Выбрать главу

Underhill savait parfaitement que le Capitaine Wow trouvait ses idées stupides. Ce qu’il appréciait, c’était la structure émotionnelle amicale d’Underhill, la chaleur et l’éclat sardonique qui transparaissaient dans ses pensées inconscientes, la gaieté avec laquelle Underhill affrontait le danger. Les mots, les livres d’histoire, les idées, la science – Underhill pouvait sentir en lui tout cela comme autant de concepts inutiles reflétés par l’esprit du Capitaine Wow.

West regarda Underhill : « Je parie que vous avez mis de la colle sur les jetons. »

— « Non ! »

Il se sentit rougir jusqu’aux oreilles. Durant son noviciat, il avait essayé de tricher au cours du tirage au sort, parce qu’il appréciait tout particulièrement une Partenaire, une jeune mère adorable nommée Murr. Il était si facile de travailler avec Murr et elle était si affectueuse avec lui qu’il en oubliait que le Boute-Lumière était un dur travail et qu’on ne lui avait pas demandé de prendre du bon temps avec sa Partenaire. Tous deux étaient faits pour aller ensemble dans de mortels combats.

Une seule tricherie avait suffi. Les autres s’en étaient aperçu et ils en avaient ri pendant des années.

Papa Moontree s’empara de la coupe en imitation-cuir et brassa les jetons de pierre qui désignaient les Partenaires. Par droit d’ancienneté, il tira le premier.

Il fit une grimace. Il avait tiré un vieux personnage rapace, un mâle endurci à l’esprit rempli d’images envahissantes de nourriture, de véritables océans de poisson à demi pourri. Papa Moontree avait dit une fois qu’il était pris de nausée devant l’huile de foie de morue pendant des semaines après avoir été avec cet extraordinaire glouton, tant était puissante l’image télépathique de poisson qu’il laissait dans son esprit. Néanmoins, le glouton était aussi avide pour le danger que pour le poisson. Il avait déjà anéanti soixante-trois Dragons, plus que tout autre Partenaire du service, et il valait littéralement son poids d’or.

Ensuite, ce fut le tour de la petite fille nommée West. Le Capitaine Wow lui échut. Elle sourit.

— « Je l’aime, » dit-elle. « C’est si amusant de combattre avec lui. Il est si beau et si doux dans mon esprit. »

— « Ouais, ouais, » dit Woodley. « Moi aussi j’ai été avec lui. C’est l’esprit le plus vicieux de ce vaisseau, plus que tous les autres. »

— « Méchant homme, » dit la petite fille. Elle dit cela comme une constatation, sans reproche.

Underhill eut un frisson en la regardant. Il ne comprenait pas comment elle pouvait accepter le Capitaine Wow avec tant de calme. Le Capitaine Wow était vraiment vicieux. Quand il s’excitait au milieu du combat, des images confuses de Dragons, de Rats féroces et de lits douillets se mêlaient à l’odeur du poisson et au choc de l’espace, dans leurs esprits liés qui devenaient alors un fantastique mélange d’être humain et de chat persan.

C’était là l’ennui avec les chats, songea Underhill.

Il était regrettable qu’aucun autre animal ne pût servir de Partenaire. Les chats se comportaient très bien lorsqu’on les abordait télépathiquement. Ils étaient assez intelligents pour répondre aux exigences du combat, mais leurs désirs et leurs motifs étaient totalement différents de ceux des humains. Ils restaient des compagnons tant que l’on émettait des pensées tangibles, mais leur esprit se refermait dans l’inconscience dès qu’on leur récitait du Shakespeare ou du Colegrove, ou si l’on tentait de leur expliquer la nature de l’espace.

Il était étrange de se dire que les Partenaires farouches et endurcis de l’espace étaient ces mêmes petits animaux dont les hommes, sur Terre, avaient fait leurs compagnons depuis des siècles. Plus d’une fois, Underhill s’était retrouvé en train de saluer réglementairement des chats ordinaires non-télépathes, oubliant qu’ils n’étaient pas des Partenaires.

