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— D’arbres », laissa tomber une voix dans l’obscurité, loin au-dessus. Une voix aux cordes de bois, pourrait-on dire.

« Ouais », fit le jeunot. Il tira sur son mégot et frissonna.

Le chef du groupe jeta un coup d’œil par-dessus le rocher en direction de la maisonnette.

« Bon, dit-il en tapotant sa pipe sur le talon de sa botte de sept lieues qui lâcha un couinement de protestation. On fonce à l’intérieur, on les cueille, on se casse. D’ac’ ?

— T’es sûr que ce ne sont que des gens ? demanda le jeune mage, nerveux.

— Évidemment que j’en suis sûr, grogna le chef. Tu t’attends à trouver quoi ? Trois ours ?

— Il pourrait y avoir des monstres. C’est le genre de bois qu’a des monstres.

— Et des arbres, ajouta une voix amicale tombant des branches.

— Ouais », fit le chef, prudent.

* * *

Rincevent examina soigneusement le lit. Un joli petit lit fait dans une sorte de caramel dur, au beurre, incrusté de caramel nature, mais il aurait préféré le manger que dormir dedans ; d’ailleurs il semblait qu’on y avait déjà goûté.

« Quelqu’un a mangé mon lit, dit-il.

— J’aime bien le caramel au beurre, fit Deuxfleurs, sur la défensive.

— Si tu ne fais pas attention, la fée va venir te prendre toutes tes dents, dit Rincevent.

— Non, ça, ce sont les elfes, dit Swires depuis la coiffeuse. Ils font ça, les elfes. Les ongles de doigts de pieds, aussi. Des fois ils sont très susceptibles, ces elfes-là. »

Deuxfleurs s’assit lourdement sur son lit.

« Vous avez tort, dit-il. Les elfes sont beaux, magnanimes, sages et justes ; je suis sûr d’avoir lu ça quelque part. » Swires et la rotule de Rincevent échangèrent un regard.

« Je crois que vous évoquez des elfes différents, dit lentement le gnome. Nous, on a l’autre sorte, par ici. Non pas qu’ils soient soupe au lait, n’allez pas croire ça, ajouta-t-il hâtivement. Sauf si vous tenez à remporter vos dents dans votre chapeau, en tout cas. »

Il y eut le bruit ténu mais reconnaissable entre tous d’une porte en nougat qui s’ouvre. En même temps, depuis l’autre côté de la maisonnette, parvint un très léger tintement, comme un caillou qui casserait les carreaux d’une fenêtre en sucre d’orge le plus délicatement possible.

« C’était quoi, ce bruit ? demanda Deuxfleurs.

— Lequel ? » fit Rincevent.

Ils entendirent le clong d’une lourde branche qui heurta violemment l’appui de la fenêtre. Au cri de « Les elfes ! » Swires détala à ras de plancher vers un trou de souris et disparut.

« Qu’est-ce qu’on va faire ? dit Deuxfleurs.

— Paniquer ? » proposa Rincevent avec espoir. Il avait toujours tenu la panique pour la meilleure technique de survie ; dans le temps, selon sa théorie, les gens qui tombaient nez à nez avec un tigre à dents de sabre se répartissaient tout bonnement en deux catégories : ceux qui paniquaient et ceux qui restaient sur place pour lui adresser des « oh, la belle bête ! » ou des « minou, minou ! »

« Là, un placard », dit Deuxfleurs qui désigna une porte étroite coincée entre le mur et le manteau de la cheminée. Ils se précipitèrent dans une obscurité à l’odeur douceâtre de renfermé.

Un grincement de lame de parquet en chocolat à l’extérieur. Quelqu’un dit : « J’ai entendu des voix. »

Quelqu’un d’autre répondit : « Ouais, en bas. Je crois que ce sont les Poudre-aux-yeux.

— Tu as dit qu’on leur avait faussé compagnie, il me semble !

