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– Il a pourtant des relations très sérieuses.

– Qu’importe? Mademoiselle Blanche aussi!… Or, il y a trois ans, sur la demande de la baronne en question, mademoiselle Blanche a été invitée par la police à quitter la ville, – et c’est ce qu’elle fit.

– Comment?…

– Elle était arrivée ici avec un certain prince italien décoré d’un nom historique, – quelque chose comme… Barbarini, – un homme tout constellé de bijoux, de pierreries très authentiques. Il sortait dans un magnifique attelage. Mademoiselle Blanche jouait au trente-et-quarante, d’abord avec succès, puis avec chance contraire. Un soir, elle perdit une grosse somme. Mais le vrai malheur, c’est que le lendemain matin le prince disparut, et avec lui disparurent chevaux et voitures. La note de l’hôtel s’élevait à un chiffre énorme. Mademoiselle Zelma, – au lieu de madame Barbarini, elle était devenue mademoiselle Zelma, – était dans un désespoir extrême. Elle pleurait, criait, et, dans sa rage, déchirait ses vêtements. Il y avait dans le même hôtel un comte polonais. À l’étranger, tous les Polonais sont comtes. Mademoiselle Zelma, qui lacérait ses robes et se déchirait le visage de ses ongles roses et parfumés, produisit sur lui une certaine impression. Ils eurent un entretien, et, à l’heure du dîner, elle était consolée. Le soir, le comte polonais se montra dans les salons de jeu ayant à son bras mademoiselle Zelma. Elle riait très haut, comme à l’ordinaire, plus libre même que d’habitude dans ses manières. Elle était de la catégorie de ces joueuses qui, à la roulette, écartent de vive force les gens assis, pour se faire place. C’est le chic particulier de ces dames; vous l’aurez certainement remarqué.

– Oh! oui.

– Elle joua et perdit plus encore que la veille… Pourtant ces dames sont ordinairement heureuses au jeu, comme vous le savez. Elle eut un sang-froid étonnant… D’ailleurs, mon histoire finit là. Le comte disparut comme le prince, un beau matin, sans prendre congé. Le soir de ce jour-là, mademoiselle Zelma vint seule au jeu et ne rencontra pas de cavalier de bonne volonté. En deux jours elle fut «nettoyée». Quand elle eut perdu son dernier louis, elle regarda autour d’elle et aperçut à ses côtés le baron Wourmergelm, qui la considérait très attentivement et avec une indignation profonde. Elle ne prit pas garde à cette indignation, décocha au baron un sourire de circonstance et le pria de mettre pour elle dix louis sur la rouge. La baronne se plaignit, et, le soir même, mademoiselle Zelma recevait la défense de paraître désormais à la roulette. Vous vous étonnez que je sois au fait de toute cette chronique scandaleuse? Je la tiens d’un de mes parents, M. Fider, qui conduisit mademoiselle Zelma, dans sa voiture, de Roulettenbourg à Spa. Maintenant, elle veut devenir «générale», probablement! pour éviter les notifications de la police. Elle ne joue plus, elle doit prêter sur gages aux joueurs. C’est beaucoup plus lucratif. Je soupçonne même que le pauvre général est son débiteur, et peut-être aussi de Grillet, à moins que ce dernier ne soit, au contraire, son associé. Vous comprenez maintenant qu’elle doit éviter, au moins jusqu’à son mariage, d’attirer l’attention de la baronne et du baron.

– Non, je ne comprends pas! criai-je en frappant de toutes mes forces sur la table, de sorte qu’un garçon accourut tout effaré. Dites-moi, monsieur Astley, si vous saviez depuis longtemps toute cette histoire et, par conséquent, qui est mademoiselle Blanche de Comminges, pourquoi n’avez-vous prévenu ni moi, ni le général, ni surtout, surtout, mademoiselle Paulina, qui se montre à la gare, en public, avec mademoiselle Blanche, bras dessus bras dessous? Est-ce admissible?

– Je n’avais pas à vous prévenir, vous ne pouviez rien changer à la situation, répondit tranquillement M. Astley; du reste, de quoi vous prévenir? Le général connaît peut-être miss Blanche mieux que je ne la connais, et il se promène pourtant avec elle et avec miss Paulina. C’est un bien pauvre homme, ce général. J’ai vu hier miss Blanche sur un beau cheval, en compagnie de De Grillet et du prince russe, tandis que le général suivait à quelque distance. Le matin, je lui avais entendu dire qu’il avait mal aux jambes; il se tenait bien en selle pourtant. D’ailleurs, tout cela ne me regarde pas; il n’y a pas longtemps que j’ai l’honneur de connaître miss Paulina. Enfin, je vous ai déjà dit que je ne vous reconnais pas le droit de me poser certaines questions, quoique je vous aime sincèrement.

– Bien! dis-je en me levant. Il est pour moi clair comme le jour que mademoiselle Paulina sait tout ce qui concerne mademoiselle Blanche, mais qu’elle ne peut se séparer de son Français, et que c’est pour cette raison qu’elle consent à la compagnie de mademoiselle Blanche. Aucune autre influence ne peut l’y déterminer; et c’est sous cette influence aussi qu’elle me suppliait de ne pas toucher le baron, après m’avoir pourtant elle-même excité contre lui! Du diable si j’y comprends quelque chose!

– Vous oubliez d’abord que cette miss de Comminges est la fiancée du général et que miss Paulina a un frère et une sœur, les enfants du général dont elle est la pupille. Ces enfants sont abandonnés par ce fou et ne manqueront pas d’être exploités.

– Oui, oui, c’est cela. Abandonner les enfants, c’est les perdre; rester, c’est veiller à leurs intérêts, et sauver peut-être une partie de leur fortune. Oui, oui; mais tout de même… Oh! je comprends maintenant qu’ils s’intéressent tous à la santé de la babouschka.

– De qui parlez-vous?

– De cette vieille sorcière de Moscou qui se meurt. On attend impatiemment une dépêche annonçant que c’est chose faite, que la vieille est morte.

– En effet, tout l’intérêt se concentre sur elle. Tout gît dans l’héritage. Aussitôt que le testament sera ouvert, le général se mariera, miss Paulina sera libre et de Grillet…

– Eh bien! de Grillet?

– On lui payera tout ce qu’on lui doit, et il ne reste ici que pour être payé.

– Seulement pour être payé? Vous pensez?

– Je ne sais rien de plus.

– Eh bien! moi, j’en sais davantage! Il attend aussi sa part de l’héritage, car alors Paulina aura une dot et se jettera aussitôt à son cou. Toutes les femmes sont ainsi; les plus orgueilleuses deviennent les plus viles esclaves. Paulina n’est capable que d’aimer passionnément; voilà mon opinion sur elle. Regardez-la, quand elle est seule, plongée dans ses pensées. Il y a en elle quelque chose de fatal, d’irrémédiable, de maudit. Elle est capable de tous les excès de la passion… Elle… elle… Mais qui m’appelle? m’écriai-je tout à coup. Qui est-ce qui crie? J’ai entendu crier en russe: Alexeï Ivanovitch! Une voix de femme, entendez-vous? Entendez-vous?

En ce moment, nous approchions de l’hôtel. Nous avions quitté le café depuis longtemps sans nous en apercevoir.

– En effet, j’ai entendu une voix de femme, mais je ne sais qui elle appelle. Maintenant je vois d’où viennent ces cris, dit M. Astley en m’indiquant notre hôtel. C’est une femme assise dans un grand fauteuil que plusieurs laquais viennent de déposer sur le perron. On apporte des malles. Elle vient sans doute d’arriver.