Il prit la coupe et tira un jeton.

Il avait de la chance. Il était tombé sur Dame May.

Dame May était l’un des Partenaires les plus intelligents qu’il eût rencontré. L’évolution psychique du chat persan atteignait chez elle un sommet. Elle était beaucoup plus complexe que nombre de femmes humaines, mais cette complexité n’était faite que d’émotions, de souvenirs, d’espoirs et d’expérience acquise sans le concours des mots.

Lorsqu’il s’était trouvé pour la première fois en contact avec son esprit, il s’était étonné de sa clarté. Avec elle, il se souvenait de son enfance de chaton. Il se rappelait chaque expérience amoureuse qu’elle avait vécue. Il pouvait discerner, presque reconnaissables, tous les autres Boute-Lumière avec qui elle avait déjà combattu. Et il se voyait lui-même en elle, radieux, adorable, désirable.

Il pensait avoir souvent décelé l’ombre d’un regret…

Une pensée triste et douce : quel dommage qu’il ne soit pas un chat.

Woodley tira le dernier. Il eut ce qu’il méritait : un vieux matou farouche et maussade, dépourvu de la verve du Capitaine Wow. Le Partenaire de Woodley était le plus animal de tous les chats du vaisseau. C’était une brute à l’esprit élémentaire. Même la télépathie n’avait pas affiné son caractère. Ses oreilles étaient toutes déchiquetées des premiers combats auxquels il avait participé.

C’était un combattant efficace, rien de plus.

Woodley grogna. Underhill lui jeta un regard songeur : Woodley faisait-il jamais autre chose que grogner ?

Papa Moontree dévisagea ses compagnons. « Vous feriez bien de prendre vos Partenaires, maintenant. Je vais dire au Sondeur que nous sommes prêts pour le Grand Extérieur. »

L’engagement

Underhill ouvrit la serrure à combinaison de la cage de Dame May. Doucement, il l’éveilla et la prit dans ses bras. Elle fit le gros dos, langoureusement, sortit ses griffes, commença à ronronner, puis se ravisa et lui lécha le poignet. Le tableau n’était pas branché et leurs esprits étaient encore fermés l’un à l’autre, mais à l’inclinaison de sa moustache et au mouvement de ses oreilles, il comprit la satisfaction qu’elle éprouvait à être sa Partenaire.

Il lui parla en langage humain, bien que celui-ci ne signifiât rien pour un chat tant que le tableau n’était pas branché.

— « Quelle honte, envoyer une jolie petite chose comme toi voltiger dans le froid du néant à la chasse aux Rats, qui sont plus gros et plus forts que nous tous. Tu n’as jamais demandé à faire ce travail, non ? »

En guise de réponse, elle lui lécha la main, ronronna, taquina sa joue de sa longue queue fournie, se retourna et le regarda de ses yeux dorés.

Pendant un instant, ils restèrent ainsi, l’homme accroupi, la chatte dressée sur ses pattes arrière, les griffes s’enfonçant dans ses genoux. Les yeux de l’homme et ceux de la chatte franchissaient une immensité où les mots ne pouvaient s’aventurer, et leur affection se fondait en un seul regard.

— « C’est le moment, » dit-il.

Elle marcha docilement jusqu’à son engin sphérique et monta à bord. Il veilla à ce que le tableau miniature fût fermement et confortablement appuyé à la base de son crâne. Il s’assura que les griffes étaient protégées pour qu’elle ne risquât pas de se déchirer elle-même dans l’ardeur du combat.

Doucement, il demanda :

« Prêt ? »

Pour toute réponse, elle se courba autant que son harnachement le lui permettait et ronronna doucement dans son habitacle. Il abaissa le capot et vérifia l’étanchéité du joint. Pendant plusieurs heures, elle serait ainsi confinée dans le projectile jusqu’à ce qu’un homme vienne la délivrer avec un petit appareil à arc, une fois sa tâche terminée.