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– D'abord chez les Hay à Belgrave Square, il y a dix jours. Ensuite à un pique-nique en remontant le fleuve avec Lady Strathconnell. Nous avons été de Windsor à Cookham. Mar… Miss Trelawny était dans mon bateau. Je fais un peu d'aviron et j'avais mon bateau à Windsor. Nous avons beaucoup parlé naturellement. J'ai eu un aperçu de sa vie intérieure. Un aperçu comme peut en avoir un homme de mon âge et de mon expérience quand il s'agit d'une jeune fille!

Tandis que je continuais, le visage du père se faisait de plus en plus grave, mais il ne disait mot. Je m'étais à présent engagé dans un exposé bien défini et je poursuivais avec toute la maîtrise que je pouvais exercer sur mon esprit. L'occasion pouvait être également riche en conséquence pour moi:

– Je ne pouvais pas ne pas remarquer qu'il y avait en elle un sentiment qui lui était habituel, celui d'être délaissée. Je croyais le comprendre; je suis moi-même fils unique. Je me risquai à l'encourager à me parler librement, et je fus assez heureux pour y parvenir. Une sorte de confiance s'instaura entre nous.

Il se peignit sur le visage du père quelque chose qui me fit ajouter immédiatement:

– Comme vous pouvez bien l'imaginer, monsieur, rien n'a été dit qui ne fut correct et convenable. Elle m'a simplement parlé de la manière impulsive de quelqu'un qui aspire à exprimer des pensées depuis longtemps soigneusement dissimulées, à se rapprocher d'un père adoré; d'avoir avec lui plus de rapports, d'être en confiance avec lui, plus proche de lui, dans le cercle de ses sympathies. Oh! croyez-moi, monsieur, tout cela était pour le mieux! C'était tout ce que peut espérer et désirer un cœur de père! C'était entièrement loyal. Si elle me parlait à moi, c'était peut-être parce que j'étais presque un étranger et qu'entre nous aucune barrière ne s'était jusque-là dressée pour s'opposer aux confidences.

Ici, je marquai un temps. Il était difficile de continuer, et je craignais de nuire à Margaret par excès de zèle. C'est son père qui dissipa cet état de tension.

– Et vous?

– Monsieur, Miss Trelawny est charmante et belle. Elle est jeune; son âme a la pureté du cristal. Jouir de sa sympathie est une joie. Je ne suis pas vieux, et mon affection n'était pas engagée. Elle ne l'avait jamais été jusqu'à présent. J'espère pouvoir dire tout cela, même à un père.

Involontairement, je baissai les yeux; quand je les relevai, Mr. Trelawny me regardait toujours d'un œil pénétrant. Toute la bonté de son caractère apparut dans son sourire, quand il me tendit la main en disant:

– Malcolm Ross, j'ai toujours entendu parler de vous comme d'un homme intrépide et ayant le sens de l'honneur. Je suis heureux que ma fille ait un ami tel que vous. Continuez!

– Il y a un avantage à vieillir: utiliser judicieusement son expérience. J'en ai beaucoup. Je me suis donné du mal toute ma vie pour en acquérir, et j'ai eu l'impression que j'étais justifié à l'utiliser. Je me suis risqué à demander à Miss Trelawny de me compter au nombre de ses amis; de me permettre de lui venir en aide si l'occasion se présentait. Elle m'a promis de me le permettre. Je ne me doutais guère que l'occasion de lui venir en aide se présenterait aussi vite, et de cette façon. Mais le soir même vous étiez blessé. Dans sa désolation et son anxiété elle a pensé à me faire appeler!

Je marquai un temps. Il continuait à me regarder tandis que je poursuivais:

– Lorsqu'on découvrit votre lettre d'instructions, j'offris mes services. Ils furent acceptés, comme vous le savez.

– Et ces journées, comment se sont-elles passées pour vous?

