout en jetant un regard étonné sur son bout de papier.

- Je dois vous apprendre une bien triste nouvelle, commença la marquise sur un ton hésitant. Marlène est morte.

- Morte, répéta Malberg.

- Oui, la police ne sait pas encore s'il s'agit d'un accident ou d'un suicide...

- Un accident ou un suicide ! Un suicide, jamais de la vie...

- On ne le sait pas encore, répéta la marquise d'une voix neutre et contenue. Vous voulez dire que Marlène n'était pas de ce genre de femmes capables de mettre fin à leurs propres jours ? Possible. Je ne la connaissais pas suffisamment pour en juger. D'ailleurs, qui est capable de lire pareilles choses dans un être humain ? Alors, ce doit être un accident.

- Ce n'était pas un accident ! rugit Malberg.

Il tressaillit en entendant ses propres paroles.

La marquise garda le silence pendant un court instant, avant de demander sur un ton méfiant :

- Et comment pouvez-vous en être si sûr ?

Gêné, Malberg garda le silence. Il avait le sentiment désagréable de s'empêtrer dans une affaire qui ne le regardait pas. Il tenait dans la main gauche le bout de papier avec les numéros de téléphone de Marlène. Celui de la marquise y figurait aussi.

Apparemment, dans son agitation, il avait confondu les deux numéros.

- Vous êtes donc intéressé par mes livres, reprit la marquise sur un ton inattendu, comme s'il se fût agi d'une discussion d'affaires plus que d'une conversation concernant la mort d'une femme qu'ils connaissaient personnellement.

- Je suis bouquiniste, répondit-il. Je vends et j'achète des beaux livres.

- Je connais très bien votre métier, signore. Le marquis - paix à son âme -, avait acquis une grande partie de sa collection dans des ventes aux enchères, mais aussi chez des bouquinistes en Allemagne. Il était obsédé par l'acquisition de certains livres pour lesquels il déboursait des fortunes. Jamais le commun des mortels ne pourrait imaginer la valeur de ces ouvrages. C'est pourquoi je compte sur votre discrétion, au cas où nous ferions affaire. Quand pouvez-vous venir ?

- Quand cela vous convient-il, marquise ?

- Disons, vers cinq heures ?

- Parfait.

- Vous avez mon adresse, signor Malberg.

- Je l'ai notée, en effet.

- Ah, une dernière chose : ne vous laissez pas impressionner par les lieux en arrivant. Les trois étages inférieurs sont inhabités. Vous me trouverez au quatrième. Buon giorno !

Malberg se rendit à pied chez la marquise dont la maison se situait non loin de son hôtel, dans une rue adjacente à la Via dei Coronari, entre la Piazza Navona et le méandre que décrit le Tibre à cet endroit-là.

La chaleur étouffante de l'été plombait les rues. La plupart des Romains avaient quitté la ville poussiéreuse qui empestait les gaz d'échappement. Malberg essayait autant que possible de marcher à l'ombre.

Heureusement que la marquise l'avait prévenu de l'état de son immeuble, sans quoi il n'y aurait même pas prêté attention et serait passé sans s'arrêter devant cette maison laide, plutôt en piteux état, ou qui avait du moins connu des jours meilleurs. Chose étrange, pour qui savait que cette demeure abritait une véritable marquise.

Il manquait des morceaux de stuc aux encadrements des fenêtres. Le crépi de la façade se fissurait et la porte d'entrée en bien n'avait pas vu un pinceau depuis l'époque du Piranèse.

Malberg entra dans la cage sombre de l'escalier, dont l'odeur humide et froide lui rappela immédiatement celle de l'immeuble de Marlène.

Lorsqu'il arriva au dernier palier, il tomba sur une femme menue, entièrement vêtue de noir, aux yeux sombres et aux cheveux soigneusement tirés en arrière. Son maquillage était parfait et ses jambes, mises en valeur par des bas noirs et des chaussures à hauts talons, l'étaient tout autant.

L'expression de son visage était aussi sévère que son apparence extérieure. Elle tendit la main à Malberg et s'écria d'une voix éraillée :

Signore !

Elle ne dit rien d'autre. Malberg poursuivit.

- Malberg, Lukas Malberg. C'est très gentil à vous de me recevoir, marquise !

- Oh ! Un homme qui connaît les bonnes manières ! répondit la marquise en gardant un moment la main de Malberg dans la sienne.

Il était visible que la marquise avait pleuré. Mais Malberg était gêné. Le ton qu'elle employait le mettait mal à l'aise. Se moquait-elle de lui ?

- Si vous voulez bien me suivre, signore, poursuivit-elle en passant devant lui.

Lukas Malberg ne l'avait imaginée ni si petite, ni si menue, ni si belle, ni aussi charmante. Elle devait avoir dans les quarante-cinq ans, peut-être même cinquante. En tout cas, elle avait une certaine classe, une classe qui ne tient pas à l'âge.

Lorenza Falconieri fit entrer Malberg dans une vaste pièce dont les quatre murs étaient tapissés de bibliothèques du sol au plafond.