- Il semble néanmoins que la conscience du procureur général ne se soit pas tue pour autant. Elle s'est même rappelée à lui avec tant de force que son cœur a lâché.
- Exact. Burchiello avait souvent mis son corps à rude épreuve, pas seulement en allant régulièrement à la trattoria la plus proche. Cela se paie un jour ou l'autre, surtout si l'on y ajoute le poids du psychique.
Caterina hésita, puis finit par demander maladroitement :
- Ce qui m'intéresserait... peut-on lire dans ce dossier qui a tiré sur la marquise ?
- Bien sûr. Même si l'assassin n'est pas nommément cité, il a agi sur ordre de Gonzaga.
- Le diable se cache vraiment sous la pourpre de cardinal. Je n'aime pas particulièrement l'Église, mais elle ne mérite pas de compter un tel individu en son sein.
- Certes non !
- Alors, Gonzaga a aussi cet homme au visage brûlé sur la conscience ? Le dossier apporte-t-il une réponse sur ce point ?
Mesomedes hocha lentement la tête.
- La chose qui vous étonnera peut-être le plus, c'est que ce démon de Gonzaga avait trouvé plus fort que lui en la personne de monsignor Giancarlo Soffici.
- Le secrétaire du cardinal secrétaire d'État ?
- Tout à fait. Une apparence bien falote, mise à part l'écharpe pourpre qui ceignait son ventre. Il souffrait d'être traité comme un moins que rien par Gonzaga. Il a décidé un jour de se venger de son maître. Il avait connaissance des machinations de son Éminence, et savait aussi que celui-ci était capable de tuer père et mère pour parvenir à ses fins. Il n'a fait que l'imiter.
- Ce secrétaire effacé du cardinal ? dit Caterina en secouant la tête.
- Les assassins les plus pervers se distinguent justement par leur discrétion. Vous avez dû rencontrer souvent ce genre de personnage dans votre profession.
- Vous avez raison.
- Toujours est-il que c'est Soffici qui a commandité le meurtre de Gueule-brûlée pour s'emparer du bout d'étoffe prélevé sur le saint suaire de Turin. Gueule-brûlée a d'abord proposé la relique à Gonzaga. Pour des raisons que nous ignorons, la transaction ne s'est pas faite. Au lieu de cela, c'est un certain Malberg qui a soudain manifesté son intérêt pour ce bout de tissu.
- Malberg ?
- Oui, Malberg. Au fait, où est ce type ?
Caterina haussa les épaules.
- Écoutez, dit Mesomedes en changeant de ton. Inutile de jouer la comédie. Votre liaison avec le bouquiniste de Munich est officiellement connue depuis longtemps. De plus, vous êtes certes une bonne journaliste dans le domaine des affaires criminelles, mais une piètre comédienne.
- Il se trouve en Allemagne, dit aussitôt Caterina pour mettre fin à cette situation embarrassante.
Mesomedes poursuivit :
- Soffici connaissait sans doute la valeur de ce morceau de tissu. Il n'a pas voulu renoncer à l'affaire. Il avait besoin d'argent, de beaucoup d'argent, pour des raisons qu'on ignore. Et cela a signé l'arrêt de mort de Gueule-brûlée. Mais Soffici a dû pressentir une affaire plus juteuse encore. Il a alors mis en scène l'enlèvement de Gonzaga. Il s'est lui-même fait enlever pour donner le change. Puis il a pris la voiture de fonction du cardinal pour se rendre au siège d'une obscure confrérie résidant sur les bords du Rhin. Pour des raisons que j'ignore, la confrérie lui a fait une offre encore plus alléchante. Mais la chance n'était pas avec lui. Il a été victime d'un accident de voiture sur le trajet.
- Vous croyez à cette thèse, vous ?
- Jusqu'à preuve du contraire, oui.
Pensive, Caterina hocha la tête.
- Alors, l'affaire Marlène Ammer est élucidée, finit-elle par dire.
- Disons que, sur la foi de ce dossier, nous connaissons les détails de sa mort. Elle a sans aucun doute succombé au cours de l'exorcisme.
Caterina acquiesça. Cela ne constituait pas un fait nouveau pour elle.
- Le Vatican voulait à tout prix empêcher que l'incident s'ébruite. Mais il y a encore bien des questions qui restent sans réponse. On peut supposer que la mort de Marlène Ammer n'a fait que déclencher une avalanche qui cache une affaire secrète dont nous ne savons rien. Ici, par exemple !
Mesomedes sortit un fax provenant du parquet d'Anvers.
- Les collègues belges mènent une enquête dans le cadre d'un assassinat commis sur un certain Ernest de Coninck. Cet homme était connu pour être le meilleur faussaire au monde. On l'a retrouvé pendu dans sa maison d'Anvers. Dès le début, la thèse du suicide n'a pas été retenue.
- Monsieur Mesomedes, vous ne voulez tout de même pas insinuer que ce faussaire pourrait être d'une manière ou d'une autre mêlé à notre affaire !
- On a en effet du mal à s'imaginer le lien qu'il pourrait y avoir. Mais vous allez vite changer d'avis lorsque je vous aurai dit ce que le parquet d'Anvers a trouvé. Les enquêteurs ont épluché les comptes du faussaire et ont découvert deux versements de deux cent cinquante mille euros.
Caterina émit un léger sifflement.
- Devinez donc d'où venait cet argent...
- Aucune idée.
- De la banque du Vatican, l'IOR, l'Istituto per le Opere di Religione ! Les collègues d'Anvers nous ont demandé officiellement notre aide, mais, à en croire les dossiers du service, Burchiello n'a pas donné suite à cette demande. Cela suffit à rendre cette affaire suspecte.
Pendant que Mesomedes feuilletait le dossier, Caterina le regardait, interdite. En tant que journaliste, elle ne savait que trop bien que la vie écrit des histoires incroyables. Mais celle-ci était de loin la plus extraordinaire qu'elle ait jamais lue.
Et elle, Caterina Lima, était au cœur de cet imbroglio.
56
- Où allez-vous ? demanda le chauffeur de taxi.
- Au château de Layenfels, répondit Malberg en laissant tomber son gros sac de voyage sur la banquette arrière avant de s'asseoir à côté du chauffeur.
Méfiant, l'homme dévisagea son passager avant de dire, en dialecte rhénan :
- Je ne peux vous conduire que jusqu'à l'embranchement de la route qui y mène. À cet endroit, je dois faire demi-tour. Vous serez obligé de faire le reste du trajet à pied.
- Pourquoi donc ? demanda Malberg avec agacement.
Il n'était pas de très bonne humeur. Le voyage en train avait été long ; il avait dû prendre deux correspondances. Et, pour couronner le tout, un vent glacial soufflait sur la place de la gare de Lorch.
- C'est la première fois que vous allez au château de Layenfels ? demanda le chauffeur prudemment.
- Non, pourquoi ?
L'homme renifla bruyamment.
- Remarquez, cela ne me regarde pas. Mais sachez qu'on ne peut pas y entrer. La confrérie s'est complètement coupée du reste du monde. Personne ne peut franchir le porche, surtout pas un taxi. De plus, le dernier tronçon du chemin de terre qui y conduit passe dans une gorge où il est impossible de manœuvrer. Impossible de rebrousser chemin, vous comprenez maintenant pourquoi je suis obligé de vous laisser à l'embranchement ?
- C'est bon, grogna Malberg, allons-y, vous me déposerez le plus près possible.
- Vos désirs sont des ordres, répondit le chauffeur de taxi dans un élan presque amical avant d'élever la main comme pour faire un salut militaire.