Et la nuit commença ainsi.
Chapitre V ENCORE D'ÉTRANGES INSTRUCTIONS
Un peu avant minuit Miss Trelawny sortit de sa chambre. Elle plaça son masque respiratoire, et moi le mien; et nous entrâmes dans la chambre du malade. Le détective et l'infirmière se levèrent, nous prîmes leurs places. Le sergent Daw fut le dernier à sortir; il referma la porte derrière lui, comme nous en étions convenus.
Je restai un instant assis sans bouger, le cœur battant. La pièce était d'une obscurité sinistre. La seule lumière était une faible lueur projetée sur le plafond élevé par la partie supérieure de la lampe, mise à part la luminosité verte par transparence de l'abat-jour. Cette lumière faisait, semblait-il, simplement ressortir l'obscurité ambiante, et les ombres qui commençaient, comme la nuit précédente, à avoir une sorte d'existence propre. Je ne me sentais pas du tout disposé à dormir; et chaque fois que je venais à pas feutrés regarder le malade, c'est-à-dire à peu près toutes les dix minutes, je pouvais constater que Miss Trelawny était parfaitement éveillée. Tous les quarts d'heure, l'un ou l'autre des policiers regardait par la porte entrouverte. Chaque fois, Miss Trelawny et moi, nous disions d'une voix étouffée par le masque: «Tout va bien», et la porte se refermait.
Nous entendîmes la pendule du couloir sonner les quarts d'heure de son timbre argentin jusqu'à deux heures; et alors je me sentis gagné par une sensation étrange. D'après les mouvements de Miss Trelawny quand elle regardait autour d'elle, je pouvais voir qu'elle éprouvait, elle aussi, une sensation nouvelle. Le nouveau détective venait juste de regarder dans la chambre; nous en avions pour un quart d'heure à rester seuls avec le malade inconscient.
Mon cœur se mit à battre furieusement. J'étais gagné par la peur; mais pas pour moi! C'était une peur impersonnelle. C'était comme si une autre personne venait d'entrer dans la chambre et qu'une forte intelligence ait été en éveil tout près de moi. Quelque chose m'effleura la jambe. Je m'empressai de baisser la main et je sentis la fourrure de Silvio. Avec un grognement très faible et qui semblait venir de loin, il se retourna pour me griffer. Je sentis du sang sur ma main. Je me levai doucement et m'approchai du lit. Miss Trelawny s'était elle aussi levée et elle regardait derrière elle, comme s'il y avait eu quelque chose tout près. Ses yeux brillaient, sa poitrine se soulevait et s'abaissait comme si elle avait de la peine à respirer. Quand je la touchai, elle ne parut pas le sentir; elle avait les mains tendues devant elle, comme si elle avait voulu se protéger de quelque chose.
Il n'y avait pas un instant à perdre. Je la pris dans mes bras et me précipitai à la porte, l'ouvris, passai dans le couloir en criant à haute voix: «Au secours! Au secours!»
En un instant les deux détectives, Mrs. Grant et l'infirmière firent leur apparition. Sur leurs talons arrivaient plusieurs domestiques des deux sexes. Dès que Mrs. Grant fut assez près, je plaçai Miss Trelawny dans ses bras et me précipitai de nouveau dans la chambre, tournai le bouton électrique dès que je pus l'atteindre. Le sergent Daw et l'infirmière me suivaient.
Il était temps. Sous le grand coffre et tout près, à l'endroit où, deux soirs de suite, nous l'avions déjà trouvé, gisait Mr. Trelawny, le bras gauche, nu à l'exception de ses bandages, tendu. À côté de lui se trouvait un couteau égyptien en forme de feuille qui se trouvait antérieurement parmi les objets placés sur la planche du cabinet brisé. Sa pointe était plantée dans le plancher d'où avait été retiré le tapis taché de sang.
Mais il n'y avait aucun désordre nulle part; ni aucune trace de quelqu'un ou de quelque chose d'inhabituel. Les policiers et moi-même, nous fouillâmes soigneusement la chambre, pendant que l'infirmière et deux domestiques soulevaient le blessé pour le remettre au lit; mais nous ne pûmes rien trouver, aucun indice. Miss Trelawny ne tarda pas à revenir dans la chambre. Elle était pâle mais maîtresse d'elle-même. Quand elle passa près de moi, elle me dit à voix basse:
– Je me suis sentie m'évanouir. Je ne savais pas pourquoi; mais j'ai eu peur!
J'ai eu simplement un autre choc quand, m'étant penché pour examiner Mr. Trelawny, j'ai posé ma main sur le lit. Miss Trelawny m'a alors crié:
– Vous êtes blessé. Regardez! vous avez du sang sur la main. Il y a du sang sur les draps! Dans cette agitation, j'avais complètement oublié le coup de griffe de Silvio. En regardant ma main je me rappelai; mais avant que j'aie pu dire un mot, Miss Trelawny m'avait saisi la main et l'avait soulevée. Quand elle vit les coupures parallèles, elle s'écria de nouveau:
– C'est la même blessure que celle de mon père!
Alors, elle lâcha ma main doucement, mais rapidement, et nous dit, au sergent Daw et à moi-même:
– Venez dans ma chambre! Silvio est là dans son panier.
Nous l'avons suivie; nous avons trouvé Silvio éveillé, assis dans son panier. Il se léchait les pattes. Le détective dit:
– Il est ici, bien sûr! Mais pourquoi se lèche-t-il les pattes?
Miss Trelawny poussa un gémissement au moment où elle se penchait pour prendre dans sa main l'une des pattes de devant du chat qui, comme pour se défendre, se mit à gronder. Sur ce, Mrs. Grant entra dans la chambre. Quand elle nous vit occupés avec le chat, elle dit:
– L'infirmière me dit que Silvio a dormi sur le lit de Nurse Kennedy depuis le moment où vous êtes venue dans la chambre de votre père et y est resté jusqu'à il y a un instant. Il est allé là tout de suite après que vous êtes allé dans la chambre de votre père. L'infirmière dit que Nurse Kennedy gémit et parle d'une manière entrecoupée dans son sommeil comme si elle avait des cauchemars. Je pense que nous devrions appeler le Dr Winchester.
– Faites-le tout de suite, je vous prie, dit Miss Trelawny. Et nous retournâmes dans la chambre.
Le Dr Winchester ne tarda pas à arriver. Sa première pensée fut pour son patient; mais quand il eut constaté qu'il n'allait pas plus mal, il alla auprès de Nurse Kennedy. Quand il la vit, une lueur d'espoir apparut dans ses yeux.
Il prit une serviette, en trempa un coin dans l'eau froide et lui en fouetta le visage. La peau se colora, et elle s'agita légèrement. Il dit à voix basse à sœur Doris, la nouvelle infirmière:
– Elle va bien. Elle va se réveiller dans quelques heures au plus tard. Elle sera peut-être étourdie et désemparée pour commencer, ou bien elle sera prise d'une crise nerveuse. Dans ce cas, vous savez ce qu'il faut faire.
– Oui, docteur, répondit sœur Doris en prenant un air modeste; et nous sommes retournés dans la chambre de Mr. Trelawny. Dès notre arrivée, Mrs. Grant en sortit, si bien que je suis resté seul dans la pièce avec le Dr Winchester et Miss Trelawny. Quand la porte fut fermée, le Dr Winchester me demanda ce qui s'était passé. Je le lui dis tout au long, en lui donnant exactement tous les détails dont je me souvenais. D'un bout à l'autre de mon récit, qui ne prit pas longtemps cependant, il ne cessa de me poser des questions: qui était présent dans la chambre, dans quel ordre était-on entré ou sorti de cette pièce. Il posa d'autres questions, mais aucune qui ait de l'importance; toutes choses qui avaient retenu mon attention ou qui m'étaient restées en mémoire. Quand notre conversation fut terminée, il dit à Miss Trelawny, sur un ton très décidé: