Je m'approchai alors du cabinet brisé. On y rangeait évidemment des objets de valeur; il contenait en effet quelques gros scarabées d'or, d'agate, de jaspe, d'améthyste, de lapis-lazuli, d'opale, de granit et de porcelaine céladon. Par bonheur aucun de ces objets n'avait été touché. La balle avait traversé le fond du cabinet; mais, à part le bris de la glace, aucun autre dommage n'avait été fait. Je ne pus m'empêcher de remarquer l'étrange disposition des objets sur la planche du cabinet. Tous les scarabées, bagues, amulettes, etc., étaient placés suivant un ovale irrégulier autour d'un objet d'or merveilleusement ciselé et représentant en miniature un dieu à tête de faucon couronné d'un disque et de plumes. Je ne pris pas le temps de procéder à un examen plus approfondi car mon attention était sollicitée par des sujets plus urgents; mais j'étais décidé à regarder tout cela de plus près dès que j'en aurais le temps. Il était évident qu'un peu de cet étrange parfum égyptien se dégageait encore de ces curiosités anciennes. À travers la vitre brisée venait une bouffée supplémentaire d'épices, de gommes et de bitume, presque plus forte que les odeurs que j'avais déjà remarquées comme venant d'autres objets de la pièce.
Mrs. Grant arriva et remonta les stores. Il aurait été difficile d'imaginer quelque chose de plus fantomatique que l'aspect de la chambre à la pâle lumière grise du petit matin. Comme les fenêtres étaient orientées au nord, toute lueur qui pénétrait dans la pièce était résolument grise sans rien du reflet rose de l'aurore qui se montre dans la partie est du ciel. Les lumières électriques éclairaient bien un peu mais paraissaient tristes; et toutes les ombres étaient fortement marquées. Il n'y avait rien de la fraîcheur du matin, rien de la douceur de la nuit. Tout était dur et froid, lugubre à un point inexprimable.
Ce fut pour nous un soulagement quand le docteur Winchester entra, tout essoufflé d'avoir couru. Il ne posa qu'une question:
– Est-ce que quelqu'un peut me dire la façon dont cette blessure a été infligée?
Voyant que tout le monde secouait la tête, il n'ajouta rien et se mit à son travail chirurgical. Pendant un instant, il regarda l'infirmière qui restait assise immobile; mais alors il se pencha sur son travail, les sourcils froncés avec gravité. Il ne se remit à parler que lorsque l'artère eut été ligaturée et les blessures complètement pansées; il avait naturellement prononcé quelques mots tout en opérant, pour demander qu'on lui passe un instrument ou qu'on l'aide d'une façon ou d'une autre. Lorsqu'il eut parfaitement soigné les blessures de Mr. Trelawny, il dit à Miss Trelawny:
– Et alors, Nurse Kennedy?
Elle répondit aussitôt:
– Je ne sais réellement pas. Quand je suis entrée dans la chambre à deux heures et demie, je l'ai trouvée assise exactement dans la même position qu'à présent. Nous ne l'avons pas bougée, nous ne l'avons pas changée de position. Elle ne s'est pas réveillée depuis. Même les coups de pistolet du sergent Daw ne l'ont pas dérangée.
– Des coups de pistolet? Avez-vous alors découvert une cause à ce nouvel acte de violence?
Comme ils restaient tous silencieux, je répondis:
– Nous n'avons rien découvert. J'étais dans la chambre, en train de veiller en même temps que l'infirmière. Plus tôt dans la soirée, je m'étais imaginé que les odeurs de momie me faisaient somnoler, si bien que je suis sorti pour aller acheter un masque respiratoire. Je l'avais sur moi quand j'ai pris mon service; mais il ne m'a pas empêché de m'endormir. Je me suis réveillé pour voir la chambre pleine de monde, c'est-à-dire, il y avait là Miss Trelawny, le sergent Daw et les domestiques. L'infirmière était assise dans son fauteuil dans la position où je l'avais vue. Le sergent Daw, qui n'était qu'à moitié réveillé et toujours frappé de stupeur par la même odeur ou la même influence qui nous avait incommodés, s'est imaginé qu'il voyait quelque chose bouger dans l'obscurité peuplée d'ombres de la chambre, et il a tiré deux coups de feu. Quand j'ai surgi de mon fauteuil, le visage masqué par l'appareil respiratoire, il m'a pris pour la cause de ce trouble. Il était sur le point, et cela est assez naturel, de tirer encore une fois, quand j'ai eu heureusement le temps de faire constater mon identité. Mr. Trelawny était couché à côté du coffre, exactement comme nous l'avons trouvé la nuit dernière; il saignait abondamment de la nouvelle blessure qu'il avait au poignet. Nous l'avons porté sur le sofa et nous avons installé un tourniquet. Voilà tout ce que, littéralement et absolument, nous savons les uns et les autres jusqu'à présent. Nous n'avons pas touché le couteau qui, comme vous voyez, se trouve par terre à côté de la mare de sang. Regardez! dis-je en m'approchant et en le soulevant, la pointe est rouge de sang séché.
Le docteur Winchester resta sans bouger pendant quelques minutes avant de parler.
– Alors, les événements de cette nuit sont tout à fait aussi mystérieux que ceux de la nuit dernière?
– Tout à fait! répondis-je.
Il ne répondit rien, mais, se tournant vers Miss Trelawny, il dit:
– Nous ferions mieux de transporter Nurse Kennedy dans une autre chambre. Je suppose que rien ne s'y oppose?
– Rien du tout! S'il vous plaît, Mrs. Grant, faites préparer la chambre de Nurse Kennedy; et demandez à deux domestiques de venir pour l'y transporter.
Mrs. Grant sortit immédiatement; elle revint au bout de quelques minutes en disant:
– La chambre est prête, et les hommes sont là.
Sur ses indications deux valets de pied entrèrent dans la chambre, soulevèrent le corps rigide de Nurse Kennedy, l'emportèrent, sous la supervision du docteur, hors de la pièce. Miss Trelawny resta avec moi chez Mr. Trelawny; Mrs. Grant suivit le docteur dans la chambre de l'infirmière.
Quand nous fûmes seuls, Miss Trelawny vint vers moi, me prit les deux mains et dit:
– J'espère que vous oublierez ce que j'ai dit. Je ne le pensais pas, et j'étais bouleversée. Je ne répondis pas, mais je tins ses deux mains serrées et y déposai un baiser.
Quand le docteur Winchester revint, il regarda attentivement le malade avant de parler. Ses sourcils étaient contractés, sa bouche se réduisait à une mince ligne dure. Il dit au bout d'un moment:
– Il y a beaucoup de points communs entre le sommeil de votre père et celui de Nurse Kennedy. Ce qui l'a produit, quelle que soit sa nature, a probablement fonctionné de la même façon dans les deux cas. Chez Kennedy, le coma est moins accentué. Cependant je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression qu'avec elle nous allons être en mesure d'en faire plus et d'agir plus rapidement qu'avec ce patient, car nous n'avons pas les mains liées. Je l'ai fait mettre dans un courant d'air; et elle laisse paraître quelques symptômes, encore très légers, d'inconscience ordinaire. Ses membres sont moins rigides, sa peau semble plus sensible – peut-être devrais-je dire moins insensible – à la douleur.
– Comment se fait-il, demandai-je, que Mr. Trelawny soit toujours dans cet état d'insensibilité alors qu'autant que nous puissions le savoir, son corps ne présente aucune rigidité?