Tout fut livré en un temps incroyablement bref; et les hommes partirent, après avoir reçu chacun, par l'intermédiaire de leur contremaître, un souvenir qui provoqua de leur part des remerciements empressés. Puis nous nous sommes tous rendus dans nos chambres. Nous étions gagnés par une étrange confiance. Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous ait éprouvé le moindre doute sur l'atmosphère de calme dans laquelle allait se dérouler la fin de la nuit.
Cette confiance se révéla justifiée, car, le lendemain matin, en nous réunissant, nous pûmes vérifier que tout le monde avait dormi profondément et paisiblement.
Au cours de cette journée, tous les objets de collection, à l'exception de ceux qui serviraient à la Grande Expérience, furent mis à leur emplacement désigné. On prit alors les dispositions pour que tous les domestiques retournent le lendemain matin à Londres avec Mrs. Grant.
Après leur départ, Mr. Trelawny, après avoir vérifié que les portes étaient bien fermées à clef, nous emmena dans le bureau.
– À présent, dit-il, lorsque nous fûmes assis, j'ai un secret à vous confier; mais, en raison d'un engagement ancien qui m'y oblige, je dois vous demander de me promettre solennellement de ne pas le révéler. Depuis au moins trois cents ans, cette promesse a été exigée de tous ceux à qui il a été révélé, et plus d'une fois son respect a permis d'assurer la sécurité et de sauver des existences. Même ainsi, je suis en contradiction avec l'esprit, sinon avec la lettre de cette tradition; car je ne devrais le dire qu'aux membres directs de ma famille.
Nous fîmes tous la promesse demandée. Il continua:
– Il y a ici un endroit secret, une caverne, naturelle à l'origine, mais améliorée ensuite, sous la maison. Je ne vais pas entreprendre de vous dire qu'elle a toujours été utilisée d'une manière conforme à la loi. Pendant les Assises Sanglantes, un certain nombre de Cornouaillais y ont trouvé asile; antérieurement, et postérieurement, elle a constitué, j'en suis sûr, un endroit commode pour entreposer des marchandises de contrebande. Les Trelawny, je suppose que vous le savez, ont toujours été plus ou moins contrebandiers; leurs parents, amis et voisins n'étaient pas étrangers à ce genre d'entreprises. Pour toutes ces raisons une cachette sûre a toujours été considérée comme utile à avoir. Et comme les chefs de notre maison ont toujours insisté pour que le secret soit gardé, je mets un point d'honneur à m'y conformer. Plus tard, si tout va bien, je te le dirai naturellement, Margaret, et à vous aussi, Ross, sous les conditions que je suis obligé de poser.
Il s'est levé et nous l'avons suivi. Il nous a laissés dans le vestibule extérieur et s'est absenté pendant quelques minutes; quand il est reparu, il nous a fait signe de le suivre.
Dans le vestibule intérieur, nous avons trouvé toute une section d'un angle en saillie déplacée, laissant apparaître une cavité où, dans la pénombre, s'amorçait un escalier grossièrement taillé dans le roc. Comme il ne faisait pas absolument noir, il y avait manifestement un système d'éclairage naturel, si bien que sans avoir besoin de nous arrêter, nous avons suivi notre hôte qui descendait. Après quarante ou cinquante marches taillées dans un passage sinueux, nous sommes parvenus dans une grande caverne dont l'extrémité se perdait dans l'obscurité. C'était une salle énorme, vaguement éclairée par quelques fentes irrégulières de forme bizarre. C'étaient manifestement des fentes du rocher qui permettaient aux fenêtres d'être invisibles du dehors. Tout près de chacune était suspendu un volet qu'on pouvait amener dessus au moyen d'une corde. Le bruit des vagues qui venaient se briser sans cesse arrivait, étouffé, de loin au-dessus de nous. Mr. Trelawny prit immédiatement la parole:
– Voici l'endroit que j'ai choisi, comme cadre de notre Grande Expérience. C'est ce que j'ai trouvé de mieux. De cent différentes façons il remplit les conditions que j'ai été conduit à considérer comme primordiales pour son succès. Ici nous sommes, et serons, aussi isolés qu'aurait été la Reine Tera elle-même dans son tombeau de la Vallée de la Sorcière, et également dans une caverne taillée dans le roc. Pour le bien comme pour le mal, nous devons courir ici notre chance, et nous incliner devant les résultats. Si nous réussissons, nous serons en mesure d'inonder le monde de la science moderne d'un tel flot de lumière jaillie du Monde Antique que toutes les conditions de la pensée, de l'expérimentation et de la pratique s'en trouveront changées. Si nous échouons, alors, même le souvenir de notre tentative disparaîtra avec nous. Pour cela, et pour tout ce qui peut survenir d'autre, je crois que nous sommes prêts!
Mr. Trelawny prit une longue inspiration, et poursuivit sur un ton plus réconfortant, et en même temps plus décidé:
– Comme nous sommes tous d'accord, le plus tôt nous mettrons les choses en train, le mieux cela vaudra. Laissez-moi vous dire que cette salle, comme tout le reste de la maison, peut être éclairée à l'électricité. Nous n'avons pas pu connecter les fils aux câbles d'arrivée de peur de révéler notre secret, mais j'en ai un ici que nous pouvons brancher dans le vestibule pour compléter le circuit.
Tout en parlant, il commençait à monter les marches. Tout près de l'entrée, il prit l'extrémité d'un câble; il le tira en avant et le fixa à une prise dans le mur. Il tourna le bouton illuminant ainsi la caverne et l'escalier. Je pouvais voir à présent d'après la quantité de lumière qui arrivait dans le hall que le trou ménagé à côté de l'escalier arrivait directement dans la caverne. Au-dessus se trouvait une poulie avec une masse d'engins et de treuils faisant partie du matériel de Smeaton. Mr. Trelawny voyant que je regardais, me dit, en interprétant correctement ma pensée:
– Oui! C'est nouveau. Je l'ai pendu là exprès. Je savais que nous aurions à descendre des fardeaux importants; et comme je ne désirais pas mettre trop de monde dans la confidence, j'ai arrangé un dispositif que je pourrais manœuvrer seul si nécessaire.
Nous nous sommes mis immédiatement au travail; et avant la tombée de la nuit, nous avions descendu, décroché et mis à la place désignée par Trelawny tous les grands sarcophages, les pièces de collection et les autres objets que nous avions emportés avec nous.
C'était une opération étrange et curieuse que d'installer les témoignages merveilleux d'un siècle lointain dans cette vaste caverne qui représentait, avec ses dispositifs modernes et sa lumière électrique, un mariage entre l'ancien monde et le nouveau. Je fus très troublé lorsque Silvio, que sa maîtresse avait apporté dans la caverne en le tenant entre ses bras, et qui s'était endormi sur ma veste après que je l'eus ôtée, bondit dès que le chat momifié eut été déballé et se jeta sur lui avec la même férocité que la première fois. Cet incident fit apparaître Margaret sous un nouvel aspect, qui me donna un coup au cœur. Elle se tenait, très calme, sur un côté de la caverne, penchée sur un sarcophage, perdue dans sa rêverie, comme cela lui arrivait depuis peu; mais, en entendant le bruit, et en voyant la façon violente qu'avait eue Silvio d'attaquer, elle parut soudain en proie à une fureur passionnée. Ses yeux lançaient des éclairs, sa bouche se crispa dans une expression dure et cruelle que je ne lui connaissais pas. Elle fit instinctivement un pas vers Silvio comme pour intervenir mais moi aussi, j'avais fait un pas en avant; et quand elle surprit mon coup d'œil elle se contracta étrangement, et elle s'arrêta. L'intensité de sa réaction me coupa la respiration, et je levai la main pour m'éclaircir la vue. Quand je l'eus fait, elle avait sur l'instant recouvré son calme et il y eut sur son visage, pendant un court instant, une expression d'étonnement. Avec toute la grâce qu'elle avait autrefois, et toute sa douceur, elle s'avança pour saisir Silvio et le soulever, exactement comme elle avait fait précédemment; elle le tint dans ses bras, en le caressant et en le traitant comme un petit enfant qui s'est écarté du droit chemin.