Elle s'arrêta soudain. Tandis qu'elle parlait, ses paroles s'accompagnaient d'une intonation étrangement pathétique, presque suppliante, qui me toucha jusqu'à la moelle des os.
Après le départ de Mr. Trelawny, le silence s'établit. Je ne pense pas que personne ait eu envie de dire quelque chose. Puis, Margaret regagna sa chambre et je sortis sur la terrasse donnant sur la mer. L'air frais et la beauté du spectacle m'aidèrent à retrouver la bonne humeur que j'avais connue plus tôt dans la journée. Je ne tardai pas à éprouver une véritable joie grâce à la conviction que le danger que je craignais, et qui aurait résulté de la violence de la Reine pendant la nuit qui allait venir était évité. Je partageai la conviction de Margaret au point de ne pas mettre en doute la justesse de son raisonnement. J'avais un moral élevé, j'étais moins inquiet que je ne l'avais été depuis bien des jours, j'allai dans ma chambre pour m'étendre sur le sofa.
Je fus réveillé par Corbeck qui m'appelait en toute hâte.
– Descendez dans la caverne aussi vite que vous le pouvez. Mr. Trelawny veut nous y voir immédiatement. Dépêchez-vous!
Je bondis et descendis à la caverne en courant. Tout le monde était là, à l'exception de Margaret, qui arriva immédiatement après moi, portant Silvio dans ses bras. Quand le chat aperçut son vieil ennemi, il se débattit pour sauter à terre; mais Margaret le tenait serré et le calmait. Je regardai ma montre. Il était près de huit heures.
Lorsque Margaret nous eut rejoints, son père dit immédiatement, avec une insistance calme qui était nouvelle pour moi:
– Tu croyais, Margaret, que la Reine Tera avait volontairement choisi de renoncer pour cette nuit à sa liberté? De devenir une momie et rien d'autre, jusqu'à ce que l'Expérience ait été achevée? De se contenter d'être sans pouvoir en toutes circonstances jusqu'à ce que tout soit terminé, jusqu'à ce que la résurrection soit un fait accompli, ou que la tentative ait échoué?
Au bout d'un instant, Margaret répondit à voix basse:
– Oui.
Pendant cette pause tout avait changé chez Margaret son apparence, son expression, sa voix, ses manières. Même Silvio l'avait remarqué; dans un violent effort, il réussit à se dégager de ses bras; elle ne parut pas s'en apercevoir. Je m'attendais à ce que le chat, ayant conquis sa liberté, attaque la momie; mais cette fois-ci, il n'en fit rien. Il semblait trop intimidé pour s'en approcher. Il s'écarta et avec un «miaou» piteux il vint se frotter à mes chevilles. Je le pris dans mes bras, il s'y blottit en frissonnant. Mr. Trelawny avait repris la parole:
– Tu es sûre de ce que tu dis! Tu le crois de toute ton âme?
Le visage de Margaret n'avait plus son air absent; il paraissait illuminé par la dévotion de celui à qui il est donné de parler de choses grandioses. Elle répondit d'une voix qui, bien que calme, était vibrante de conviction:
– Je le sais! Mon savoir dépasse la croyance!
Mr. Trelawny parla de nouveau:
– Tu es donc tellement sûre que, serais-tu la Reine Tera elle-même, tu serais disposée à le prouver par tout moyen que je pourrais suggérer?
– Oui, par n'importe quel moyen! fut la réponse qui retentit avec un accent d'intrépidité.
D'une voix qui laissait paraître un léger doute, son père dit alors:
– Même en abandonnant ton Esprit Familier à la mort – à l'annihilation?
Elle se tut un instant, et je pouvais voir qu'elle souffrait horriblement. Il y avait dans ses yeux une expression traquée qu'aucun homme n'aurait pu voir, sans être retourné, dans les yeux de l'être aimé. J'étais sur le point d'intervenir lorsque les yeux du père, regardant autour de lui avec une détermination farouche, rencontrèrent les miens. Je restai silencieux, presque magnétisé; les autres hommes, de même. Il se passait sous nos yeux une chose que nous ne comprenions pas!
En quelques longues enjambées, Mr. Trelawny alla jusqu'au côté ouest de la caverne et ouvrit le volet qui occultait la fenêtre, avec une telle violence qu'il en brisa la chaîne qui servait à le manœuvrer et qui était usée par le temps. L'air frais entra, la lumière du soleil se répandit sur eux deux, car Margaret était à présent à côté de lui. Il désigna du doigt le soleil en train de plonger dans la mer au centre d'un halo de feu doré, et son visage avait la dureté du silex. D'une voix dont la dureté absolue résonnera jusqu'à ma mort dans mes oreilles, il dit:
– Choisis! Parle! Quand le soleil aura plongé dans la mer, il sera trop tard!
La lueur resplendissante du couchant éclairait le visage de Margaret au point qu'il semblait illuminé par l'intérieur, et elle répondit:
– Même à ce prix!
Elle bondit jusqu'à la petite table sur laquelle se trouvait le chat momifié, et elle posa la main sur lui. Elle était à présent sortie de la lumière du soleil et au-dessus d'elle les ténèbres étaient profondes. Elle dit d'une voix claire:
– Si j'étais Tera, je dirais: «Prenez tout ce que j'ai! Cette nuit est pour les seuls Dieux!»
Au moment où elle parlait, le soleil s'enfonça et l'ombre froide tomba soudain sur nous. Nous sommes restés immobiles un moment. Silvio sauta de mes bras, courut à sa maîtresse, se dressa contre sa robe comme s'il avait voulu qu'elle le soulève. Il ne faisait plus attention à la momie.
Margaret était triomphante. Avec une douceur voulue elle dit tristement:
– Le soleil est couché, père! Le reverrons-nous jamais? La nuit des nuits est venue!
Chapitre XX LA GRANDE EXPÉRIENCE
S'il y avait eu besoin d'une preuve pour établir à quel point nous croyions les uns et les autres à l'existence spirituelle de la Reine d'Égypte, elle aurait été trouvée dans le changement survenu en nous dans l'espace de quelques minutes à la suite de la déclaration de négation volontaire faite, nous en étions tous persuadés, par l'intermédiaire de Margaret. Malgré l'approche de l'épreuve terrifiante, dont il était impossible d'oublier la signification, nous paraissions grandement soulagés et nous agissions en conséquence. Nous avions en vérité vécu dans un tel état de terreur pendant la catalepsie de Mr. Trelawny que ce sentiment s'était profondément ancré en nous. Personne ne peut savoir sans l'avoir éprouvé lui-même, ce que c'est que de vivre dans la crainte constante d'un danger inconnu qui peut surgir à tout instant et sous n'importe quelle forme.
Mr. Trelawny demanda aux hommes de le suivre. Nous sommes allés dans le vestibule et nous avons ensuite réussi à descendre dans la caverne une table de chêne, assez longue et pas trop large, qui était appuyée dans le vestibule contre le mur. Nous la disposâmes au milieu de la caverne sous un grand faisceau de lumière électrique. Margaret regarda un instant, puis, aussitôt, elle pâlit et dit d'une voix nerveuse: