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Brusquement, Madame changea de tactique, se fit plus douce, presque caressante avec l’incorruptible douanier, et, s’approchant de lui de façon à l’hypnotiser de son haleine et de ses parfums, elle supplia tout bas:

– Éloignez ces gens, je vous en prie… Et j’ouvrirai l’écrin…

Le gabelou crut, sans doute, que Madame lui tendait un piège. Il hocha sa vieille tête obstinée et méfiante:

– En voilà assez, des manières… Tout ça, c’est de la frime… Ouvrez l’écrin…

Alors, confuse, rougissante, mais résignée, Madame prit dans son porte-monnaie une toute petite, une toute mignonne clé d’or, et, tâchant à ce que le contenu en demeurât invisible à la foule, elle ouvrit l’écrin de velours rouge, que le douanier lui présentait, solidement tenu dans ses mains. Au même instant, le douanier fit un bond en arrière, effaré, comme s’il avait eu peur d’être mordu par une bête venimeuse.

– Nom de Dieu!… jura-t-il.

Puis, le premier moment de stupéfaction passé, il cria avec un mouvement du nez, rigolo:

– Fallait le dire que vous étiez veuve!

Et il referma l’écrin, pas assez vite toutefois, pour que les rires, les chuchotements, les paroles désobligeantes, et même les indignations qui éclatèrent dans la foule, ne vinssent démontrer à Madame que «ses bijoux» n’avaient été parfaitement aperçus des voyageurs…

Madame fut gênée… Pourtant, je dois reconnaître qu’elle montra une certaine crânerie, en cette circonstance plutôt difficile… Ah! vrai! elle ne manquait pas d’effronterie… Elle m’aida à remettre de l’ordre dans la malle bouleversée. Et nous quittâmes la salle, sous les sifflets, sous les rires insultants de l’assistance.

Je l’accompagnai jusqu’à son wagon, portant le sac où elle avait remisé l’écrin fameux… Un moment, sur le quai, elle s’arrêta, et avec une impudence tranquille, elle me dit:

– Dieu que j’ai été bête!… J’aurais dû déclarer que l’écrin vous appartenait.

Avec la même impudence, je répondis:

– Je remercie beaucoup Madame. Madame est très bonne pour moi… Mais moi, je préfère me servir de ces «bijoux-là»… au naturel…

– Taisez-vous!… fit Madame, sans fâcherie… Vous êtes une petite sotte…

Et elle alla retrouver, dans le wagon, Coco qui ne se doutait de rien…

Du reste, Madame n’avait pas de chance. Soit effronterie, soit manque d’ordre, il lui arrivait souvent des histoires pareilles ou analogues. J’en aurais quelques-unes à raconter qui, sous ce rapport, sont des plus édifiantes… Mais il y a un moment où le dégoût l’emporte, où la fatigue vous vient de patauger sans cesse dans de la saleté… Et puis, je crois que j’en ai dit assez sur cette maison, qui fut pour moi le plus complet exemple de ce que j’appellerai le débraillement moral. Je me bornerai à quelques indications.

Madame cachait dans un des tiroirs de son armoire une dizaine de petits livres, en peau jaune, avec des fermoirs dorés… des amours de livres, semblables à des paroissiens de jeune fille. Quelquefois, le samedi matin, elle en oubliait un sur la table, près de son lit… ou bien dans le cabinet de toilette, parmi les coussins… C’était plein d’images extraordinaires… Je ne joue pas les saintes-nitouches, mais je dis qu’il faut être rudement putain pour garder chez soi de pareilles horreurs, et pour s’amuser avec. Rien que d’y penser, j’en ai chaud… Des femmes avec des femmes, des hommes avec des hommes… sexes mêlés, confondus dans des embrassements fous, dans des ruts exaspérés… Des nudités dressées, arquées, bandées, vautrées, en tas, en grappes, en processions de croupes soudées l’une à l’autre par des étreintes compliquées et d’impossibles caresses… Des bouches en ventouse comme des tentacules de pieuvre, vidant les seins, épuisant les ventres, tout un paysage de cuisses et de jambes, nouées, tordues comme des branches d’arbres dans la jungle!… Ah! non!…

Mathilde, la première femme de chambre, chipa un de ces livres… Elle supposait que Madame n’aurait pas le toupet de le lui réclamer… Madame le lui réclama pourtant… Après avoir fouillé ses tiroirs, cherché partout, en vain, elle dit à Mathilde:

– Vous n’avez pas vu un livre dans la chambre?

– Quel livre, Madame?

– Un livre jaune…

– Un livre de messe, sans doute?

Elle regarda bien en face Madame, qui ne se déconcerta pas, et elle ajouta:

– Il me semble en effet que j’ai vu un livre jaune avec un fermoir doré sur la table, près du lit, dans la chambre de Madame…

– Eh bien?

– Eh bien, je ne sais pas ce que Madame en a fait…

– L’avez-vous pris?…

– Moi, Madame?…

Et avec une insolence magnifique:

– Ah! non… alors! cria-t-elle… Madame ne voudrait pas que je lise de pareils livres!

Cette Mathilde, elle était épatante!… Et Madame n’insista plus.

Et tous les jours, à la lingerie, Mathilde disait:

– Attention!… Nous allons dire la messe…

Elle tirait de sa poche le petit livre jaune et nous en faisait la lecture, malgré les protestations de la gouvernante anglaise qui bêlait: «Taisez-vous… vous êtes de malhonnêtes filles» et qui, durant des minutes, l’œil agrandi sous les lunettes, s’écrasait le nez contre les images qu’elle avait l’air de renifler… Ce qu’on s’est amusé avec ça!

Ah! cette gouvernante anglaise! Jamais je n’ai rencontré dans ma vie une telle pocharde, et si drôle. Elle avait l’ivresse tendre, amoureuse, passionnée, surtout avec les femmes. Les vices qu’elle cachait à jeun sous un masque d’austérité comique se révélaient alors en toute leur beauté grotesque. Mais ils étaient plus cérébraux qu’actifs, et je n’ai pas entendu dire qu’elle les eût jamais réalisés. Selon l’expression de Madame, Miss se contentait de se «réaliser» elle-même… Vraiment, elle eût manqué à la collection d’humanité loufoque et déréglée qui illustrait cette maison bien moderne…

Une nuit, j’étais de service, attendant Madame. Tout le monde dormait dans l’hôtel, et je restais, seule, à sommeiller pesamment dans la lingerie… Vers deux heures du matin, Madame rentra. Au coup de sonnette, je me levai et trouvai Madame dans sa chambre. Les yeux sur le tapis, et se dégantant, elle riait à se tordre:

– Voilà, une fois encore, Miss complètement ivre… me dit-elle…

Et elle me montra la gouvernante, vautrée, les bras allongés, une jambe en l’air, et qui, geignant, soupirant, bredouillait des paroles inintelligibles…

– Allons, fit Madame, relevez-la et allez la coucher…

Comme elle était fort lourde et molle, Madame voulut bien m’aider et c’est à grand’peine que nous parvînmes à la remettre debout.

Miss s’était accrochée des deux mains au manteau de Madame, et elle disait à Madame:

– Je ne veux pas te quitter… je ne veux plus jamais te quitter. Je t’aime bien… Tu es mon bébé. Tu es belle…

– Miss, répliquait Madame en riant, vous êtes une vieille pocharde… Allez vous coucher.