— Hé, vous deux, on peut tout manger ici ! Tenez, regardez, on peut…

— La ferme ! »

Il y eut encore d’autres grincements ; un cri étouffé monta du rez-de-chaussée, où un Voyant Vénérable qui avançait à pas de loup dans le noir depuis la fenêtre défoncée avait marché sur les doigts d’un Poudre-aux-yeux caché sous la table. Un chuintement ; un sifflement de magie se fit brusquement entendre.

« Quel couillon ! fit une voix. Ils l’ont eu ! Taillons-nous ! »

Encore des grincements, puis le silence. Au bout d’un moment, Deuxfleurs déclara : « Rincevent, je crois qu’il y a un balai dans ce placard.

— Et alors, qu’est-ce que ça a de drôle ?

— Celui-là, il a un guidon. »

Un cri perçant monta d’en dessous. Dans l’obscurité, un mage avait voulu ouvrir le couvercle du Bagage. Un fracas dans l’arrière-cuisine annonça l’irruption soudaine d’une bande de Mages Illuminés du Cercle Continu.

« Après quoi ils en ont, à ton avis ? chuchota Deuxfleurs.

— Aucune idée, mais je crois qu’il vaut sans doute mieux ne pas le savoir, répondit Rincevent, songeur.

— Tu as peut-être raison. »

Rincevent poussa tout doucement sur la porte pour l’ouvrir. La pièce était vide. Il gagna la fenêtre sur la pointe des pieds et regarda en bas les visages levés dans sa direction de trois Frères de l’Ordre de Minuit.

« C’est lui ! »

Il se retira précipitamment et se rua vers l’escalier.

Le spectacle au rez-de-chaussée était indescriptible, mais vu qu’une telle affirmation coûtait la peine de mort sous le règne d’Olaf Quimby II, essayons quand même. Tout d’abord, la plupart des mages aux prises essayaient d’éclairer le théâtre des opérations à l’aide de flammes, boules de feu et lueurs magiques en tous genres, si bien que l’ensemble donnait l’impression d’une soirée disco dans une usine de stroboscopes ; chacun s’efforçait de trouver une position qui lui aurait permis d’embrasser le décor sans se faire attaquer lui-même, et tout le monde sans exception s’efforçait de s’écarter du chemin du Bagage, qui avait coincé deux Voyants Vénérables dans un angle et claquait des dents à la moindre approche. Mais l’un des mages leva par hasard les yeux.

« C’est lui ! »

Rincevent se rejeta en arrière et quelque chose le heurta. Il lança alentour un regard affolé qui se figea à la vue de Deuxfleurs assis sur le balai, lequel flottait dans les airs.

« La sorcière a dû l’oublier ! fit le touriste. Un vrai balai magique ! »

Rincevent hésita. Des étincelles octarines fusaient des poils de l’engin et il avait une sainte horreur de l’altitude, mais ce qu’il détestait vraiment plus que tout, c’était une douzaine de mages teigneux en colère escaladant quatre à quatre un escalier pour l’attraper, et le cas se produisait, justement.

« D’accord, dit-il, mais c’est moi qui conduis. »

Il balança un coup de botte à un mage sur le point d’achever un sortilège de Ligature et sauta sur le balai, lequel piqua du nez pour plonger dans la cage d’escalier avant de se retourner sens dessus dessous, au grand dam d’un Rincevent horrifié qui se retrouva les yeux dans les yeux avec un Frère de Minuit.

Il glapit et d’un coup de poignet convulsif imprima un mouvement de torsion au guidon.

Plusieurs choses se passèrent en même temps. Le balai bondit en avant et traversa le mur dans une pluie de miettes ; le Bagage se précipita et mordit le Frère à la jambe ; et dans un drôle de sifflement, une flèche surgit de nulle part et manqua Rincevent de quelques centimètres pour venir se ficher avec un claquement sourd dans le couvercle massif du Bagage. Le Bagage disparut.

* * *

Dans un petit village au fin fond de la forêt, un vieux shaman jeta quelques brindilles pour entretenir son feu et considéra à travers la fumée la mine penaude de son apprenti.

« Une boîte avec des jambes ? fit-il.