La question me prit au dépourvu. On y reconnaissait quelque chose de la voix et des manières de Margaret; quelque chose qui rappelait tellement ses moments de légèreté qu'elle fit sortir toute la virilité qu'il y avait en moi. Je me sentais à présent en terrain plus solide et je répondis:

– Ces journées, monsieur, malgré l'anxiété torturante, malgré le chagrin qu'elles apportaient à une jeune fille que je me mettais d'heure en heure à aimer davantage, ont été les plus heureuses de mon existence!

Il resta longtemps silencieux; si longtemps qu'en attendant, le cœur battant, qu'il se remette à parler, je commençais à me demander si je n'avais pas été d'une franchise excessive. Il finit par dire:

– Margaret, mon enfant! Tendre, pleine d'attentions, forte, sûre, courageuse! Comme sa chère mère! Comme sa chère mère!

Et alors, dans le plus profond de mon cœur, je me réjouis d'avoir parlé franchement. Mr. Trelawny dit ensuite:

– Quatre jours! Le seize! Nous sommes donc le 20 juillet?

J'acquiesçai, et il continua:

– Ainsi, j'ai été en catalepsie pendant quatre jours. Ce n'est pas la première fois. Je me suis trouvé dans le même état pendant trois jours, dans d'étranges circonstances; et je ne m'en serais jamais douté si l'on ne m'avait pas dit le temps qui s'était écoulé. Je vous raconterai tout cela un jour, si cela vous intéresse. Pour le moment, il est préférable que je me lève. Quand Margaret rentrera, dites-lui vous-même que je vais très bien. Cela lui épargnera un choc! Et voudriez-vous dire à Corbeck que j'aimerais le voir le plus tôt possible? Je voudrais examiner ces lampes, et tout savoir de ce qui les concerne.

Son attitude à mon égard me comblait d'aise. Elle avait un côté «beau-père éventuel» qui m'aurait fait lever de mon lit de mort. Je me précipitai pour faire ce qu'il m'avait demandé; ma main était déjà sur la clef de la porte quand il me rappela:

– Mr. Ross!

Je n'aimais pas l'entendre m'appeler «monsieur». Après avoir appris mon amitié avec sa fille, il m'avait appelé «Malcolm Ross»; et ce retour évident au formalisme, non seulement me peinait, mais m'emplissait d'appréhensions. Ce devait être quelque chose au sujet de Margaret. Je pensais à elle comme «Margaret», et non comme «Miss Trelawny», maintenant qu'il y avait un danger de la perdre. Je connais aujourd'hui les sentiments que j'éprouvais alors; j'étais prêt à me battre plutôt que de la perdre. Je revins, en me roidissant instinctivement. Mr. Trelawny, observateur subtil, parut lire dans ma pensée; son visage qui était de nouveau contracté par l'anxiété, se détendit et il me dit:

– Asseyez-vous une minute; il vaut mieux que nous parlions maintenant que plus tard. Nous sommes des hommes, et des hommes du monde. Tout ce que vous venez de me dire sur ma fille est très nouveau pour moi, et très brutal; je veux savoir exactement où j'en suis. Remarquez, je ne fais aucune objection; mais en ma qualité de père, j'ai des devoirs sérieux, et qui peuvent se révéler pénibles. Je… je… (Il semblait légèrement embarrassé, ne sachant par où commencer, et cela me donna de l'espoir.) Je suppose que je dois comprendre, d'après ce que vous m'avez dit de vos sentiments à l'égard de ma fille, que vous auriez l'intention de briguer sa main, par la suite?

Je répondis aussitôt:

– Absolument! Absolument décidé! c'était déjà mon intention le matin qui a suivi notre promenade sur le fleuve de venir vous trouver, au bout d'un délai convenable, pour vous demander si je pouvais aborder ce sujet avec elle. Les événements m'ont conduit à devenir son intime plus rapidement que je n'osais l'espérer; mais cette première intention était restée vivante dans mon cœur, s'était développée, multipliée d'heure en heure.

Son visage semblait se radoucir tandis qu'il me regardait; des souvenirs de jeunesse, lui revenaient instinctivement. Au bout d'un moment, il dit: