Il prit le projectile et le glissa dans le tube d’éjection. Il referma la porte, verrouilla le tube et prit place dans son propre fauteuil. Il brancha son tableau de projection et, une nouvelle fois, pressa le contact.
Il était assis dans une petite pièce. Petite, petite, petite. Tiède, tiède, tiède. Les corps des trois autres hommes se déplaçaient tout près de lui. Les lumières étaient nettes au plafond, brillantes et lourdes sur ses paupières closes.
Comme le tableau se réchauffait, la pièce s’estompa. Les autres cessèrent d’exister pour n’être plus que d’infimes traces de feu, brandons, cendres rougeoyantes, avec la conscience de la vie comme un tison dans une cheminée de campagne.
Comme le tableau se réchauffait un peu plus, il sentit la Terre au-dessous de lui, le vaisseau qui glissait, la Lune qui tournoyait en contournant le monde. Il sentit les planètes et la caresse chaude et claire du Soleil qui maintenait les Dragons à l’écart du monde des hommes.
Enfin, il atteignit la perception totale.
Il vivait, télépathiquement, sur des millions de kilomètres. Il percevait la poussière qu’il avait déjà décelée, loin au-dessus de l’écliptique. Avec tendresse et satisfaction, il sentit la conscience de Dame May pénétrer la sienne. Une conscience aussi tendre et claire, aussi nette qu’un parfum. Il perçut la détente et le calme. Elle l’accueillait. C’était à peine une pensée, plutôt une sensation d’amitié pure.
De nouveau, ils ne faisaient plus qu’un.
Dans un recoin minuscule de son esprit, minuscule comme le plus petit des jouets de son enfance, il percevait encore la salle et le vaisseau et Papa Moontree qui prenait le téléphone et parlait au Capitaine Sondeur du vaisseau.
Son esprit perçut l’idée bien avant que les mots parviennent à ses oreilles. Le son véritable suivait l’idée comme le tonnerre suit l’éclair depuis l’océan jusqu’à la plage.
— « Salle de Combat prête, Capitaine. Paré à planoformer. »
Le Jeu
Underhill était toujours un peu agacé par la façon dont Dame May devinait les choses avant lui.
Il était prêt à l’aigre sensation du planoforme, mais il perçut sa sensation à elle bien avant que ses propres nerfs enregistrent le fait.
La Terre était déjà si loin que, pour quelques millisecondes, il fut désemparé, avant de découvrir le Soleil dans le coin supérieur droit de son panorama télépathique.
C’était un saut considérable, se dit-il. À cette vitesse, ils en auraient fini en quatre ou cinq bonds.
Dame May, à quelques centaines de kilomètres du vaisseau, lui dit : « Ô doux, ô généreux, ô homme gigantesque ! Ô brave, ô ami, ô tendre et vaste Partenaire ! Ô comme il est merveilleux d’être avec toi, avec toi si bon, si bon, si tendre, tendre pour combattre, pour aller de l’avant. C’est si bon avec toi…»
Il savait qu’elle ne pensait pas des mots, que son esprit percevait simplement le flot venant de l’intellect de la chatte et le traduisait en images qu’il pouvait comprendre et enregistrer.
Mais le jeu des démonstrations d’affection mutuelle ne les absorbait pas totalement. Il s’en éloigna pour voir si rien ne se trouvait à proximité du vaisseau. Il était étrange de s’apercevoir que l’on pouvait faire deux choses à la fois. Il pouvait sonder l’espace avec son esprit tout en saisissant au même instant une pensée vagabonde émanant de la chatte, pensée de regret, affectueuse et aimante, pour un fils à la tête dorée, à la poitrine couverte d’une fourrure extraordinairement blanche et douce.
Comme il continuait de chercher, il entendit son avertissement. Nous sautons encore !
Ils sautèrent. Pour la seconde fois, le vaisseau planoforma. Les étoiles furent différentes. Le Soleil, immensément loin derrière eux. Même les étoiles les plus proches étaient difficilement perceptibles. C’était vraiment là le domaine des Dragons, le vide profond et hostile de l’espace. Il sonda encore plus loin, encore plus vite, essayant de deviner le danger, prêt à projeter Dame May vers le combat, n’importe où.
La terreur envahit son esprit, si nette et si claire que ce fut comme un choc physique.
La petite fille nommée West avait découvert quelque chose, quelque chose d’immense, long, noir, aigu, avide et horrible. Elle lança le Capitaine Wow dans cette direction.
Underhill essaya de garder l’esprit clair. « Attention ! » lança-t-il télépathiquement aux autres tout en essayant de déplacer Dame May.
Dans un coin de la zone de combat, il décela la rage perverse du Capitaine Wow, tandis que le gros chat persan faisait exploser les bombes de lumière aux approches de la bande de poussière qui menaçait le vaisseau et ses passagers.
Les lumières passèrent à côté de la cible.
La poussière s’aplatit, passa de la forme d’un dard à celle d’une lance.
Il ne s’était pas écoulé plus de trois millisecondes.
Papa Moontree parlait. Il disait, d’une voix qui était comme de la mélasse gelée : « C.A.P.I.T.A.I.N.E…» Underhill savait qu’il allait dire : « Capitaine, vite ! »
Mais la bataille serait finie avant que Papa Moontree ait achevé sa phrase.
À présent, après une fraction de milliseconde, Dame May était directement en ligne.
C’était là qu’intervenaient le talent et la vitesse des Partenaires. Elle pouvait réagir plus vite que lui. Elle pouvait voir la menace comme un Rat immense accourant vers elle.
Elle pouvait lancer les bombes de lumière avec une précision dont il manquait.
Bien que lié à son esprit, il ne pouvait la suivre.
Sa conscience absorba la blessure déchirante infligée par l’ennemi étranger. C’était une blessure comme il ne pouvait en exister sur Terre, éveillant une douleur pure et folle qui commençait comme une brûlure à son nombril. Il voulut s’agiter dans son fauteuil. Mais en fait, il n’avait pas encore eu le temps de bouger un seul muscle quand Dame May répliqua à l’ennemi.
Cinq bombes photonucléaires régulièrement espacées explosèrent sur cent mille kilomètres. La douleur reflua de son corps et de son esprit.
Il perçut l’excitation morbide, puissante et terrible de l’esprit de Dame May comme elle achevait la destruction. Les chats étaient presque toujours déçus de voir que les ennemis qu’ils percevaient comme d’immenses Rats de l’espace disparaissaient au moment de leur destruction.
Puis il capta la douleur, la souffrance et la peur qui déferlaient sur eux en même temps que prenait fin la bataille, qui s’était déroulée en un clin d’œil. Dans le même instant, il y eut l’impulsion acide, aiguë du planoforme. Une nouvelle fois, le vaisseau avait bondi.
Il put entendre Woodley qui pensait à son intention : « Ne vous en faites pas. Ce vieux gredin et moi allons vous remplacer un moment. »
Deux fois encore, il y eut l’impulsion, le bond.
Il n’avait aucune idée de l’endroit où ils pouvaient être jusqu’à ce qu’il vît les lumières du terrain spatial de Calédonie qui brillaient au-dessous. Avec une lassitude qui transcendait les limites de sa pensée, il ramena son esprit au tableau. Doucement, soigneusement, il prit le projectile de Dame May dans le tube d’éjection.
Elle était à demi morte de fatigue mais il pouvait sentir battre son cœur, il pouvait entendre son souffle haletant, et il saisit l’ombre d’un remerciement affectueux dans son esprit.
Le score
Ils l’installèrent à l’hôpital de Calédonie.