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— Oui, maître. Elle est sortie du ciel et m’a regardé, dit l’apprenti.

— Elle avait des yeux, alors, cette boîte ?

— N…» commença l’apprenti qui s’arrêta, gêné. Le vieillard fronça les sourcils.

« Beaucoup ont vu Topaxci, dieu du Champignon Rouge, ce qui leur vaut d’être appelés shamans, dit-il. Certains ont vu Skelde, esprit de la fumée, et on les qualifie de mages. Quelques-uns ont eu le privilège de voir Umcherrel, l’âme de la forêt, et on les désigne sous le nom de maîtres de l’esprit. Mais aucun n’a vu de boîte avec des centaines de jambes qui regardait sans avoir d’yeux ; ceux-là, on les aurait traités d’id…»

L’interruption avait pour cause un brusque hurlement strident accompagné d’une rafale de neige et d’étincelles qui dispersa le feu à travers la hutte sombre ; le temps d’une brève vision floue, puis le mur d’en face vola en éclats et l’apparition s’évanouit.

Il y eut un long silence. Suivi d’un autre légèrement plus court. Le vieux shaman hasarda alors : « Tu n’as pas vu passer deux hommes la tête en bas sur un balai, qui braillaient et se criaient dessus, n’est-ce pas ? »

Le jeune garçon le regarda avec assurance. « Sûrement pas. »

Le vieillard poussa un soupir de soulagement. « Dieu soit loué, dit-il. Moi non plus. »

* * *

La maisonnette était en pleine pagaïe, parce que les mages voulaient à la fois poursuivre le balai et empêcher les concurrents de le faire, ce qui provoqua plusieurs incidents regrettables. Le plus spectaculaire et à coup sûr le plus tragique se produisit lorsqu’un Voyant tenta d’utiliser ses bottes de sept lieues sans respecter le bon ordre des sortilèges et des préparatifs. Les bottes de sept lieues, la chose a déjà été évoquée, sont dans le meilleur des cas une forme de magie délicate, et le mage se souvint trop tard qu’il convient de prendre les plus grandes précautions dans l’emploi d’un moyen de transport dont l’efficacité dépend en définitive de la manière adéquate de poser un pied trente kilomètres devant l’autre.

* * *

Les premières tempêtes de neige d’hiver faisaient rage ; une couche de nuages bizarrement épaisse couvrait une grande partie du Disque. Et cependant, vu de l’espace à la lumière argentée de la lune minuscule, le Disque-monde offrait l’un des plus beaux spectacles du multivers.

De grands serpentins brumeux, sur des centaines de kilomètres, tourbillonnaient de la cataracte du Bord aux montagnes du Moyeu. Dans le froid silence de cristal, l’immense spirale blanche glacée scintillait sous les étoiles en tournant imperceptiblement, comme si Dieu venait de remuer son café avant d’y verser la crème.

Rien ne troublait cet admirable panorama qui…

Au loin, quelque chose de petit creva la couche nuageuse, des lambeaux de vapeur dans son sillage. Dans le calme stratosphérique, les éclats d’une querelle fusèrent, haut et clair.

« Tu disais que tu savais piloter ces engins-là !

— Non, je n’ai pas dit ça ; j’ai seulement dit que toi, tu ne savais pas.

— Mais je ne suis encore jamais monté là-dessus !

— Quelle coïncidence !

— En tout cas, tu as dit… Regarde le ciel !

— Non, je n’ai pas dit ça !

— Qu’est-ce qui est arrivé aux étoiles ? »

Et c’est ainsi que Rincevent et Deuxfleurs furent les deux premières personnes du Disque à voir ce que réservait l’avenir.

À mille cinq cents kilomètres derrière eux, la montagne du Moyeu, Cori Celesti, poignardait le ciel et projetait une ombre luisante comme une lame de couteau sur les nuages bouillonnants ; les dieux auraient donc dû remarquer quelque chose eux aussi, mais il n’est pas dans leurs habitudes d’observer le firmament et de toute façon ils étaient en procès avec les Géants des Glaces, qui avaient refusé de baisser la radio.

Vers le Bord, dans le sens de la progression de la Grande A’Tuin, les étoiles avaient disparu du ciel.

Dans ce cercle de ténèbres, il n’en restait qu’une, rouge et sinistre, une étoile qui rappelait l’étincelle de haine dans l’orbite d’un vison enragé. Petite, terrible, impitoyable. Et le Disque se dirigeait droit sur elle.

Rincevent savait exactement que faire en pareille circonstance. Il se mit à hurler et lança le manche à balai en piqué.

* * *

Galder Ciredutemps, debout au centre de l’octogramme, leva les mains.

« Urshalo, dileptor, c’hula, que mes ordres soient exécutés ! »

Un halo de brume se forma au-dessus de sa tête. Il jeta un coup d’œil en coin à Trymon, qui boudait à la limite du cercle magique.

« Ce qui va suivre est très impressionnant, dit-il. Regardez ! Kot-b’hai ! Kot-sham ! Venez à moi, ô esprits des petits cailloux isolés et des souris soucieuses de six centimètres minimum !

— Quoi ? fit Trymon.

— Cette partie-là m’a demandé beaucoup de recherches, convint Galder, surtout les souris. Bon, où en étais-je ? Ah, oui…»

Il leva à nouveau les bras. Trymon l’observa et se passa une langue affolée sur les lèvres. Le vieil imbécile se concentrait vraiment, consacrait tout son esprit au sortilège et ne lui prêtait plus guère attention.

Des paroles magiques roulaient tout autour de la pièce, rebondissaient sur les murs et filaient hors de vue derrière des étagères et des bocaux. Trymon hésitait.

Galder ferma un instant les yeux ; un masque d’extase se peignit sur son visage lorsqu’il prononça le mot ultime.

Trymon se tendit, ses doigts se crispèrent encore sur le couteau. Et Galder ouvrit un œil, branla du chef dans sa direction et expédia une décharge magique latérale qui souleva son cadet pour le projeter les quatre fers en l’air contre le mur.

Galder lui adressa un clin d’œil et leva une fois de plus les bras.

« Venez à moi, ô esprits de…»

Il y eut un coup de tonnerre, une implosion de lumière et un instant de complète incertitude physique durant lequel même les murs parurent se retourner par en-dedans. Trymon entendit une brève inspiration puis le choc sourd d’un objet dur.

Le silence tomba soudain dans la pièce.

Au bout de quelques minutes, Trymon sortit en rampant de derrière un fauteuil et s’épousseta. Il sifflota quelques mesures de pas grand-chose et prit la direction de la porte avec un luxe de précautions, les yeux au plafond comme s’il le voyait pour la première fois. À sa façon d’avancer, on aurait dit qu’il s’attaquait au record du monde de vitesse, catégorie marche nonchalante.

Le Bagage, ramassé au centre du cercle, ouvrit son couvercle.

Trymon s’arrêta. Il se retourna très, très lentement, redoutant ce qu’il risquait de voir.

Le Bagage contenait apparemment du linge propre qui sentait légèrement la lavande. D’une certaine manière, c’était la vision la plus terrifiante que le mage ait jamais connue.

« Ben, euh… fit-il. Vous, hum… n’auriez pas vu un autre mage dans les parages, des fois ? »

Le Bagage trouva moyen de se donner un air encore plus menaçant.

« Ah, fit Trymon. Bon, très bien. Aucune importance. »

Il tira distraitement sur l’ourlet de sa robe et se prit d’un subit intérêt pour le détail de sa couture. Quand il releva les yeux, l’horrible coffre était toujours là.

« Au revoir », et il courut. Il réussit à passer la porte juste à temps.

* * *

« Rincevent ? » Rincevent ouvrit les yeux. Ça ne l’avançait guère, en fait : au lieu de ne voir que du noir, il ne voyait que du blanc, ce qui, étrangement, était pire. « Tu vas bien ?

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