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– Approchez-vous un peu, ma petite… commanda la vieille… On dirait que vous avez peur de moi… Allons… n’ayez plus peur de moi… approchez-vous… Comme c’est curieux… il me semble que vous êtes déjà moins laide… Déjà je m’habitue à votre visage…

Louise s’approcha lentement, les membres raidis, diligente à ne heurter aucune chaise, aucun meuble… s’efforçant de marcher avec élégance, la pauvre créature!… Mais, à peine fut-elle près de la vieille que celle-ci la repoussa avec une grimace.

– Mon Dieu! cria-t-elle… mais qu’est-ce que vous avez?… Pourquoi sentez-vous mauvais, comme ça?… vous avez donc de la pourriture dans le corps?… C’est affreux!… c’est à ne pas croire… Jamais quelqu’un n’a senti, comme vous sentez… Vous avez donc un cancer dans le nez… dans l’estomac, peut-être?…

Mme Paulhat-Durand fit un geste noble:

– Je vous avais prévenue, Madame… dit-elle… Voilà son grand défaut… C’est ce qui l’empêche de trouver une place.

La vieille continua de gémir…

– Mon Dieu!… mon Dieu!… Est-ce possible?… Mais vous allez empester toute ma maison… vous ne pourrez pas rester près de moi… Ah! mais!… cela change nos conditions… Et moi qui avais, déjà, de la sympathie pour vous!… Non, non… malgré toute ma bonté, ce n’est pas possible… ce n’est plus possible!…

Elle avait tiré son mouchoir, chassait loin d’elle l’air putride, répétant:

– Non, vraiment, ce n’est plus possible!…

– Allons, Madame, intervint Mme Paulhat-Durand… faites un effort… Je suis sûre que cette malheureuse fille vous en sera toujours reconnaissante…

– Reconnaissante?… c’est fort bien… Mais ce n’est pas la reconnaissance qui la guérira de cette infirmité effroyable… Enfin… soit!… Par exemple, je ne puis plus lui donner que dix francs… Dix francs, seulement!… C’est à prendre ou à laisser…

Louise qui avait, jusque-là, retenu ses larmes, suffoqua:

– Non… je ne veux pas… je ne veux pas… je ne veux pas…

– Écoutez, Mademoiselle… dit sèchement Mme Paulhat-Durand… Vous allez accepter cette place… ou bien je ne me charge plus de vous, jamais… Vous pourrez aller demander des places dans les autres bureaux… J’en ai assez, à la fin… Et vous faites du tort à ma maison…

– C’est évident! insista la vieille… Et ces dix francs, vous devriez m’en remercier… C’est par pitié, par charité que je vous les offre… Comment ne comprenez-vous pas que c’est une bonne œuvre… dont je me repentirai, sans doute, comme des autres?…

Elle s’adressa à la placeuse:

– Qu’est-ce que vous voulez?… Je suis ainsi… je ne peux pas voir souffrir les gens… je suis bête comme tout devant les infortunes… Et ce n’est point à mon âge que je changerai, n’est-ce pas?… Allons, ma petite, je vous emmène…

Sur ces mots, une crampe me força de descendre de mon observatoire… Je n’ai jamais revu Louise…

Le surlendemain, Mme Paulhat-Durand me fit entrer cérémonieusement dans le bureau, et, après m’avoir examinée d’une façon un peu gênante, elle me dit:

– Mademoiselle Célestine… j’ai une bonne… très bonne place pour vous… Seulement, il faudrait aller en province… oh! pas très loin…

– En province?… Je n’y cours pas, vous savez…

La placeuse insista:

– On ne connaît pas la province… il y a d’excellentes places, en province…

– Oh! d’excellentes places… En voilà une blague! rectifiai-je… D’abord il n’y a pas de bonnes places, nulle part…

Mme Paulhat sourit, aimable et minaudière. Jamais je ne l’avais vue sourire ainsi:

– Je vous demande pardon, mademoiselle Célestine… Il n’y a pas de mauvaises places…

– Parbleu! je le sais bien… il n’y a que de mauvais maîtres…

– Non… que de mauvais domestiques… Voyons… Je vous donne des maisons, tout ce qu’il y a de meillieur, ce n’est pas de ma faute si vous n’y restez point…

Elle me regarda avec presque de l’amitié:

– D’autant que vous êtes très intelligente… Vous représentez… vous avez une jolie figure… une jolie taille… des mains charmantes, pas du tout abîmées par le travail… des yeux qui ne sont pas dans vos poches… Il pourrait vous arriver des choses heureuses… On ne sait pas toutes les choses heureuses qui pourraient vous arriver… avec de la conduite…

– Avec de l’inconduite… voulez-vous dire…

– Ça dépend des façons de voir… Moi, j’appelle ça de la conduite…

Elle s’amollissait… Peu à peu, son masque de dignité tombait… Je n’avais plus devant moi que l’ancienne femme de chambre, experte à toutes les canailleries… En ce moment, elle avait des yeux cochons, des gestes gras et mous, ce lapement en quelque sorte rituel de la bouche, qu’ont toutes les proxénètes et que j’avais observé aux lèvres de «Madame Rebecca Ranvet, Modes»… Elle répéta:

– Moi, j’appelle ça de la conduite.

– Ça, quoi? fis-je.

– Voyons, Mademoiselle… Vous n’êtes pas une débutante et vous connaissez la vie… On peut parler avec vous… Il s’agit d’un monsieur seul, déjà âgé… pas extrêmement loin de Paris… très riche… oui, enfin, assez riche… Vous tiendrez sa maison… quelque chose comme gouvernante… comprenez-vous?… Ce sont des places très délicates… très recherchées… d’un grand profit… Il y a là un avenir certain, pour une femme comme vous, intelligente comme vous, gentille comme vous… et qui aurait, je le répète, de la conduite…

C’était mon ambition… Bien des fois, j’avais bâti de merveilleux avenirs sur la toquade d’un vieux… et ce paradis rêvé était là, devant moi, qui souriait, qui m’appelait!… Par une inexplicable ironie de la vie… par une contradiction imbécile et dont je ne puis comprendre la cause, ce bonheur, tant de fois souhaité et qui s’offrait, enfin… je le refusai net.

– Un vieux polisson… oh non!… je sors d’en prendre… Et ils me dégoûtent trop les hommes, les vieux, les jeunes, et tous…

Mme Paulhat-Durand resta, quelques secondes, interdite… Elle ne s’attendait pas à cette sortie… Retrouvant son air digne, austère, qui mettait tant de distance entre la bourgeoise correcte qu’elle voulait être et la fille bohème que je suis, elle dit: